Une semaine après la prise de Kaboul par les Taliban, une manifestation de soutien au peuple afghan a eu lieu dimanche place de la République à Paris, à l’initiative de réfugiés. Ces derniers demandent notamment le rapatriement sans délai de leurs familles restées au pays, et dont la sécurité n’est plus assurée. “On n’a pas seulement perdu notre drapeau, on perd notre jeunesse”, affirme une manifestante.
La place de la République s’est rapidement remplie dès 14 h, colorée de nombreux drapeaux noir-rouge-vert. Très vite, les pancartes se sont multipliées à leur tour : “Save our family”, “Help Afghans”, “Évacuons maintenant”, “Accueillons hommes, femmes et enfants”.
Une semaine après la prise de Kaboul par les Taliban, les réfugiés afghans en France s’étaient donné rendez-vous, place de la République à Paris, pour une manifestation en soutien au peuple afghan, et pour le rapatriement de leurs familles, restées au pays.
“On n’a pas seulement perdu notre drapeau, on perd notre jeunesse…”, déplore auprès de France 24 Sahar, 18 ans, d’origine afghane. “Je suis ici car c’est mon droit et mon devoir de défendre mon pays”, explique la jeune fille, née en Iran, et vivant en France depuis ses 11 ans. Si elle est présente place de la République, c’est pour la défense des femmes et des mineurs afghans qui n’ont pas la possibilité de se défendre là-bas, dit-elle. Dans ce pays dont elle n’a jamais foulé le sol, précise la lycéenne, mais pour lequel elle souhaite que le monde se mobilise. “Une jeunesse se perd en Afghanistan, et ça doit être important pour le monde”, poursuit-elle, évoquant notamment le sort “des femmes qui se font battre par les Taliban, et des jeunes filles mariées de force”.
“L’État français nous abandonne”
La manifestation s’est organisée à l’initiative des réfugiés eux-mêmes, encadrés par plusieurs associations œuvrant pour les exilés.
“On veut montrer qu’on existe”, explique à France 24 Ezatwazir Tarakhail, réfugié afghan de 31 ans, arrivé en France fin 2014. Membre de l’association Paris d’exil et de Watizat – un collectif qui édite des guides d’information en français, anglais, arabe, pachto et dari à destination des personnes exilées –, il a battu le pavé, dimanche, aux côtés de plusieurs centaines de manifestants “pour soutenir le peuple afghan et défendre le droit à la dignité de tous les Afghans et de leurs familles en Afghanistan”.
Au lendemain de la prise de Kaboul par les Taliban, déjà vécue comme un traumatisme pour les Afghans exilés en France, dont beaucoup sont séparés depuis des années de leurs proches restés au pays, le discours d’Emmanuel Macron a été, pour eux, un énième déchirement. “On attendait vraiment un soutien de l’État français et du président Macron”, explique Ezatwazir. “Mais au lieu de parler des personnes en danger, il nous abandonne et parle de lutter contre l’arrivée de vagues de réfugiés : c’était vraiment un discours politique, pas un discours d’humanité.”
Depuis l’Élysée, lundi, le président français a en effet tenu un discours d’une dizaine de minutes, revenant sur la situation en Afghanistan et la réponse que comptent apporter la France et l’Europe, alors que des milliers d’Afghans, candidats à l’exil, s’amassent à l’aéroport de Kaboul. “La déstabilisation de l’Afghanistan risque d’entraîner des flux migratoires vers l’Europe”, a estimé le chef de l’État, assurant que “la France fait et fera tout ce qui sera nécessaire pour protéger ceux qui sont menacés”. Toutefois, a-t-il prévenu, “l’Europe ne peut pas assumer à elle seule les conséquences de la situation actuelle : nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants, qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourrirait les trafics de toutes natures”.
“Ils m’ont cherché pour me tuer”
Pourtant, dans tout cela, la France a bel et bien un rôle à jouer, insiste Sahar. Comme l’indique le panneau qu’elle tient avec sa mère et son petit-frère, elle demande “la sécurité et le rapatriement de [nos] familles en Afghanistan”, et, ajoute-t-elle, que la France et les pays européens “n’acceptent jamais l’Émirat islamique d’Afghanistan, formé par les Taliban”.
Sahar est actuellement en classe de terminale et aimerait poursuivre des études de droit. Son objectif : être avocate, spécialisée dans le droit des étrangers.
À mesure que les participants affluent, un grand cercle se forme sur la place. Les manifestants – des réfugiés afghans en majorité – protestent en pachto. L’un d’eux explique à France 24 qu’ils demandent la fin du soutien au Pakistan, pays frontalier de l’Afghanistan accusé d’avoir secrètement soutenu les Taliban.
Il s’appelle Faraidon et est âgé de 21 ans. Il est réfugié en France depuis 2018, contraint de fuir son pays après avoir refusé de rejoindre une madrassa (école coranique), comme le lui imposaient les Taliban. “Ils m’ont cherché pour me tuer, je suis donc parti d’Afghanistan.”
“90 % des Afghans sont aujourd’hui en danger”
À l’origine, les réfugiés afghans mobilisés dimanche demandaient à être reçus par le ministre des Affaires étrangères. Leur principale revendication : rapatrier sans délai les familles des réfugiés afghans présents sur le sol français. Des réfugiés dont bon nombre ont aidé les forces de la coalition en Afghanistan depuis 2001, en tant qu’interprètes, cuisiniers, journalistes, chauffeurs… “Certains, réfugiés en France depuis deux ou trois ans, ont fait des démarches et procédures pour le regroupement familial, qui n’ont jamais avancé”, dénonce Ezatwazir, qui estime que “90 % des Afghans sont aujourd’hui en danger” sous le régime des Taliban.
La demande des organisateurs de la manifestation de se rassembler devant le ministère ayant été refusée par la préfecture, le rassemblement s’est finalement fait place de la République. Mais les réfugiés et leurs soutiens ne comptent pas en rester là. “On organise une autre manifestation dimanche prochain, et cette fois elle devrait avoir lieu devant le ministère des Affaires étrangères.”
“Il faut un couloir humanitaire pour que les gens qui veulent sortir puissent sortir”, s’exclame au micro l’un des manifestants. “Je suis de ce pays, je parle la langue, je connais le terrain, et je suis prêt à partir aider les gens qui sont coincés à l’aéroport”, poursuit-il, entourés d’enfants et d’hommes en habits traditionnels, toujours plus nombreux à faire voler au-dessus d’eux le drapeau afghan.
“Le gouvernement français doit demander au ministre des Affaires étrangères, au ministre de la Défense, au président de la République d’envoyer des troupes supplémentaires pour, tant que c’est possible, sauver des vies”, achève l’orateur. “Bien sûr qu’on ne peut pas sauver 37 millions de personnes, mais on peut sauver la vie de ceux qui sont en danger, notamment les femmes, et les familles de ceux qui sont ici.”