Des vidéos censées illustrer du “graphène” ou de “l’oxyde de graphène”, que certains croient dissimulés dans certains vaccins contre le Covid-19, circulent sur les réseaux sociaux depuis quelques jours. Elles montrent toutes une matière sombre se mouvoir étrangement. Il s’agit en réalité d’images qui n’ont rien à voir avec du graphène, ni même d’ailleurs avec ses propriétés.
Matériau extrêmement léger, conducteur, souple et plus résistant que l’acier : le graphène a suscité beaucoup d’enthousiasme et d’espoir en matière d’innovation de l’électronique au biomédical, après sa synthétisation en 2004.
Depuis quelques mois, le matériau alimente également les fantasmes de certains opposants au vaccin contre le Covid-19. Il serait par exemple responsable du magnétisme du vaccin Pfizer, non avéré, comme l’expliquait déjà en mai Les Observateurs de France 24.
Fin mai, alors que la rumeur courait dans le monde hispanophone, nos confrères de l’AFP factuel et de Maldita.es. en Espagne avaient démenti la présence de graphène dans ce vaccin, puis plus récemment début juillet après la diffusion d’une “étude” espagnole censée démontrer, faussement, que l’oxyde de graphène représenterait 99,9 % d’une dose de Pfizer.
Le matériau encore peu connu du grand public continu pourtant d’attirer les soupçons de certains : des vidéos affirmant montrer “le graphène en action” se multiplient sur les chaînes Telegram à tendance complotistes ou comptes Twitter, Facebook ou encore TikTok. Elles montrent souvent une matière sombre, compacte ou dispersée, qui réagit comme si elle était électromagnétique.
Dans la plupart des publications, c’est “l’oxyde de graphène” qui est soupçonné, qui n’a pourtant pas tout à fait les mêmes propriétés : il n’est ni conducteur, ni imperméable. Beaucoup font néanmoins l’amalgame et parlent successivement des deux matériaux.
Expériences ludiques sans rapport pour illustrer “le graphène en action”
Dans cette première vidéo, on voit par exemple des petites billes s’agiter étrangement pour s’assembler en réseau dans une boîte de Pétri. Elle a notamment circulé sur les réseaux sociaux en début de semaine dernière. Sa légende indique “de l’oxyde de graphène dans le vaccin”.
On retrouve la version originale de cette vidéo via une recherche d’image inversée sur la chaîne YouTube du “Stanford complexity group” liée à l’université américaine du même nom. Intitulée “Self Assembling Wires” l’expérience montre en réalité des billes en acier plongées dans de l’huile de ricin entourée par un cerceau en métal, qui s’assemblent au contact d’une charge électrique pour former un courant. Et en aucun cas du graphène ou de l’oxyde de graphène.
Même mécanisme pour cette autre vidéo où l’on voit une masse sombre qui s’agite à l’approche d’un aimant, au point même de l’engloutir, prétendant montrer “à quoi l’oxyde de graphène ressemble”.
Il s’agit en réalité d’un tutoriel publié par Buzzfeed en 2016 pour fabriquer une sorte de “slime”, matière visqueuse amusante prisée par les jeunes et pour laquelle il existe des milliers de tutoriels. Dans cette “recette”, on a ajouté de l’oxyde de fer (et non de graphène), ce qui explique son comportement magnétique.
Enfin, parmi la série de vidéos trompeuses qui circulent sur ces mêmes réseaux, celle-ci avance montrer du graphène réagir à l’approche d’un téléphone. Ce n’est encore une fois pas du graphène, mais plutôt un minerai magnétique selon la chaîne russe qui publie cette exacte même vidéo en 2015, qui de plus s’animerait vraisemblablement à l’aide d’un aimant caché, à en croire les nombreux commentaires sceptiques en russe.
Ni ultra magnétique, ni dans les vaccins – mais des pistes pour le biomédical
La rédaction des Observateurs de France 24 a contacté plusieurs experts pour en savoir plus sur ce nanomatériau.
Le graphène est techniquement une couche unique d’atomes de carbone positionnés en réseaux hexagonaux, comme un nid d’abeille. Dans la nature, ces couches sont empilées : c’est le graphite, qu’on trouve notamment sur les mines de crayon à papier. Depuis sa synthétisation en 2004, de nombreuses études ont été lancées pour trouver des champs d’application du matériau, y compris dans le biomédical.
Une vidéo réalisée par le “Graphene Flagship” pour expliquer ce qu’est le graphène.
Emmanuel Flahaut, directeur de recherche au CNRS et spécialiste du graphène, est catégorique : au-delà du fait que ces vidéos ne représentent absolument pas du graphène, le matériau n’a ni cette apparence, ni ce comportement magnétique :
“L’oxyde de graphène semble posséder des propriétés magnétiques très modérées mais il est impossible que cela puisse conduire à magnétiser quoi que ce soit. L’oxyde de graphène en poudre n’est pas attiré par un aimant. En supposant qu’une quantité quelconque soit présente dans un produit, elle serait insuffisante pour induire la moindre propriété magnétique au niveau macroscopique.
Ses propriétés optiques pourraient permettre des applications pour l’hyperthermie – c’est-à-dire une augmentation locale de la température, sous l’influence de l’irradiation par un laser par exemple – afin de traiter des cancers notamment. Il pourrait aussi servir de cargo pour des molécules qui se dissolvent difficilement dans l’eau (et donc aussi dans les fluides biologiques) pour faciliter leur transport jusqu’à des cellules cibles.”
En 2020, une étude conduite par des chercheurs du CNRS et de l’université de Strasbourg a notamment tenté d’évaluer le rôle du graphène dans la lutte contre le Covid-19.
Le graphène, potentiellement toxique pour l’homme ?
Pendant la crise du Covid-19, le graphène a fait au contraire, plutôt polémique : en mai 2021, 17 millions de masques FFP2 à destination des soignants ont ainsi été rappelés par le ministère, car ils contenaient du graphène “élément potentiellement dangereux”.
Si l’épisode semble donner en partie raison aux détracteurs du nanomatériau, il n’y a en fait pas de réponse définitive au sujet de la toxicité du graphène et de l’oxyde, selon plusieurs chercheurs comme Maurizio Prato, responsable de santé et d’environnement au sein du “Graphene Flagship” financé par l’Union Européenne et qui coordonne la recherche dans ce domaine :
“Nous avons plusieurs groupes de scientifiques qui étudient les effets du graphène et de l’oxyde de graphène notamment sur la santé humaine et l’environnement. Jusqu’à présent, nous n’avons pas trouvé d’effet néfaste particulier, mais des investigations supplémentaires sont nécessaires.”
De son côté, Emmanuel Flahaut, souligne que si les différentes études ne sont pas toujours convergentes et difficiles parfois à comparer, certaines tendances se dégagent :
“Le graphène n’allume pas de signal d’alarme particulier, sauf en cas d’inhalation directe de ce matériau sous forme de poudre. Ce qui est impossible pour les utilisateurs, mais pourrait en revanche concerner certains travailleurs qui en utiliseraient pour l’incorporer dans des produits commerciaux.
L’oxyde de graphène en revanche est beaucoup plus préoccupant, car nos travaux en collaboration avec différents laboratoires de biologie ont mis en évidence qu’il est souvent génotoxique. Nous avons cependant montré qu’il est possible de faire disparaître la génotoxicité par traitement chimique.”