Malgré le départ d’Afghanistan des troupes occidentales, plusieurs ONG humanitaires sont toujours présentes sur le terrain pour venir en aide à la population. Ces organisations craignent que leurs activités soient entravées dans un pays instable, en déroute financière et miné par des décennies de guerre.
Alors que les dernières troupes américaines ont quitté l’Afghanistan lundi 30 août, la population afghane vit désormais sous des menaces plurielles, notamment le risque de crise humanitaire. Malgré l’enchaînement des évacuations ces dernières semaines, plusieurs ONG sont restées sur place. Mais certaines d’entre elles font face à de nombreuses incertitudes depuis la prise du pouvoir des Taliban et le départ des armées occidentales.
Après la chute de Kaboul à la mi-août, plusieurs bailleurs internationaux ont annoncé avoir suspendu leurs aides à l’Afghanistan, en raison de l’incertitude autour du statut des nouveaux dirigeants. C’est le cas par exemple du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, qui menaient jusqu’alors une cinquantaine de projets de développement en Afghanistan.
“Dans les prochains mois, les financements vont être le nerf de la guerre”, appréhende Sarah Chateau, responsable du programme Afghanistan pour Médecins sans frontières (MSF), contactée par France 24. L’ONG française est uniquement financée par des dons privés, ce qui lui permet de maintenir ses activités en Afghanistan. Mais la plupart des organisations présentes dans le pays ne sont pas indépendantes financièrement. “Il va donc falloir que les partenaires financiers continuent de soutenir les structures humanitaires qui sont prêtes à rester sur place”, poursuit-elle.
L’ONU a en effet mis en garde, mardi 24 août, qu’une “catastrophe humanitaire” attendait les Afghans cet hiver si la communauté internationale ne faisait pas des vies des Afghans une priorité. “Pour l’instant, nous avons besoin de 200 millions de dollars [170 millions d’euros, NDLR] pour fournir une aide vitale avant qu’il ne soit trop tard”, a indiqué la directrice régionale adjointe du Programme alimentaire mondial (PAM) pour l’Asie-Pacifique, Anthea Webb.
Guerre, sècheresse et pandémie
Le Programme alimentaire mondial a également appelé la communauté internationale à accélérer les opérations visant à mettre en place des réserves alimentaires face à l’hiver qui approche et qui provoque de brutales chutes de neige, entravant la distribution des stocks alimentaires. “Une personne sur trois” est, par ailleurs, en situation d’insécurité alimentaire en Afghanistan, en raison des effets combinés de la guerre dans le pays et des conséquences du réchauffement climatique, selon la représentante du PAM en Afghanistan, Mary-Ellen McGroarty.
Dans ce contexte, le maintien de l’approvisionnement en denrées alimentaires et en matériel médical suscite de vives inquiétudes, en particulier sur le long terme. “Action contre la faim (ACF) a anticipé le risque de pénurie, en constituant des stocks, notamment de médicaments, qui visaient à permettre pendant quelques mois de poursuivre les activités”, indique à France 24 Thomas Nobre, directeur adjoint d’ACF en Afghanistan. Mais les stocks ne seront pas éternels. “Si l’on ne résout pas ce problème, ça va être compliqué”, redoute-il, assurant qu’en attendant, “les équipes se mobilisent pour évaluer les alternatives aux niveaux aérien et terrestre pour pouvoir continuer les approvisionnements”.
Plus d’une dizaine de jours après la prise de pouvoir des des Talibans en #Afghanistan nos équipes se préparent à reprendre leurs activités où un enfant sur deux est malnutri. https://t.co/HOzSUtBUNR
— ActionContreLaFaim (@ACF_France) August 25, 2021
Du côté de MSF, “pour l’instant, il n’y a pas de problématique de rupture de stocks”, assure Sarah Chateau. L’ONG affirme avoir fait des réserves début août en prévision, alors que les villes afghanes tombaient les unes après les autres. “On a négocié avec les Taliban pour avoir des autorisations pour faire rouler nos camions et approvisionner nos projets.” L’autre solution pour tenir sur la durée est de s’appuyer sur les ponts aériens. Lundi, un vol humanitaire transportant des fournitures médicales de l’OMS a pu atterrir dans le nord de l’Afghanistan, à Mazar-i-Sharif. Au vu de la situation dans le pays, d’autres livraisons devraient être organisées. “On est en discussion avec l’OMS pour savoir si l’on peut intégrer nos produits les plus urgents dans le prochain pont aérien”, explique Sarah Chateau.
“Notre priorité actuelle n’est pas tant le matériel (car nous avons encore des stocks), ce sont les ressources humaines”, nuance la responsable de MSF. Si, selon elle, l’ONG compte actuellement “une cinquantaine d’internationaux expatriés en Afghanistan”, à l’avenir, elle craint que ce vivier ne suffise pas. “On a besoin de faire du turn-over. Après des périodes de conflits intenses, certains ont besoin de rentrer chez eux. Et si on veut monter en puissance, il nous faudra des ressources humaines supplémentaires”, explique-t-elle. Pour le moment, un vol transportant des humanitaires de MSF a pu décoller du Tadjikistan pour l’Afghanistan mais “il n’y a pas de garanties pour la suite”, admet Sarah Chateau.
“Pas de visibilité sur l’avenir du système de santé” en Afghanistan
L’urgence est d’autant plus forte qu’au-delà du conflit, l’Afghanistan est en proie à une sécheresse sévère depuis plusieurs années, et la pandémie de Covid-19 a aggravé la situation humanitaire. “L’instabilité politique s’ajoute à une situation déjà dramatique en Afghanistan”, regrette Thomas Nobre. Les Taliban, qui ont conquis Kaboul après une guerre éclair, n’ont pas encore formé de gouvernement. Ils viennent, en outre, de prendre les rênes d’un pays menacé par les attaques terroristes et appauvri après plus de quatre décennies de guerre.
Ce contexte politique complique les opérations humanitaires et les ralentit, alors qu’en Afghanistan le système de santé reposait jusqu’à maintenant sur les ONG. “Les centres de santé sont gérés par ces organisations en coordination avec le ministère de la Santé parce que le gouvernement précédent n’avait pas le contrôle de toutes les zones du pays. Mais aujourd’hui, on n’a pas de visibilité sur l’avenir de ce système de santé”, pointe Thomas Nobre.
“Pour l’instant, nous discutons localement avec les Taliban. Nous sommes entrés en contact avec différents leaders locaux qui ont pris leur poste dans les régions où nous travaillons. Ils nous ont assuré que la continuité de nos services serait assurée et que les femmes pourraient continuer à travailler. Pour le moment, on essaie d’avoir des garanties sur ces aspects”, avance, de son côté, Sarah Chateau.
Amid the uncertainty in #Afghanistan, our teams are continuing to work in hospitals across the country, which are now full to bursting. Two of our staff recount their experience in Khost and Lashkar Gah.https://t.co/N6iHMWIHNc
— MSF International (@MSF) August 27, 2021
Pendant les combats, l’activité des ONG était déjà perturbée. Les bombardements aériens et le recours à des engins explosifs ont détruit des habitations et des structures de santé en plein cœur des villes. Certaines organisations ont dû se replier pour protéger leurs travailleurs.
“À cause des combats, on a suspendu pratiquement toutes nos activités. Aujourd’hui, elles reprennent petit à petit au fil des discussions avec les communautés, de l’évolution du contexte sécuritaire et des évaluations des risques sur le terrain”, rapporte Thomas Nobre. Mais cette reprise est lente. Actuellement, seulement deux cliniques gérées par Action contre la faim sont opérationnelles en Afghanistan, sur plus d’une vingtaine habituellement déployées dans le pays.
L’ONG, qui travaille avec environ 400 personnels nationaux, veut aussi s’assurer que les femmes, persécutées sous l’ancien régime taliban, peuvent reprendre leurs activités sans danger, dans les secteurs de l’éducation ou de la santé. Mais pour le moment, “les clarifications arrivent au compte-gouttes”, déplore Thomas Nobre qui, comme tous les humanitaires sur place, s’inquiète pour la population. “Si le système de santé devient instable, l’impact va être catastrophique”, redoute-t-il.