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Réseaux sociaux, charia et diplomatie : les Taliban, vingt ans après

Après avoir pris le pouvoir en Afghanistan, les Taliban se sont voulu rassurants alors qu’exécutions publiques et châtiments étaient récurrents lors de leur précédent règne, il y a 20 ans. En dépit d’une main tendue vers les autres pays et leur engagement à respecter les droits des femmes, cette nouvelle image, dont ils usent sur les réseaux sociaux, peine à convaincre. 

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Deux jours après la chute de Kaboul, les téléspectateurs afghans ont pu voir sur leur écran une scène qui aurait été inimaginable sous le premier régime des Taliban (1996-2001) : un insurgé interviewé par une femme sur la chaîne Tolo News. La journaliste, Beheshta Arghand, qui était assise à environ 2,5 mètres de ce dernier, l’a interrogé sur la situation sécuritaire dans la capitale afghane. La chaîne de télévision privée a aussi publié une vidéo montrant une autre femme reporter s’exprimant depuis les rues de Kaboul.  

Ces images interviennent alors que les leaders du mouvement taliban répètent à l’envi qu’ils veulent cesser de faire couler le sang. Lors d’une conférence de presse, le 17 août, l’un de leur porte-parole Zabihullah Mujahid a d’ailleurs confirmé une “amnistie générale” pour tous les fonctionnaires d’État.  

Ce dernier a par ailleurs affirmé que les Taliban ont tiré des leçons de leur premier passage au pouvoir et qu’il y aurait de “nombreuses différences” dans leur manière de gouverner, même si en termes d’idéologie et de croyances, “il n’y a pas de différence”. 

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Sous leur précédent régime, les jeux, la musique, la photographie, la télévision étaient interdits. Les voleurs avaient les mains coupées, les meurtriers étaient exécutés en public et les homosexuels tués. Les filles n’avaient aucun droit à l’éducation. Quant aux femmes, elles avaient interdiction de sortir sans un chaperon masculin ou encore de travailler. Et si elles étaient accusées de crimes, tels que l’adultère, c’était le fouet et la lapidation à mort. Zabihullah Mujahid a assuré que les droits des femmes seraient dorénavant respectés, dans les limites toutefois du “cadre de la loi islamique”. 


“L’idéologie de base des Taliban reste la même”

Malgré le scepticisme affiché par de nombreux pays occidentaux, le mouvement islamique radical travaillent dur pour rassurer la communauté internationale, alarmée par son passif en matière de droits humains quand il était au pouvoir à la fin des années 90 et par les images déchirantes de milliers d’Afghans tentant de fuir à l’aéroport de Kaboul ces derniers jours. 

“L’idéologie de base des Taliban reste la même. Ils veulent toujours imposer une sorte de ‘sur-charia’, une version extrême et encore plus rigoureuse de la loi islamique qui est mise en œuvre dans d’autres pays”, estime cependant Sébastien Boussois, docteur en Sciences Politiques à l’Université Libre de Bruxelles, spécialiste de l’Afghanistan.  

Dans sa première déclaration après la chute de Kaboul, le bureau politique des Taliban a affirmé que son premier défi serait de montrer qu’ils sont capables de “servir [leur] nation et assurer la sécurité et le confort dans la vie”.  

Cette image revisitée du mouvement a déjà permis aux Taliban de reconquérir  aisément l’Afghanistan, selon des experts. Il y a eu peu d’opposition populaire face à leur avancée militaire et la capitale afghane est tombée sans qu’il n’y ait eu un bain de sang tant redouté. 

“Les Taliban ont construit un récit qui est très différent de celui du gang hétéroclite qui avait déferlé sur l’Afghanistan entre 1996 et 2001. Ils racontent : ‘Nous vous avons libéré des Américains et des mécréants, des Afghans corrompus qui ont fui à Abu Dhabi ou ailleurs avec l’argent qui était censé stabiliser le pays’. Ils peuvent se présenter comme des libérateurs et pas seulement comme des gens qui vont enfermer les Afghans”, résume le chercheur Sébastien Boussois. “Les Taliban vont dire que la loi islamique est un moyen de créer un gouvernement fort et austère après des années de corruption et de déliquescence”. 


À la recherche d’une reconnaissance mondiale 

En combattant depuis 20 ans les Américains, les Taliban ont acquis des compétences particulières. Leurs actions ont été motivées par des nécessités militaires et politiques et non religieuses, selon des documents de recherche publiés en mars 2021 par le The Combating Terrorism Center de West Point, l’académie militaire américaine. Selon l’auteur de cette étude, “les adaptations politiques qui ne sont que tactiques au début peuvent évoluer vers de véritables changements”.

Cela semble être le cas pour les Taliban et notamment en ce qui concerne leurs relations diplomatiques. Alors que le premier régime n’était reconnu que par trois pays (Pakistan, Arabie saoudite et Emirats arabes unis), il est maintenant en bonne discussion avec la plupart de ses voisins., La Chine s’est dite prête à entretenir des “relations amicales”. La Russie a estimé que leurs assurances en matière de liberté d’opinion constituaient un “signal positif”. La Turquie a aussi salué des “messages positifs” et l’Iran a fait des gestes d’ouverture. 


Ces discours pourraient éventuellement mener des pays occidentaux à normaliser leurs relations avec les Taliban, selon Sébastien Boussois. “Si l’on admet qu’ils ont changé, alors on pourrait traiter avec eux pour empêcher l’Afghanistan de devenir une nouvelle Corée du Nord ou dans un pays plongé dans un éternel chaos. Si les pays occidentaux ne le font pas, d’autres pays le feront, c’est ce qu’il se passe avec la Chine et la Russie en ce moment”. 

Pour l’instant, les réponses occidentales sont dispersées. Les États-Unis pourraient reconnaître un gouvernement taliban s’il “préserve les droits fondamentaux de son peuple”, en particulier des femmes. L’Allemagne jugera sur les actes.  Londres veut voir s’il y a “une possibilité de modérer le type de régime que nous allons désormais voir en place”. Le Canada, lui, n’a “pas l’intention” de reconnaître ce gouvernement.

Quant au chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, il estime que l’UE “devra parler” aux Taliban “aussi vite que nécessaire”. De son côté, l’Élysée a souligné que la question de la reconnaissance du régime taliban par Paris ne se posait pas car “la France reconnaît les pays, pas les régimes”. 

Ce que les Taliban ont appris de leur défaite en 2001 

Les Taliban, considérés comme des protecteurs de terroristes, cherchent une reconnaissance internationale afin d’empêcher une intervention étrangère militaire . Ils se souviennent que l’invasion américaine de l’Afghanistan découlait de leur refus de livrer la tête pensante des attaques du 11-Septembre Oussama Ben Laden, et non de leur constante violation des droits humains depuis de nombreuses années. 

Même si les Taliban risquent peu de transiger sur leur ligne idéologique, ils feront en sorte que l’Afghanistan ne soit plus utilisé comme une base arrière pour les attaques d’Al-Qaïda à travers le monde, selon le journaliste de France 24 Wassim Nasr, expert des mouvements jihadistes. 

“Les Taliban sont plus forts que ce qu’ils étaient dans les années 90. Ils ont plus d’expérience militaire et politique. Cela ne les rend pas plus ouverts d’esprit. Mais ils ne prendront pas le risque d’être renversés une seconde fois à cause d’une provocation d’Al-Qaïda. Ils les garderont sous contrôle”, explique Wassim Nasr.

Les Taliban ont maintenu des relations très fortes avec leurs partenaires jihadistes. Des documents internes montrent que toutes les branches d’Al-Qaïda ont prêté serment d’allégeance envers les Émirats islamiques d’Afghanistan et que certains de leurs soldats ont participé à des combats en août 2021, d’après Wassim Nasr. 


Mais l’émergence de l’organisation État islamique a conduit plusieurs pays à s’appuyer sur les Taliban pour contenir cette nouvelle menace. Les informations faisant état du meurtre d’un chef de l’EI après la prise de contrôle par les Taliban d’une prison où il était détenu montrent que les nouveaux dirigeants afghans remplissent leur part de l’accord, pour l’instant.  

“Si les Taliban empêchent l’EI de s’étendre en Asie centrale, les Russes seront contents. S’ils empêchent les Ouighours de rejoindre l’EI, les Chinois seront contents. Et s’il n’y a plus d’attaques d’Al-Qaïda planifiées depuis l’Afghanistan, les Américains seront contents”, estime le spécialiste des mouvements jihadistes.

Indépendamment des inquiétudes concernant les violations des droits humains, vingt ans plus tard, les Taliban ont finalement retrouvé une certaine place dans la communauté internationale. 

Cet article a été adapté de l’anglais par Stéphanie Trouillard. L’article original est à retrouver ici.

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