Lundi 2 août, des heurts ont éclaté entre des dizaines de ressortissants africains et la police à Bangalore, dans le sud de l’Inde, au lendemain de la mort d’un étudiant congolais en détention. Ce dernier avait été arrêté la veille pour suspicion de possession de drogue. Si l’un de ses proches affirme ne plus se sentir désormais en sécurité, d’autres Congolais vivant en Inde souhaitent rester optimistes malgré tout.
À Bangalore, la psychose règne encore au sein de la communauté congolaise depuis la manifestation spontanée du lundi 2 août, sévèrement réprimée par la police locale. Des dizaines de ressortissants africains s’étaient réunis devant le commissariat du quartier JC Nagar après avoir appris le décès, la veille, de Joël Malu, étudiant congolais en informatique de 27 ans, alors qu’il était en garde à vue.
Marc (pseudonyme), ami de Joël, qui a participé à la manifestation, a dû fuir pour échapper à la bastonnade des policiers. Il était également avec la victime, une heure avant son arrestation sur la voie publique. Joël Malu était suspecté par la police de posséder de l’ecstasy, un psychotrope de la famille des amphétamines proscrite en Inde.
Il revient sur les circonstances de son arrestation :
“Comment a-t-il pu mourir comme cela ?”
[Le jour de l’arrestation de Joël, NDLR] Nous étions ensemble dans l’appartement d’un ami pour célébrer un anniversaire. Mais Joël devait rentrer chez lui pour se changer et a été arrêté en chemin par la police, qui a affirmé qu’il possédait de la drogue [cette version de la police a été niée par plusieurs proches de Joël, dont notre témoin, NDLR]
Après l’avoir emmené au commissariat, ils sont revenus fouiller l’appartement où se déroulait la fête d’anniversaire. Ils n’ont rien trouvé et ont exigé une caution de 1 500 dollars pour libérer Joël. On s’apprêtait à venir payer cette somme quand on a été informé de son décès.
Nous étions six au départ à venir au commissariat. Mais les policiers ne disaient rien sur les circonstances du décès de notre ami. C’est ainsi que nous avons alerté le reste de la communauté. Nous sommes revenus avec une trentaine de personnes pour demander justice et des éclaircissements sur le décès de notre ami et c’est à ce moment là que des renforts sont venus pour nous matraquer.
Joël a-t-il été torturé ? Comment a-t-il pu mourir comme cela ? Il était pourtant bien portant. Nous avons désormais peur de sortir et d’être arrêtés parce que la police recherche encore les gens qui ont participé à la manifestation.
Au moins six personnes ont été blessées lors des échauffourées et cinq personnes arrêtées pour avoir attaqué des agents de la police, selon The Hindou, un quotidien essentiellement diffusé dans le sud de l’Inde.
Selon Basavaraj Bommai, ministre de l’État du Karnataka, Joël Malu aurait bien été arrêté pour suspicion de trafic de drogues, et gardé en détention car ses papiers n’étaient plus en règle. “Son visa étudiant avait expiré en décembre 2016 et le passeport a également expiré en juin 2017” a-t-il expliqué devant la presse indienne.
Il a ajouté qu’une enquête avait été ouverte et a renouvelé à cette occasion sa ferme intention de lutter, de manière générale, contre le trafic de drogue.
L’Inde mène depuis le début de l’année une lutte implacable à ce sujet. Plusieurs coups de filet de la police ont permis d’arrêter plusieurs trafiquants de drogue, dont plusieurs venant d’Afrique.
En juin, un étudiant africain, dont la nationalité n’a pas été précisée, a été arrêté pour trafic de cocaïne, selon le Bangalore Mirror. En mars, la police avait mis la main sur quatre Tanzaniens et deux Ougandais pour possession de plusieurs kilos de cocaïne évalués à 6,7 millions de roupies, soit environ 76 000 euros.
“Nous ne sommes pas des dealers”
Ces arrestations basées sur des faits avérés concourent à alimenter les préjugés et les suspicions de trafic de drogue à l’encontre des communautés africaines de manière indifférenciée, selon l’ami de Joël Malu. Un harcèlement policier sur fond de racisme et de discrimination .
On ne peut pas assimiler tous les Africains à des trafiquants. Dans toute communauté, il y a des bonnes personnes mais également des mauvaises. Nous sommes venus pour étudier. Nous ne sommes pas des dealers.
Nous voulons rentrer parce qu’on ne se sent plus en sécurité. De mauvaises choses peuvent t’arriver à n’importe quel moment.
“Les étudiants n’ont pas pu se contrôler”
Des zones d’ombre demeurent sur les circonstances exactes de la mort de Joël Malu. Les premières conclusions de l’autopsie indiquent “une mort par asphyxie”, a affirmé Japhet Zola, président de la communauté congolaise à Bangalore, contacté par la rédaction des Observateurs de France 24.
Ce dernier affirme également qu’aucune “trace de torture n’a été retrouvée sur le corps du défunt.”
Nous attendons un rapport supplémentaire pour avoir plus de détails sur son décès. Mais ce que nous savons déjà, c’est que l’étudiant avait mal à la poitrine et se sentait étouffé. Son pouls ne répondait plus quelques heures après que la police l’ait conduit à l’hôpital. Ils ont tenté de le réanimer, en vain.
Avec la délégation de l’ambassade congolaise qui a été dépêchée, nous sommes en train de négocier pour que ceux qui ont été arrêtés [cinq personnes au total, NDLR] et qui ont été transférés en prison soient libérés le plus vite possible. Ils sont innocents.
La manifestation a dégénéré parce que certains étudiants sur place sont devenus agressifs. Ils ont porté la main sur des policiers indiens. Les étudiants avaient bien entendu le droit de protester. Mais ils n’ont pas pu se contrôler. Et les policiers ont été obligés de riposter. Bien entendu, la riposte ne devait pas être aussi extrême. Je la condamne.
Représailles à Kinshasa et appels au calme
Après l’annonce de la mort de Joël Malu, des magasins tenus par des Indiens ont été vandalisés mercredi et jeudi à Kinshasa et à Lubumbashi en République démocratique du Congo. Christophe Lutundula, vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de la RD Congo, a appelé mercredi les populations au calme à la suite d’une rencontre avec l’ambassadeur indien.
Déjà, en mai 2016, des représailles similaires avaient eu lieu après la mort d’Olivier Masonda, étudiant originaire de la RD Congo devenu professeur de français. Le ressortissant congolais avait été tué à coups de pierres et de briques par trois agresseurs indiens dans un quartier huppé de New Delhi en voulant prendre les transports en commun.
“Les Indiens s’ouvrent et apprennent à connaître les Africains”
Mais pour Parfait (pseudonyme), un autre étudiant qui vit à Bangalore depuis 2013 et qui a souhaité rester anonyme, les tensions entre les deux communautés ont globalement diminué ces dernières années :
Depuis 2016, je dirais que les Indiens sont devenus un peu plus tolérants. Il n’y a plus trop d’altercation entre Indiens et Africains. Ce n’est pas parce qu’ils nous aiment un peu plus. Mais juste que le racisme n’est plus direct. C’est un peu plus insidieux.
Certes, il y a encore du chemin. Mais auparavant par exemple, on ne pouvait pas te voir marcher avec une Indienne. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de brassage entre les deux communautés. Les Indiens s’ouvrent et apprennent à connaître les Africains.
La question du racisme en Inde est une thématique régulièrement couverte par la rédaction des Observateurs de France 24 : en juillet 2020, deux étudiants nigérians et guinéens avaient été tabassés par des agents de sécurité privé après avoir été expulsés de leur université pour non-respect des mesures de confinement.