Quelques jours après avoir pris le contrôle de l’Afghanistan, les Taliban ont commencé à s’en prendre à des activistes et des journalistes. Ils s’appuient sur les mosquées locales et sur des policiers pour trouver des informations sur ceux qu’ils perçoivent comme une menace. La rédaction des Observateurs a parlé avec cinq activistes et journalistes de plusieurs régions d’Afghanistan, qui disent tous que les Taliban ont commencé leurs recherches.
Les Taliban ont tué un proche d’un journaliste de la Deutsche Welle en Afghanistan, le 18 août 2021. Ils étaient venus chercher le journaliste chez lui, sans savoir qu’il travaillait désormais en Allemagne. Ils ont blessé par balle un autre de ses proches, tandis que des membres de sa famille ont réussi à s’enfuir. Les Taliban ont fouillé les domiciles d’au moins trois journalistes de Deutsche Welle, relate le média allemand.
Le groupe islamiste a commencé à faire du porte-à-porte pour traquer les Afghans qui ont aidé les forces étrangères, selon un rapport du Norwegian Center for Global Analyses rédigé pour l’ONU et consulté par l’AFP le 20 août 2021. Le rapport indique que les Taliban possèderaient des “listes prioritaires” d’individus qu’ils souhaitent arrêter parmi les “collaborateurs de l’ancien régime”.
Cette vidéo publiée sur Facebook le 16 août 2021 montre des Taliban vérifier les véhicules au niveau d’un checkpoint à Kaboul.
Les Taliban ont pourtant essayé de se montrer rassurants envers la communauté internationale : lors d’une conférence de presse le 17 août, le porte-parole taliban Zabihullah Mujahid a assuré que “tous ceux qui sont dans le camp opposé sont pardonnés de A à Z. Nous ne chercherons pas à nous venger.”
Alors que quitter l’Afghanistan reste difficile, les auxiliaires ayant travaillé pour les ambassades ou armées étrangères, mais aussi les journalistes et les activistes coincés dans le pays vivent dans la peur que les Taliban viennent frapper à leur porte.
“ Les combattants talibans vont à la mosquée pour demander aux fidèles s’ils connaissent des activistes”
Zarghuna (le prénom a été modifié), une activiste qui défend les droits de l’Homme, se cache depuis que les Taliban sont entrés dans la ville où elle habite, dans l’ouest de l’Afghanistan. Pour des raisons de sécurité, la rédaction des Observateurs a choisi de ne pas nommer de lieux dans cet article.
Je suis connue dans ma ville pour mon travail en tant qu’activiste pour les droits de l’Homme, tout le monde sait qui je suis dans mon quartier et dans ma rue. Quand les Taliban sont entrés dans notre ville, je me suis cachée dans la maison d’un ami car je savais qu’ils viendraient nous chercher tôt ou tard. Un ou deux jours après mon déménagement, des voisins avec qui j’avais gardé contact m’ont dit que les combattants talibans allaient à la mosquée du quartier pour demander aux fidèles s’ils connaissent des activistes, journalistes ou qui que ce soit qui a travaillé avec les étrangers – dans des ONG ou avec les forces armées étrangères. Apparemment, les Taliban leur ont dit que c’est leur devoir selon l’Islam de leur donner ces informations.
Ils vont dans les mosquées pour trouver des informations car ils pensent que les personnes qu’il y trouveront sont leurs fans, les soutiennent et vont coopérer avec eux. Je ne sais pas s’ils ont réussi à trouver mon ancienne adresse. Par contre, ils ont réussi à trouver l’adresse de l’un de mes collègues via des soutiens talibans dans les mosquées. Le 18 août, les Taliban ont fait un raid dans sa maison, mais heureusement il avait déjà déménagé et la maison était vide.
Les Taliban ont commencé à faire du porte-à-porte pour trouver des activistes. Ils ne l’ont pas annoncé officiellement et ils ne le font pas ouvertement, ils essaient juste de traquer les personnes qu’ils cherchent de façon ciblée pour éviter de faire trop de vagues.
Les mosquées sont un outil de communication stratégique pour les Taliban : Rashid (le prénom a été modifié), un défenseur des droits de l’Homme, relate qu’un Taliban a utilisé la mosquée de son quartier pour informer sur leurs intentions :
Pendant les prières du vendredi, un imam taliban a ouvertement dit : “Nous avons une liste de personnes qui ont collaboré avec des étrangers, ils sont corrompus.” Il a invité les fidèles à coopérer avec les Taliban pour les aider à trouver les journalistes et les activistes.
“Des officiers de police corrompus sont employés par les Taliban”
Reza (le prénom a été modifié) est journaliste en Afghanistan. Il explique à la rédaction des Observateurs que les Taliban s’appuient sur les policiers pour traquer les journalistes :
Mes amis m’ont dit que des officiers de police corrompus étaient employés par les Taliban. Ils utilisent les ressources et les dossiers de la police afghane pour obtenir des informations sur les activistes et les journalistes : où ils habitent, où ils ont travaillé et avec qui. Ils obtiennent aussi des informations sur leur religion, leur ethnie et leurs affiliations politiques.
Avec les listes qu’ils ont créées avec l’aide des officiers de police, ils ont commencé à aller de maison en maison. Je ne vois pas d’autre option que d’essayer de quitter le pays. Si je reste, je risque non seulement ma vie, mais aussi la sécurité de ma famille.
Dans d’autres régions, les Taliban adoptent une approche plus conciliante envers les journalistes. Ahmad (le prénom a été changé), un journaliste, raconte à la rédaction des Observateurs que dans sa ville, les Taliban ont convoqué les journalistes et les activistes pour les rassurer, mais il n’est pas convaincu :
Pour l’instant, dans notre région, je n’ai pas encore entendu parler de persécutions, ou de tentatives d’arrêter des journalistes ou des activistes. En surface, il n’y a rien à craindre, mais en réalité, c’est terrifiant.
Il y a quelques jours, un commandant taliban local a convoqué tous les journalistes et les activistes de notre région pour une réunion avec lui. Nous y sommes allés et d’abord, l’atmosphère semblait sympathique et amicale. Il nous a dit que nous pouvions continuer de travailler, tant que nous le faisions dans les limites de la charia, et sous la surveillance des Taliban. Mais au milieu de la réunion, des hommes armés sont entrés dans la salle en nous montrant leurs armes. Le message était clair : vous pouvez faire tout ce que vous voulez, mais n’allez pas chercher des noises aux Taliban. Maintenant, j’ai encore plus peur qu’avant.
“Ils reproduisent exactement ce qu’ils ont fait en 1996”
Pour Mustafa (le prénom a été changé), un journaliste dans l’est de l’Afghanistan, les méthodes des Taliban n’ont rien de nouveau:
Peut-être que certains journalistes ou activistes sont trop jeunes pour s’en souvenir, mais dans les années 1990, les Taliban ont fait exactement la même chose. Au début, ils se comportaient bien, ils étaient sympas avec les gens, y compris avec les journalistes et les activistes. Puis, une fois qu’ils ont senti que la sécurité de leur position était assurée, ils ont montré ce qu’ils étaient vraiment. Les Taliban n’ont pas changé, et il n’y a pas de ‘Taliban modérés’. Ils reproduisent exactement ce qu’ils ont fait dans notre région en 1996.
Au cours des dernières semaines, des journalistes ont déjà été ciblés par des Taliban présumés : Nematullah Hemat, de la chaîne de télévision privée Ghargasht TV, a été kidnappé dans la province de Helmand, dans le sud de l’Afghanistan, et Toofan Omar, directeur de la station de radio privée Paktia Ghag, a été assassiné à Kaboul, selon les autorités afghanes.