Lors d’un week-end marqué par son déplacement en Irak, le chef de l’État a occupé le terrain diplomatique et médiatique pour exposer ses stratégies sur plusieurs dossiers brûlants : retour des Taliban à Kaboul, maintien des forces françaises en Irak et lutte contre le terrorisme au Sahel. Décryptage avec Christian Lequesne, professeur à Sciences-Po Paris, spécialiste de la politique étrangère française.
Comme un air de campagne. Le président français a joué la carte de la politique étrangère ce week-end, ce qui s’est traduit par un déplacement en Irak, des entretiens accordés au Journal du Dimanche et à TF1, sur l’Afghanistan et le Sahel.
Alors que la stratégie américaine est sous le feu des critiques en raison des évènements en Afghanistan où les Taliban sont de retour au pouvoir, Emmanuel Macron a profité de la rentrée politique pour dévoiler sa stratégie dans les zones tourmentées du monde, comme le Sahel et le Moyen-Orient, et marquer ses différences avec les États-Unis.
Retour sur cette séquence diplomatique avec Christian Lequesne, professeur à Sciences-Po Paris, spécialiste de la politique étrangère française et auteur du livre à paraître le 16 septembre : “La puissance par l’image, les États et leur diplomatie publique” (aux Presses de Sciences Po).
France 24 : Le président Emmanuel Macron s’est montré très actif sur le plan diplomatique ces derniers jours, en évoquant l’Afghanistan, l’Irak et le Sahel. Comment analysez-vous ses prises de position dont certaines, comme le maintien des forces françaises en Irak ou son rejet du principe du “state building” – processus d’appui à la construction d’un État – cher aux Américains, ont marqué des différences avec la stratégie des États-Unis ?
Christian Lequesne : Quand il se rend en Irak, Emmanuel Macron cherche à réaffirmer les principes de son action internationale, à marquer la présence de la France, et à rappeler qu’elle a un rôle à jouer au Moyen-Orient. Un rôle bien évidemment différent de celui des États-Unis. Il s’inscrit dans une continuité avec la pensée d’un président qui a marqué la Ve République et qui s’appelait Charles de Gaulle. C’est-à-dire l’idée qu’à l’intérieur du camp occidental, la France doit garder une marge de manœuvre et marquer une autonomie par rapport aux États-Unis. Le rêve français serait d’attirer d’autres pays européens dans cette conceptualisation de l’autonomie, qui deviendrait, ce que l’on appelle à Paris, l’autonomie stratégique. Mais cela est beaucoup plus compliqué, car avec l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche, de nombreux Européens assument d’être à nouveau des partenaires juniors des Américains, ce que la France exclut.
Sur le fait que l’on ne construit pas un “state-building” de l’extérieur, le président Macron a raison. Tous les chercheurs qui travaillent sur l’État, et notamment sur le continent africain, savent parfaitement qu’il y a de multiples paramètres et de conditions sociales qui font que l’État est stable où ne l’est pas. Imposer notre modèle de démocratie occidentale où à réussir à tout changer, cela ne marche jamais. C’était d’ailleurs une des illusions des néo-conservateurs américains. Notamment lors de l’intervention des États-Unis en Irak contre Saddam Hussein, en 2003, ils disaient qu’ils allaient promouvoir le modèle de la démocratie libérale dans ce pays pour donner naissance à une belle démocratie. On constate encore aujourd’hui les conséquences de leur échec.
Sachant que le président français est très attendu sur la question du Sahel, quelles leçons diplomatiques la France doit-elle tirer de l’échec des Américains en Afghanistan, alors qu’il y a un débat sur l’efficacité du combat contre le terrorisme dans un pays tiers ?
Les évènements en Afghanistan sont assurément observés de très près au Quai d’Orsay. S’il y a une leçon à tirer de ce dossier, et pas seulement pour Emmanuel Macron et les diplomates français, c’est de mieux préparer le retrait des forces en place à l’étranger que ne l’ont fait les Américains. Le grand problème que rencontrent les États-Unis ne concerne pas le départ d’Afghanistan, qui reste un choix politique, mais c’est la préparation du retrait et l’absence d’anticipation du retour aussi rapide des Taliban sur l’ensemble du territoire. En outre, il y a certes un débat sur l’efficacité du combat contre le terrorisme à l’étranger, mais on sait très bien aussi que si l’on part, des forces hostiles ont tout à fait la possibilité de prendre le pouvoir dans le pays concerné. C’est exactement ce qu’il se passe en Afghanistan. S’en aller du Mali, c’est évidemment prendre le risque de donner une carte blanche à des groupes totalement opposés aux intérêts de la France et de voir une évolution du régime politique malien vers plus de transparence et de respect des individus. Et l’on se retrouve un peu coincé dans ce cas-là, et l’on reste pour assurer le rapport de force. C’est le dilemme de tous ces types d’intervention. Ce sont des dossiers très compliqués, et il est très difficile pour quiconque d’avoir des résultats concrets. Sauf à conserver des présences militaires, ce qui veut dire que l’on s’engage dans des processus très longs et très coûteux, financièrement et politiquement, comme pour les Américains en Afghanistan. Mais n’oublions pas que lorsqu’un chef d’État dit que ses forces vont rester au nom de la lutte contre le terrorisme dans un pays tiers, comme Emmanuel Macron l’a affirmé en Irak, son discours n’est pas seulement à destination de l’État en question, il est aussi destiné à sa propre opinion publique.
Justement, après s’être solennellement adressé en plein milieu de l’été aux Français pour évoquer sa stratégie en Afghanistan, Emmanuel Macron a mis une nouvelle fois l’accent sur la politique étrangère à l’occasion de la rentrée politique. Comment faut-il comprendre cette stratégie ?
Je perçois, là aussi, dans cette séquence diplomatique une très grande continuité dans les pratiques politiques des présidents de la Ve, c’est-à-dire qu’il y a un moment où la diplomatie prend une place importante dans leur action. C’est bientôt la fin du mandat d’Emmanuel Macron, et nous allons donc entrer dans une autre phase qui sera la campagne électorale. Celle-ci sera vraisemblablement très clivée, et nous aurons énormément de controverses sur les questions de politique étrangère et du terrorisme. Donc qu’Emmanuel Macron insiste sur ses thèmes en indiquant que la France va contenir le terrorisme par une forme de politique étrangère et de présence sur le terrain, c’est aussi une façon de dire qu’il est le garant de la sécurité des Français. Il est déjà en campagne ! Une des grandes erreurs de l’analyse que l’on peut encore voir de temps en temps, c’est de dire que la politique étrangère ne compte pas dans les échéances électorales. Ce n’est pas vrai. Il y a une telle interdépendance entre l’interne et l’externe que forcément la politique étrangère aussi joue un rôle dans la perception qu’a l’électorat de l’action de tel ou tel candidat.