Alors que le pays fait face à une hausse des cas de contaminations au Covid-19, le mécontentement monte en Malaisie contre le Premier ministre, Muhyiddin Yassin. fin juillet, des centaines de jeunes sont descendus dans la rue pour réclamer sa démission. Une mobilisation rare.
Des drapeaux noirs, des vêtements noirs, des masques sur le visage et un mot sur toutes les lèvres : “Lawan”, “combat” en malais. Samedi 31 juillet, une foule de jeunes a bravé le confinement instauré depuis deux mois en Malaisie dans le cadre de la lutte contre le Covid-19. Pancartes à la main, ils sont descendus dans les rues de Kuala Lumpur pour réclamer la démission du Premier ministre, Muhyiddin Yassin.
“Nous nous battons car pendant que des personnes souffrent, ce gouvernement est occupé à jouer à la politique”, témoignait ainsi, Karmun Loh, un participant à la manifestation, à l’AFP. “Ce gouvernement (…) paralyse l’économie et détruit aussi notre démocratie”, ajoutait-il.
Muhyiddin Yassin “est un très mauvais premier ministre”, expliquait Shaq Koyok, un autre manifestant. “Il faut qu’il démissionne.”
Dans le cortège, samedi, les manifestants lui reprochaient unanimement de multiplier les manœuvres politiques pour se maintenir en poste, plutôt que de prendre à bras-le-corps la crise sanitaire. “Le gouvernement en échec”, pouvait-on lire sur plusieurs pancartes.
“Le pays vit actuellement une triple crise : politique, économique et sanitaire”, résume Sophie Lemière, anthropologue politique à l’université de Nottingham, en Malaisie, interrogée par France 24.
“Le gouvernement en échec”
“Muhyiddin Yassin a été désigné Premier ministre par le roi, à la surprise générale, en mars 2020, quelques jours avant le premier confinement”, rappelle la spécialiste. “Depuis son accession à ce poste, il est confronté, à la fois, à une forte hostilité de la part des partis d’opposition mais aussi à celle de certains membres de son groupe. Les tentatives de renversement se sont multipliées.”
En janvier 2020, plaidant la crise sanitaire, Muhyiddin Yassin avait décidé d’instaurer l’état d’urgence dans le pays. Une manière de faire taire temporairement ses opposants en gelant la vie parlementaire.
Mais, alors que le pays connaît actuellement sa plus forte progression de l’épidémie depuis le printemps 2020, malgré des règles sanitaires strictes et des confinements successifs, le mécontentement ne fait que se renforcer à l’encontre du Premier ministre. Au total, le pays a enregistré près de 1,1 million de cas, plus de 8 900 morts et comptabilise en ce moment plus de 17 000 cas quotidiens.
Des jeunes touchés de plein fouet par la crise sanitaire
Les jeunes sont touchés de plein fouet par la crise sanitaire. “Avant même la crise du Covid-19, la situation était difficile pour eux”, explique Sophie Lemière. “Le taux de chômage est important parmi les jeunes diplômés et les quelques emplois disponibles sont souvent peu qualifiés”, poursuit-elle.
Avec la pandémie, la situation s’est encore dégradée. “La majorité des jeunes ont été privés de leur petit boulot. Les étudiants se sont retrouvés isolés avec l’obligation de suivre des cours en ligne”, énumère la spécialiste, faisant état d’”une forte détresse psychologique”.
Plusieurs associations ont par ailleurs alerté sur des vagues de suicides sur les campus universitaires, dans un pays où tenter de mettre fin à ses jours est toujours considéré comme illégal. Selon le journal local “Free Malaysia Today”, la police a relevé au sein de la population 468 suicides au 1er juillet, contre 631 pour toute l’année 2020.
Dans les manifestations, outre leurs revendications politiques, certains jeunes réclamaient ainsi un moratoire pour geler les remboursements des prêts étudiants.
Les drapeaux noirs qui inondaient les rues samedi comme signe de contestation, sont par ailleurs venus remplacer des drapeaux blancs, accrochés aux fenêtres depuis fin juin pour signaler quand une famille a besoin d’aide, notamment alimentaire.
The fly the white flag campaign to help desperate households in need of help or assistance during the current #COVID19 pandemic is fast becoming a trend in Malaysia. It is believe the campaign started following reports of increasing suicide cases in the country #benderaputih pic.twitter.com/TM6bB6CIEl
— Kuala Lumpur Reporter (@KL_Reporter) June 29, 2021
Les prémices d’un mouvement plus structuré ?
Si ces manifestations n’ont rassemblé qu’au total 1 000 personnes selon les associations, 500 selon la police, elles ne sont pas anodines. “Elles ont une forte valeur symbolique”, insiste Sophie Lemière. “En Malaisie, la jeunesse n’est pas du tout encouragée à s’engager dans la vie politique. Bien au contraire. Elle en est plutôt dissuadée. Par exemple, les associations politiques à l’université sont strictement interdites”, explique-t-elle.
“Sans nul doute que sans le contexte pandémique, la mobilisation aurait été bien plus importante”, estime-t-elle par ailleurs. Avant d’investir les rues, les drapeaux noirs étaient d’abord apparus sur les réseaux sociaux, sous formes d’emojis. Et en ligne, le mouvement a pris de l’ampleur, notamment sur Twitter. Les contestataires multipliant aussi les messages sous le mot-clé #Lawan, combat en malais.
“Il sera intéressant de voir si nous sommes, justement, aux prémices d’un mouvement plus structuré de la jeunesse”, interroge Sophie Lemière.
“Le pays s’enfonce dans une crise politique”
La tension politique est encore montée d’un cran, le 2 août, lorsque des députés malaisiens ont été empêchés de siéger au Parlement. Une session extraordinaire devait avoir lieu malgré l’état d’urgence, mais celle-ci a été annulée au dernier moment à la demande du Premier ministre, évoquant un cas de Covid-19 dans le bâtiment. La décision a immédiatement provoqué l’ire de l’opposition, qui dénonce une excuse pour échapper à un vote qui pourrait faire tomber le gouvernement.
Plusieurs députés, dont deux grands rivaux de la politique malaisienne, Mahathir Mohamad et Anwar Ibrahim, ont ainsi à leur tour manifesté pour réclamer la démission du Premier ministre. Ils ont rapidement été stoppés par les boucliers des forces de l’ordre.
“Même quand les gens le condamnent, il résiste de façon éhontée et refuse de démissionner”, a déclaré Mahathir Mohammad, ancien Premier ministre de 96 ans, à des journalistes.
“Le pays continue de s’enfoncer dans une crise politique majeure…”, estime Sophie Lemière. “Le Premier ministre est clairement sur un siège éjectable. Toute la question est de savoir combien de temps il parviendra à manœuvrer pour rester en poste.” Seule des élections pourraient apaiser les tensions, mais ces dernières ont été reportées sine die en raison du contexte sanitaire.