La Chine s’est montrée ouverte à une coopération “amicale” avec les Taliban alors que les États-Unis tentent d’achever leur départ d’Afghanistan. Pour certains observateurs, c’est la preuve que Pékin veut profiter du vide pour faire main basse sur les ressources naturelles afghanes. Une lecture trop simpliste de la situation pour d’autres experts interrogés par France 24.
Le président américain Joe Biden a confirmé, mercredi 25 août, le retrait américain d’Afghanistan à la fin du mois. Et après ? Pour certains, l’Afghanistan continuera, même sous le règne des Taliban, à être le terrain de jeu de puissances extérieures. Mais cette fois-ci, un nouvel acteur s’invite : les Chinois.
“La Chine est prête à remplir le vide laissé par Washington”, affirme Zhou Bo, un ancien colonel de l’armée chinoise, dans un article d’opinion publié par le New York Times. Pékin s’empressera de “piller l’Afghanistan à son profit”, veut croire, pour sa part, le colonel Richard Kemp, l’ex-chef de forces britanniques en Afghanistan, interrogé par la chaîne américaine Fox News.
Par l’odeur des ressources naturelles alléchée
Une analyse de la situation qui, a priori, semble attirante. L’Afghanistan est le plus important réservoir inexploité au monde de certaines ressources stratégiques comme le lithium, et la Chine en est très friande.
En outre, le pays participe depuis 2016 aux “nouvelles routes de la soie”, ce gigantesque programme chinois de construction d’infrastructures hors de ses frontières. Pourtant, Pékin a encore très peu investi en Afghanistan. Pour Zhou Bo, ce serait essentiellement parce que le pays était jusqu’à présent “sous influence” de Washington. Débarrassé de l’encombrante tutelle américaine, le pays pourrait dorénavant s’offrir sans retenue à la Chine.
Pékin s’est aussi montré ouvert à l’idée d’une relation cordiale avec les Taliban. Fin juillet, le mollah Abdul Ghani Baradar, numéro deux du mouvement islamiste radical, a été très officiellement reçu à Pékin par Wang Hi, le ministre chinois des Affaires étrangères.
Après leur prise du pouvoir, la Chine a dit vouloir “respecter le choix du peuple afghan” et espérer une “coopération amicale” entre les deux pays.
Mais cela ne signifie pas que Pékin va se jeter dès que possible sur les ressources naturelles afghanes en échange de quelques prêts pour développer des infrastructures. “Ils vont d’abord adopter une approche défensive”, assure Raffaello Pantucci, spécialiste des questions de sécurité chinoise au Royal United Services Institute for Defence and Security Studies (Rusi) de Londres, interrogé par France 24.
En effet, la priorité numéro un de la superpuissance asiatique, qui partage une frontière de 70 km avec l’Afghanistan, est de “s’assurer que le terrorisme islamiste ne se propage pas vers les pays voisins de l’Afghanistan”, souligne Angela Stanzel, spécialiste de la Chine et de l’Asie centrale à l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP Berlin), interrogée par France 24.
Les Ouïghours pas très loin
C’est d’autant plus important pour Pékin que les Ouïghours – la minorité musulmane actuellement persécutée par les autorités chinoises qui la dépeint comme un réservoir à dangereux extrémistes religieux – n’habitent qu’à quelques centaines de kilomètres de la frontière afghane.
En ce sens, la Chine aimerait remettre au goût du jour le compromis trouvé avec les Taliban dans les années 1990. À l’époque, des militants séparatistes ouïghours avaient établi des camps d’entraînement en Afghanistan avec l’aide d’Al-Qaïda, et Pékin avait obtenu des Taliban qu’ils interdisent à ces combattants de commettre des actions violentes en Chine. En échange de quoi, la Chine avait investi dans le pays.
Vingt ans plus tard, Pékin ne s’inquiète plus seulement du risque de contagion jihadiste en Chine. “Ils veulent aussi éviter une propagation dans les autres pays limitrophes [Tadjikistan, Pakistan, NDLR] car cela aurait un effet déstabilisateur dans des pays où Pékin a beaucoup investi au titre des nouvelles routes de la soie”, précise Rafaello Pantucci.
C’est pourquoi les Chinois “vont agiter des promesses d’investissement dans les infrastructures comme autant de carottes pour inciter les Taliban à faire ce qu’ils veulent”, estime Valarie Tan, spécialiste du discours politique chinois au Merics (Mercatour Institute for Chinese Studies) de Berlin, interrogée par France 24.
Il ne s’agira cependant que de promesses dans un premier temps, veut croire Rafaello Pantucci. Il n’adhère pas à cette idée d’une ruée chinoise vers l’eldorado du sous-sol afghan une fois les Américains partis.
D’abord, “parce que les Chinois n’ont pas été gênés par la présence américaine pour faire des affaires, puisqu’ils ont décroché le droit d’exploiter l’une des plus importantes mines de cuivre au monde à Mes Eynak [35 km au sud de Kaboul, NDLR] et obtenu une participation à l’exploitation de gisements de pétrole”, rappelle Rafaello Pantucci.
Ces deux projets n’ont pas donné grand chose pour l’instant, mais pas à cause de la présence américaine. “L’investissement pour construire toutes les infrastructures manquantes et assurer la sécurité des sites est trop important”, note le chercheur du Rusi. Les Chinois ne l’ont pas fait “alors que le pays était à peu près en paix grâce à la présence américaine, ils ne vont pas y aller maintenant que les conditions sont encore plus incertaines et qu’il règne une grande instabilité”, ajoute-t-il.
C’est tout le problème de l’exploitation des gisements afghans en général. “Ils sont difficilement accessibles, et il faut construire les routes, lignes de train, et autres infrastructures pour les exploiter. La Chine va d’autant plus réfléchir avant d’y aller que le régime est en train de revoir à la baisse ses investissements à l’étranger”, note Angela Stanzel, de l’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité.
Y aller mais quand ?
Pour autant, les Chinois finiront bien par céder à la tentation des ressources afghanes, veut croire Valarie Tan. Ne serait-ce que pour prouver qu’ils peuvent faire mieux que les Américains. “La propagande officielle a déjà commencé à préparer les esprits en comparant les États-Unis à la puissance ‘destructrice’ en Afghanistan, en opposition à la Chine qui incarne les ‘bâtisseurs'”, résume cette spécialiste du discours officiel chinois.
“Ce n’est donc pas une question de s’ils vont y aller, mais de quand”, résume Valarie Tan. Pour elle, les Taliban vont devoir remplir plusieurs conditions : former un gouvernement que Pékin peut reconnaître, ramener la stabilité dans tout le pays, s’assurer que le terrorisme islamiste s’arrête à la frontière est de l’Afghanistan et ne pas remettre en cause la manière dont la Chine traite les Ouïghours.
Les nouveaux maîtres de Kaboul ne devraient rien trouver à redire à tout ça, jugent les différents experts interrogés par France 24. “Ils vont faire tous les efforts possibles car ils ont besoin de diversifier leurs sources de financement et une reconnaissance officielle de la Chine – qu’ils n’avaient pas eue dans les années 1990 – apporterait une forme de légitimité internationale très importante”, conclut Angela Stanzel.
Mais rien ne dit que les Taliban vont se montrer à la hauteur des attentes chinoises. Difficile, en effet, de savoir à quel point ils vont pouvoir maintenir leur contrôle sur tout le territoire face aux velléités des seigneurs de guerre locaux. Ou encore s’ils pourront contenir les envies d’autres mouvements radicaux islamistes – tels qu’Al-Qaïda – d’utiliser l’Afghanistan comme tremplin pour aller vers l’est.