Le nouveau président iranien Ebrahim Raïssi doit faire face à de nombreux défis, entre la crise économique et sociale, la sécheresse qui touche durement le pays et la tension renouvelée avec Israël en pleine négociation sur le nucléaire.
À 60 ans, Ebrahim Raïssi, qui a été investi jeudi 5 août par le Parlement iranien, prend les rênes du pays avec d’immenses défis à relever, mais peu de marge de manœuvre.
Premier défi, sans doute celui sur lequel ce protégé du Guide suprême est le plus attendu : redresser l’économie iranienne. Il prend la tête d’un pays touché par une violente crise économique et sociale, amplifiée par les conséquences de la pandémie de Covid-19. L’Iran, qui souffrait déjà de problèmes économiques structurels, a plongé en 2018, lorsque les États-Unis se sont retirés de l’accord sur le nucléaire iranien, avant de rétablir des sanctions contre Téhéran.
Lever les sanctions sur l’économie iranienne
Pour inverser la tendance, le nouveau président dispose d’un premier levier, celui de la diplomatie. S’il parvient à faire aboutir les négociations sur le nucléaire qui se tiennent à Vienne entre l’Iran et les Occidentaux et à faire lever les sanctions américaines, Téhéran pourrait de nouveau exporter son pétrole, dont le volume a chuté de 2 millions de barils bruts par jour avant 2018 à 500 000 aujourd’hui. Un bon moyen pour Ebrahim Raïssi de faire entrer rapidement de l’argent dans les caisses de l’État.
Avec la levée éventuelle des sanctions, “on aura une stabilisation de l’environnement macro-économique avec une accélération de la croissance et une baisse de l’inflation”, détaille Thierry Coville, spécialiste de l’économie iranienne à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) de Paris. Mais il faudra accompagner les attentes de la population car “un des risques est que les gens pensent que tout va s’améliorer tout de suite et se retrouvent très déçus”, prévient le chercheur.
Sur le nucléaire iranien, Ebrahim Raïssi a déjà donné le ton. Le nouvel homme fort de Téhéran se dit prêt à poursuivre les négociations, mais pas à n’importe quel prix : “Nous chercherons certainement à obtenir la levée des sanctions oppressives. Mais nous ne lierons pas les conditions de vie de la Nation à la volonté des étrangers”, a-t-il prévenu dès son discours d’intronisation mardi.
Sa ligne est celle des ultraconservateurs iraniens, hostiles à tout rapprochement avec l’Occident, en particulier avec les États-Unis. Pourtant pour Pierre Berthelot, directeur de la revue “Orients stratégiques”, interrogé par France 24, il s’agit avant tout d’une “posture”. “En choisissant un ultraconservateur à sa tête, l’Iran envoie un signe que les négociations avec l’Occident sur le nucléaire mais aussi sur l’influence régionale de l’Iran vont être très dures. Mais le régime souhaite la levée des sanctions qui sont très pénalisantes pour l’économie iranienne, donc il est probable qu’on arrive à terme aux paramètres d’une négociation équilibrée, même si ça va être difficile et long. L’Iran va être beaucoup plus exigeant et plus méfiant”.
Il n’en reste pas moins que pour Ebrahim Raïssi, comme pour tous les présidents iraniens l’ayant précédé, les décisions en matière de politique étrangère sont soumises à l’approbation du Guide suprême. La marge de manœuvre est délicate. L’ayatollah Ali Khamenei dicte le tempo en la matière, y compris pour les négociations sur le nucléaire, et Ebrahim Raïssi interprète la partition.
La crise avec Israël, les Taliban en Afghanistan
Autre dossier brûlant en cours : les relations avec Israël. Ebrahim Raïssi prend son poste en plein milieu d’une escalade des tensions. L’État hébreux accuse Téhéran d’être derrière une attaque de drone sur un pétrolier appartenant à un milliardaire israélien dans la mer d’Oman le 29 juillet. L’attaque a fait deux morts dans l’équipage. Un incident grave qui pourrait faire basculer les deux pays dans une “guerre froide”, selon les experts des relations irano-israéliennes.
Dans le cas d’Israël, bien que la politique étrangère iranienne soit dictée par le Guide suprême, les discours du président iranien et le ton adopté par celui-ci peuvent, dans un cas comme dans l’autre, attiser les tensions ou éteindre les braises. En 2012, l’ancien président Mahmoud Ahmadinejad qui avaient appelé à “rayer Israël de la carte”, avait provoqué une des pires crises de l’histoire entre les deux pays.
Dans la région enfin, Téhéran à de quoi s’inquiéter. Les Taliban progressent à grande vitesse chez le voisin afghan, où ils risquent très probablement de prendre le pouvoir d’ici quelques semaines. “Ils ont pour le moment des relations plutôt normales, mais une fois qu’ils seront au pouvoir en Afghanistan, les Taliban pourraient se retourner contre l’Iran, puisque l’Iran est une théocratie chiite et que pour les Taliban [qui ciblent les chiites dans leur propre pays], les chiites ne sont pas des musulmans”, explique sur France 24 le sociologue Farhad Khosrokhavar, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
Défi écologique
Loin de la politique étrangère, le nouveau président iranien doit aussi affronter l’une des plus sévères sécheresse que l’Iran ait connu depuis des décennies. Un défi écologique que l’Iran ne peut plus se permettre de négliger. “La crise environnementale en Iran est une réalité”, note Thierry Coville, mais jusqu’à présent, “on a l’impression que le gouvernement n’est pas capable de mettre en place une politique d’ensemble”.
Les coupures d’eau successives ont alimenté cette année la colère des Iraniens, qui ont dénoncé un système de distribution gangréné par la corruption à travers des manifestations violemment réprimée en juillet, notamment dans la province du Khouzistan, frontalière avec l’Irak. “Les ressources en eau sont épuisées”, estime le journaliste réformateur Ahmad Zeidabadi, mentionnant aussi “la destruction des ressources naturelles” sous la pression de certaines activités économiques. “Malheureusement, déplore-t-il, “il suffit qu’il pleuve deux fois pour que les responsables l’oublient complètement”.
Mais d’après Clément Therme, chercheur associé à l’Institut universitaire européen de Florence, “les causes du problème [sont hors du] champ des compétences du président” car la protection des ressources naturelles en Iran vient contrarier les “intérêts économiques des entreprises” du secteur paraétatique qui représente 20 à 30 % de l’économie iranienne. Or ces dernières échappent au contrôle de l’exécutif.
En cause notamment, les Gardiens de la révolution – force chargée de défendre les idéaux de la République islamique – qui possèdent de nombreuses entreprises de travaux publics, de logistiques et de grands aménagements urbains (barrages, routes, ports…). Des société qui fonctionnent comme des entités paraétatiques sans traçabilité claire, “échappant au contrôle du président de la République islamique ainsi qu’à l’impôt et bénéficiant de places préférentielles lors des appels d’offres”, expliquait en juin à France 24 Jonathan Piron, historien spécialiste de l’Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles.
Lutte contre la corruption
Pour Ebrahim Raïssi qui s’est présenté durant toute sa campagne comme un champion de la lutte contre la corruption, le défi paraît quasi-impossible à relever. Pourtant, il est attendu au tournant par les Iraniens. S’il réussit à marquer des points en limitant les passe-droits, le nouveau président pourrait regagner la confiance du peuple, un pari de taille.
“La crise de confiance [vis-à-vis des autorités] est profonde et à grande échelle”, avertit le journaliste réformateur Ahmad Zeidabadi. En témoigne la présidentielle de juin, qui a connu la plus basse participation (48,8 %) à un tel scrutin depuis la proclamation de la République islamique en 1979.
Le drame de l’avion de ligne ukrainien (176 morts) abattu en janvier 2020, et pour lequel les autorités n’ont reconnu leur responsabilité qu’après trois jours de déni, ainsi que la répression sanglante de deux vagues de contestation, à l’hiver 2017-2018 et en novembre 2019, ont laissé des traces.
“Ce qui a causé le plus de problèmes, c’est la confiance du peuple qui a été endommagé”, avait lui-même reconnu Ebrahim Raïssi lors de son intronisation, conscient de l’enjeu.
Avec AFP