Short trop long, slip trop court, bonnet de bain pour coiffure afro jugé non conforme… Avant le début des Jeux, plusieurs athlètes se sont fait réprimander pour leurs choix vestimentaires. France 24 a tenté de comprendre pourquoi les règlements relatifs aux tenues des sportives sont si sévères.
Alors que les Jeux olympiques de Tokyo 2021 débutent à peine, l’habillement des athlètes féminines a déjà suscité plusieurs polémiques lors de la phase préparatoire de l’événement.
La double championne du monde paralympique Olivia Breen a été accusée par un officiel d’avoir porté un slip “trop court et inapproprié” lors de l’épreuve du saut en longueur des championnats d’Angleterre, le 18 juillet. La nageuse olympique Alice Dearing s’est vu, de son côté, opposer une interdiction de porter un bonnet de bain pour ses cheveux noirs naturels aux Jeux olympiques de Tokyo de 2021. Enfin, pour des shorts jugés trop longs, l’équipe féminine norvégienne de handball de plage a reçu une amende de sa Fédération. Pourquoi les tenues des athlètes féminines sont-elles soumises à des règles aussi strictes ? De quoi sont-elles le symptôme ? Décryptage.
Culottes “litigieuses”
Pour la paralympienne britannique Olivia Breen, la remarque ne passe pas : “Elle (l’officiel) m’a dit que je devais envisager de porter un short parce que ma culotte était trop courte” explique-t-elle à France 24. “J’étais tellement surprise et abasourdie que je lui ai demandé si elle plaisantait. Elle a répondu que non, et a insisté pour que j’achète un short”. Pour dénoncer cet incident, intervenu après l’épreuve du saut en longueur des championnats d’Angleterre, à Bedford, le 18 juillet, l’athlète olympique galloise s’est fendue d’un message rageur sur Twitter. Soulignant un double standard concernant les codes vestimentaires sportifs, Olivia Breen s’est demandé si des athlètes masculins auraient été soumis au même niveau d’exigence.
“Je porte le même style de culotte de sprint depuis de nombreuses années”, a-t-elle déclaré dans son post. “Je reconnais qu’il doit y avoir des règlements et des directives en ce qui concerne la tenue de compétition, mais les femmes ne devraient pas avoir à se sentir gênées par ce qu’elles portent durant les épreuves, elles devraient se sentir à l’aise et confortables.”
La jeune femme de 24 ans affirme qu’elle était en parfaite conformité avec le règlement sur les tenues sportives, qui autorise les athlètes de sa discipline à porter des vêtements de leur sponsor (la culotte), à condition de revêtir également une veste de club ou celle de leur équipe nationale . À condition que leurs tenues ne soient pas “répréhensibles ou transparentes”. “Nous sommes en 2021, nous ne sommes pas au 18e siècle”, assène-t-elle, lors d’une interview pour France 24. “On ne devrait pas me dire ce que je peux ou ne peux pas porter”.
Olivia Breen a déposé une plainte officielle auprès d’England Athletics, l’instance dirigeante de l’athlétisme en Angleterre, mais elle affirme ne pas avoir eu de réponse. La jeune athlète doit participer aux Jeux paralympiques de Tokyo en août prochain et a l’intention de porter le slip “litigieux”. “Je ne vais pas les laisser m’empêcher de les porter. Je les porterai à Tokyo”, insiste-t-elle.
Discriminations raciales et vestimentaires
L’affaire Olivia Breen n’est en rien singulière. Alice Dearing, la première nageuse noire à représenter l’équipe de Grande-Bretagne aux Jeux olympiques de Tokyo, ne sera pas autorisée à porter le bonnet de bain spécialement conçu pour les cheveux noirs naturels dont elle a fait la promotion. Au début du mois, la Fédération internationale de natation (Fina) a interdit l’utilisation de cet équipement spécialement conçus pour protéger les dreadlocks, les afros, les tissages, les tresses et les cheveux bouclés épais pour les Jeux de 2021. Soul Cap, la société à l’origine de ces bonnets de natation, a été informée par la Fina que son produit ne s’adaptait pas à “la forme naturelle de la tête”. L’entreprise a déploré une décision qui “renforce les barrières culturelles” vis-à-vis “des Noirs et en particulier des femmes noires aux cheveux plus longs ou plus épais.” Début juillet, la Fédération s’est engagée à étudier le dossier jugeant la question de “l’inclusivité” importante mais n’a fait depuis aucune annonce.
Autre sanction visant les tenues des athlètes féminines, la Fédération européenne de handball (EHF) a infligé une amende de 1 500 euros à l’équipe féminine norvégienne de beach handball pour avoir porté des shorts au lieu de bas de bikini lors des championnats de l’Euro 2021. Qualifiant ce cas de “tenue inappropriée”, l’EHF a déclaré que les joueuses n’avaient pas respecté le règlement sur les uniformes des athlètes fixé par la Fédération internationale de handball, qui exige que les femmes portent des bas de bikini “bien ajustés et coupés selon un angle ascendant vers le haut de la jambe”. Les joueurs de beach handball masculins, quant à eux, sont libres de porter des shorts jusqu’à 10 centimètres au-dessus du genou, à condition qu’ils ne soient pas “trop amples”. Bien que le beach handball ne fasse pas partie des disciplines des Jeux olympiques de Tokyo en 2021, cette affaire est une preuve de plus du caractère discriminatoire des règlements sportifs.
Derrière “l’équité”, l’esthétique et le business
Le Comité international olympique (CIO), l’autorité chargée d’organiser les Jeux olympiques, affirme qu’il n’est pas responsable de l’établissement et de l’application des règlements en matière de tenues. C’est aux fédérations internationales de chaque sport qu’il revient de décider de la tenue appropriée pour chaque genre. Selon la dernière Charte olympique publiée par le CIO, elles ont “l’autorité unique et exclusive de prescrire et de déterminer les vêtements et uniformes à porter, ainsi que l’équipement à utiliser, par les membres de leurs délégations à l’occasion des Jeux olympiques”.
Les fédérations sportives internationales ne rendent pas publics leurs critères de réglementation des uniformes sportifs. France 24 a tenté de contacter la Fina et England Athletics pour obtenir des commentaires, mais n’a reçu aucune réponse. Helen Jefferson Lenskyj, professeur à l’université de Toronto et auteur de “The Olympic Games : A Critical Approach” (“Une approche critique des Jeux olympiques”), affirme que les décisions en matière d’uniformité sont fondées sur “des considérations pratiques liées aux exigences du sport”, “des racines traditionnelles comme le gi pour les arts martiaux” ou la différenciation des sexes. Certaines fédérations affirment également que leurs décisions sont purement basées sur la performance, ou qu’elles garantissent l’équité.
Helen Jefferson Lenskyj juge néanmoins qu’il existe bel et bien une discrimination de genre, d’autant plus que de nombreuses fédérations sont encore largement dirigées par des hommes. “Les sports jugés sur l’esthétique, comme le patinage artistique, ont des règles vestimentaires conformes à la vision souvent stéréotypée qu’ont les juges de ce à quoi doit ressembler une patineuse ‘féminine’. Les règles d’uniformes du volley-ball de plage féminin sont fondées uniquement sur le sex-appeal hétérosexuel”, explique-t-elle.
“Ce qui est clair, c’est que c’est en grande partie commercial”, souligne Janice Forsyth, ancienne directrice du Centre international d’études olympiques de l’université de Western en Ontario, contactée par France 24. “[Les fédérations internationales] essaient de faire appel à ce qu’elles pensent être un public masculin hétérosexuel, elles essaient de les titiller pour qu’ils regardent les sports féminins, en arguant que cela augmente l’intérêt et rend ainsi le sport plus lucratif en attirant potentiellement des sponsors et des contrats de télévision ou même des parrainages d’entreprise pour les athlètes.”
Si elles le souhaitaient, les fédérations internationales pourraient agir rapidement pour modifier les règlements relatifs aux uniformes pour les femmes. Selon Janice Forsyth, le fait qu’elles choisissent de ne pas le faire est purement lié à des considérations marketing.
Le bout de l’iceberg
Si tous les sports olympiques ne sont pas logés à la même enseigne, beaucoup d’entre eux ont une histoire controversée en ce qui concerne les règlements relatifs aux uniformes des athlètes féminins. La natation, l’athlétisme, le badminton, la boxe, la gymnastique et le beach-volley, par exemple, ont des antécédents particulièrement médiocres.
Juste avant les Jeux olympiques de Londres de 2012, l’Association internationale de boxe amateur a tenté de faire porter aux boxeuses des jupes au lieu de shorts. Leur raisonnement était que les spectateurs seraient capables de discerner plus facilement les boxeurs féminins et masculins, car ils ne pouvaient pas “faire la différence”. Cette suggestion a suscité une vague d’indignation ainsi qu’une pétition en ligne, lancée par la boxeuse amateure londonienne Elizabeth Plank réclamant que les femmes soient libres de choisir ce qu’elles portent sur le ring. Après avoir recueilli plus de 57 000 signatures, la décision a été modifiée et les boxeuses ont pu choisir entre un short et une jupe.
La même année, la Fédération internationale de volley-ball (FIVB) a changé son code vestimentaire. Avant cette modification, les joueuses étaient obligées de porter des bikinis ou des bodys pendant les matchs. Mais face à la montée des critiques, la FIVB a publié de nouvelles règles autorisant les femmes à porter des shorts et des hauts à manches par respect pour les “exigences religieuses et culturelles” de certains pays participants. À l’inverse, en 2011, avant les Jeux olympiques de Londres, la Fédération mondiale de badminton a décidé que les athlètes féminines jouant à un niveau d’élite devaient porter des robes ou des jupes estimant que cela permettrait de créer une “présentation plus attrayante”.
Si la question des uniformes sportifs est devenue un sujet de débat au cours des dernières années par le biais de personnalités engagées, la discrimination vis-à-vis des athlètes féminines est loin d’être une nouveauté, notamment lorsqu’il s’agit des Jeux olympiques. Après s’être fait interdire la compétition pendant des décennies, les athlètes féminines, finalement autorisées à concourir, ont été soumises à des tests pour vérifier qu’elles étaient bien des femmes. Aujourd’hui, alors même que le CIO se targue de promouvoir l’inclusivité, les athlètes féminines font toujours l’objet de contrôles plus draconiens que leurs homologues masculins.
“Nous ne faisons qu’effleurer la surface”, déclare Janice Forsyth, de l’université Western. “Si même les uniformes suscitent des polémiques et des débats, imaginez ce que l’on risque de trouver en creusant le sujet des discriminations”.