Après une édition 2020 annulée pour cause de crise sanitaire, le 74e Festival de Cannes déroule son tapis rouge du 6 au 17 juillet sur la Croisette. Ce nouveau festival, gardien d’un cinéma d’auteur ambitieux et exigeant offre une édition qui se veut haut de gamme.
Simple dystopie ou ironie de l’histoire, la dernière édition du Festival de Cannes s’ouvrait en 2019 avec une légion de zombies sortis de leur sommeil par fracturation polaire pour annoncer, avec humour, une apocalypse imminente. La réalité qui allait suivre fut beaucoup moins distrayante.
Fin 2019, l’humanité tout entière était frappée – non par l’invasion d’aimables zombies sortis tout droit de l’imagination fertile de Jim Jarmusch -, mais par un virus mortel, tuant dans son sillage environ quatre millions de personnes, faisant vaciller l’économie mondiale et privant chacun de vie sociale et culturelle.
Une édition singulière
Pour autant, “le cinéma n’est pas mort”, a martelé Thierry Frémaux, directeur artistique du festival, à ceux qui en doutaient en dévoilant le mois dernier une programmation exceptionnelle, riche en auteurs confirmés, en jeunes talents passionnants et stars hollywoodiennes.
Mais cette nouvelle édition, qui s’ouvre donc après une année sabbatique, ne ressemblera à aucune autre. Pour ce qui est de son organisation d’abord. Les protocoles sanitaires rigides, et notamment le vaste centre de test déployé sur la Croisette, sont un rappel constant de la menace persistante du Covid-19 qui plane sur le festival. Pour sa programmation également. La pandémie a soulevé les questions de la vulnérabilité de l’humanité et du déclin de la biodiversité. Raison pour laquelle le cru 2021 est marqué par un nombre important de films sur le thème de l’environnement. Enfin, la crise sanitaire a montré la fragilité de l’industrie et notamment des salles de cinéma, condamnées à fermer par le protocole sanitaire, laissant du terrain aux plateformes de streaming. Les responsables de Cannes entendent donc cette année, plus que nulle autre, se poser en gardien des salles obscures, ce qui explique, cette fois encore, l’absence de Netflix.
La course de la Palme d’or
Conséquence directe de l’annulation de l’édition de 2020, ce nouveau festival offre une profusion inédite de films. Plusieurs grands auteurs ont en effet attendu une année entière pour être présentés en avant-première au plus grand festival du film au monde. Parmi eux, Leos Carax et son “Annette”, présenté en ouverture avec Marion Cotillard et Adam Driver, Paul Verhoeven (“Benedetta”) ou Wes Anderson avec (“The French Dispatch”), qui réunit à lui seul une myriade d’acteurs comme Bill Murray, – l’acteur fétiche du réalisateur –, Tilda Swinton, Timothée Chalamet, Adrien Brody, et côté français, Léa Seydoux et Mathieu Amalric, tous très attendus sur le tapis rouge. À condition qu’ils soient autorisés à voyager.
Autre réjouissance, la sélection des 24 films en lice pour la Palme d’or couvre un spectre particulièrement large du cinéma mondial, avec l’Iranien Asghar Farhadi (“Un héros”), le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun (“Lingui”), le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (“Memoria”), le Japonais Ryusuke Hamaguchi (“Drive My Car”), le Russe Kirill Serebrennikov (“La Fièvre de Petrov”) ou encore l’Australien Justin Kurzel (“Nitram”).
Des sélections foisonnantes
Les habitués du festival retrouveront également d’autres noms plus familiers, comme l’Italien Nanni Moretti (“Tre Piani”), lauréat de la Palme d’or 2001, Jacques Audiard (“Paris, 13e arrondissement”), François Ozon (“Tout s’est bien passé”) et Sean Penn (“Flag Day”), qui revient sur la Croisette cinq ans après son précédent long-métrage “The Last Face” descendu en flammes par la critique. Ces grands noms côtoieront une pléiade de nouveaux réalisateurs, comme l’Israélien Nadav Lapid (“Ahed’s Knee”), le réalisateur franco-marocain Nabil Ayouch (“Casablanca Beats”), le Belge Joachim Lafosse (“The Restless”) ou encore l’Américain Sean Baker (“Red Rocket”).
Une sélection prometteuse qui semble avoir oublié l’équilibre des sexes. Seules quatre réalisatrices complètent cette sélection très masculine. Catherine Corsini (“The Divide”), Julia Ducournau (“Titane”), Mia Hansen-Løve (“Bergman Island”) et la Hongroise Ildiko Enyedi (“L’Histoire de ma femme”) pourront ainsi témoigner des efforts qu’il reste à faire dans ce domaine.
Pour leur défense, les organisateurs du festival préfèrent mettre en avant la quasi-parité de la compétition “Un certain regard”, conçue pour présenter les jeunes talents, où les femmes sont là plus nombreuses que les hommes. Une chose est sûre, une réalisatrice est au moins assurée de remporter la Palme d’or d’honneur : Jodie Foster doit en effet se voir remettre le prix lors de la soirée d’ouverture, 45 ans après sa première apparition à Cannes, à l’âge de 13 ans, pour son rôle dans le film “Taxi Driver” de Martin Scorsese.
Verdir le tapis rouge
À noter, la création cette année d’une nouvelle sélection intitulée “Cannes Premières”. Cette compétition permet aux cinéastes confirmés de présenter leur dernière œuvre. Une belle occasion pour les piliers du festival comme la prolifique réalisatrice Hong Sang-soo (“Devant ton visage”), Arnaud Desplechin (“Tromperie”), Mathieu Amalric (“Serre-moi fort”) ou encore Eva Husson “Mothering Sunday” de promouvoir leur travail. Parmi cette nouvelle catégorie, on retrouve également les documentaires d’Oliver Stone sur “JFK”, de Todd Haynes sur “The Velvet Underground” et l’hommage de Charlotte Gainsbourg à sa mère, Jane Birkin.
On pourra également découvrir le biopic “Aline” sur Céline Dion, de Valérie Lemercier, longtemps retardé faute de festival présenté hors compétition ou encore le très attendu “Suprêmes” d’Audrey Estrougo, sur NTM, les parrains du rap français, présenté dans le cadre des “Séances de minuit”. Au total, la “Sélection officielle” comptera 61 films et sera présidée par le réalisateur américain Spike Lee, premier noir à présider le célèbre jury cannois.
Green watching
Autre nouveauté cette année : la création d’une section éphémère “Le cinéma pour le climat”, consacrée aux questions environnementales. On y trouve six documentaires dont le film de Louis Garel “La Croisade”, mettant en scène l’acteur français et sa partenaire, Laëtitia Casta. Le long-métrage “Above Water” d’Aïssa Maïga, sur l’impact du réchauffement climatique au Niger, ou encore “Invisible Demons” de Rahul Jain, qui s’attaque à la pollution de l’air à New Delhi. “Il y a des documentaires qui décrivent comment nous détruisons notre planète, des documentaires sur sa beauté, et d’autres qui montrent comment les ‘boomers’ doivent s’engager avec les jeunes générations”, a déclaré Thierry Frémaux à France 24 quelques jours avant le festival.
Joignant le geste à la parole, les organisateurs ont parallèlement annoncé une série de mesures destinées à réduire l’impact environnemental des festivaliers. Longtemps associé aux fêtes extravagantes et aux abus en tous genres, le Festival de Cannes porte depuis des années une lourde empreinte carbone. En retard sur ses concurrents comme la Berlinale, qui a récemment adopté des tapis rouges faits de filets de pêche recyclés, Cannes entend elle aussi “verdir” son tapis rouge. Exit l’habituel revêtement carmin en PVC : le traditionnel tapis rouge sera réduit de moitié et composé cette année à partir de matériaux recyclés. Les bouteilles en plastique seront bannies du festival, les invités se déplaceront en voiture électrique et chaque festivalier devra s’acquitter d’une contribution de 20 euros pour compenser une partie de son empreinte carbone.
La pandémie et les restrictions qu’elle entraîne devraient également contribuer à limiter les déplacements internationaux. Les visiteurs français pourraient bien être beaucoup plus nombreux que les étrangers. Une bonne nouvelle pour l’écologie mais un nouveau revers pour les professionnels du tourisme qui savent que les clients étrangers dépensent bien plus. Les hôtels sont d’ailleurs loin d’afficher complet.
Où sont les fêtes ?
Restrictions sanitaires obligent, les règles de distanciation sociale ne permettront pas non plus les célèbres fêtes dispendieuses de Cannes. “Il n’y aura pas beaucoup de fêtes et de grands rassemblements qui pourraient avoir des conséquences désastreuses”, a prévenu le président du Festival de Cannes, Pierre Lescure, avant l’événement. “Il est de notre responsabilité envers tout le monde – le festival, la ville, les participants – que cet événement post-pandémie se déroule sans problèmes.”
Les joailliers Chopard, qui remettent le trophée annuel de la Palme d’or, ont d’ores et déjà annulé leur grande soirée – un moment prisé de la vie nocturne du festival au profit de quelques rendez-vous triés sur le volet. Un mal pour un bien, selon certains. “Une nouvelle ère s’ouvre. Les soirées cannoises voyaient souvent beaucoup de gens qui n’avaient rien à faire là-bas”, a assuré à l’AFP Albane Cleret, animatrice de soirées, qui occupera le toit du chic hôtel Marriott. “Maintenant, nous pouvons organiser des dîners où nous parlerons vraiment affaires.”
Sous la douceur estivale d’un inhabituel mois de juillet, les fêtes sur les toits des hôtels de luxe pourraient d’ailleurs être éclipsées par les séances en bord de mer. Nul doute que les festivaliers se disputeront cette année les transats pour admirer les feux d’artifice du 14-Juillet en même temps que le non moins détonnant “Fast & Furious 9”, dernier opus du blockbuster hollywoodien à succès.
Adaptation du texte original en anglais de Benjamin Dodman par Aude Mazoué.