Alors que la situation sanitaire continue de s’aggraver en Tunisie, le ministère de la Santé a lancé mardi 20 juillet, à l’occasion des jours fériés de l’Aïd al-Adha, une campagne de vaccination exceptionnelle ouverte à tous les adultes. Tout au long de cette journée, de longues files d’attente se sont formées devant les centres de vaccination, provoquant dans certaines villes des tensions et des bousculades. Cette opération, qui devait se poursuivre mercredi 21 juillet, a finalement été suspendue.
L’organisation de ces deux journées “portes ouvertes” à la vaccination contre le Covid-19 n’a été annoncée que lundi 19 juillet par le ministère de la Santé. Sur les réseaux et dans la presse locale, certains avaient prédit la pagaille : en une journée, 29 centres de vaccination devaient se préparer à accueillir sans rendez-vous tous les Tunisiens de plus de 18 ans souhaitant recevoir leur première injection.
Plusieurs images partagées en ligne mardi 20 juillet dans la matinée ont témoigné des longues files d’attente devant les espaces de vaccination censés ouvrir à 13 h.
“Des tickets numérotés de 1 à 1 000 avaient été distribués”
Face à une telle ruée, certains centres se sont retrouvés débordés. En banlieue sud de Tunis, à Radès, Omar (pseudonyme), a pris des vidéos de la foule attendant devant le seul centre de vaccination du gouvernorat. Arrivé à 12 h 30 sur place, il n’a pas pu obtenir le ticket pour se faire vacciner :
Nous sommes arrivés comme prévu mais nous avons été surpris de savoir que [les organisateurs] avaient déjà distribué depuis le matin des tickets numérotés de 1 à 1 000.
Nous avons été informés qu’il n’y avait pas de vaccins disponibles. C’était une mauvaise expérience, avec le risque de contaminations [en raison de la foule, NDLR]. Je retournerai peut être me faire vacciner, si c’est organisé avec un rendez-vous.
“Je comprends la frustration des gens, mais c’était apocalyptique”
Dès l’ouverture du centre, certains patients ont tenté d’entrer de force. Des vidéos prises par des bénévoles à l’intérieur montrent le personnel soignant bloquer la porte principale. Aux alentours de 15 h, cette porte a cédé. Amina (pseudonyme), soignante, était venue bénévolement prêter main forte pour la vaccination. Elle raconte :
J’avais prédit qu’en raison de l’Aïd, il n’y aurait pas assez de personnel et qu’il faudrait du renfort. Hier [mardi 20 juillet, NDLR], c’était le chaos total, le centre devait ouvrir à 13 h. Mais il paraît que des gens sont venus vers 6 h du matin.
Quand je suis arrivée, c’était impossible de rentrer, il y avait une foule, c’était la bousculade. Il n’y avait pas de service d’ordre et qu’une seule porte d’accès. Les bénévoles ont été dépassés. On a appelé les forces de l’ordre, qui ont aussi été dépassées. En attendant, on a essayé de faire vite pour vacciner. Quand on faisait entrer les gens, on devait péniblement refermer la porte derrière eux. Pour faire sortir les gens vaccinés, ce n’était pas possible : dès qu’on ouvrait la porte, c’était la ruée. Parmi les bénévoles, certains étaient paniqués et ont fait des crises d’angoisse. La porte a fini par totalement tomber et nous avons fermé le centre vers 16 h, avant d’avoir fini les vaccinations.
Jusqu’ici, les vaccinations se sont faites par âge, on est arrivé au seuil des plus de 50 ans. Donc toute la frange de 18 à 50 ans était en demande. C’est une mauvaise gestion. Je comprends la frustration des gens, mais c’était apocalyptique.
Dans d’autres centres, la vaccination s’est déroulée plus sereinement, comme à l’Ariana, au nord de la capitale. Sur Facebook, Lamia Kallel, présidente du Conseil régional de l’Ordre des médecins de Tunis, s’est félicitée des “3 500 doses” de vaccin délivrées “en six heures de temps”.
“Le problème, c’est qu’il y a eu une communication trop tardive”
À Nabeul, dans le nord-est de la Tunisie, cette journée “portes ouvertes” a également été une réussite. Mohamed Ameur Stambouli, chargé de projets et d’activités au sein d’une association locale, s’est porté bénévole pour l’organisation de la campagne de vaccination. Il estime que c’est la mobilisation de la société civile qui a permis de répondre à l’urgence :
On a vacciné 1 053 personnes. L’ouverture du centre était prévue pour 13 h, mais on a commencé dès 8 h du matin en distribuant des tickets numérotés et en demandant aux gens de revenir à une certaine heure, pour éviter les files d’attente. On est resté jusqu’à 22 h à peu près. À Nabeul, c’est la société civile qui a pris en charge l’organisation et qui a su éviter ce que la décision du gouvernement pouvait engendrer. Le problème, c’est qu’il y a eu une communication trop tardive.
Le ministre de la Santé limogé, des candidats à la vaccination renvoyés chez eux
Dans la soirée du mardi 20 juillet, la communication des autorités a de nouveau été confuse. Aux alentours de 17 h, dans un communiqué, le ministère de la Santé a annoncé que la deuxième journée de vaccination de l’Aïd al-Adha serait réservée au 40-50 ans, pour “éviter la surpopulation”.
En début de soirée, le chef du gouvernement tunisien, Hichem Mechichi, a limogé le ministre tunisien de la Santé Faouzi Mehdi, à l’origine des ces journées “portes ouvertes”. Un peu plus tard, la presse a annoncé la suspension de la campagne de vaccination.
Ce mercredi 21 juillet, les 29 centres de vaccination étaient donc fermés au public. À Nabeul, Mohamed Ameur Stambouli s’est toutefois rendu sur place, pour prévenir les habitants non informés qui faisaient encore la queue dans l’espoir de recevoir le vaccin :
On avait déjà distribué des numéros pour aujourd’hui [mercredi 21 juillet]. Les gens étaient fous furieux.
Depuis fin juin, la Tunisie, qui a officiellement enregistré près de 550 000 cas de Covid-19, dont 17 644 décès, fait face à une forte reprise de la pandémie due notamment au variant Delta. Face aux pénuries d’oxygène, de personnel médical et de lits de réanimation, le pays a lancé un appel à l’aide internationale.
Selon les chiffres du ministère de la Santé mardi 20 juillet, 825 410 personnes ont reçu deux doses de vaccin contre le Covid-19, soit moins de 8 % de la population.