Une coalition de géants de l’Internet, incluant Facebook, Google et Twitter, a écrit aux autorités de Hong Kong pour dénoncer des nouvelles mesures anti-“doxing”. Cette pratique, qui consiste à divulguer sur Internet des informations personnelles sur un individu, a explosé à Hong Kong, et le gouvernement est soupçonné de s’en servir comme prétexte pour renforcer la censure.
Hong Kong privé de Facebook, Twitter, Google, LinkedIn ou encore de services d’Apple ? C’est tout le gratin des Gafa qui menace de se retirer du territoire semi-autonome à cause d’une réforme de la loi sur la protection des données privées, a rapporté le Wall Street Journal, lundi 5 juillet.
Ces géants américains de la Tech redoutent la mise en place à Hong Kong de nouvelles mesures pour lutter contre le “doxing” – la pratique de mettre en ligne les informations personnelles sur des individus. Regroupés au sein de la Coalition asiatique des plateformes internet (AIC – Asia Internet Coalition), ils ont exposé leurs griefs dans une lettre envoyée fin juin aux autorités locales et rendue publique lundi.
Le “doxing”, un phénomène qui a explosé depuis 2019
Ce monde de la Tech craint de contribuer à un nouveau tour de vis liberticide du gouvernement pro-Pékin, un an après l’introduction de la très controversée loi sur la sécurité nationale.
Les mesures, dévoilées fin mai dans un projet de loi, obligeraient en effet les grandes plateformes à réduire au silence numérique toute personne jugée coupable de “doxing” par le Commissariat à la vie privée et à la protection des données personnelles.
À défaut, les employés hongkongais de Facebook, Google ou encore Twitter pourraient être poursuivis en justice et condamnés à des peines pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison. “La seule manière d’éviter ces sanctions serait, pour les plateformes technologiques, d’arrêter de proposer leurs services à Hong Kong”, résume la lettre de l’AIC.
Cette coalition suggère aussi que la lutte “légitime contre le doxing” sert de prétexte pour continuer à réduire la liberté d’expression dans l’ex-colonie britannique que Pékin essaie de plus en plus ouvertement de mettre au pas.
Le “doxing” est devenu un problème pris très au sérieux par les autorités depuis les manifestations de 2019 contre le gouvernement de Carrie Lam. Tout le monde s’y était alors adonné, rappelle le quotidien britannique The Guardian. Les partisans du pouvoir en place utilisaient les réseaux sociaux pour publier des informations personnelles sur les meneurs du mouvement pro-démocratie. Les manifestants, quant à eux, faisaient de même pour les policiers filmés ou photographiés en train d’user de la force durant les rassemblements.
Le nombre de sites et de groupes sur des messageries comme Telegram consacrés au “doxing” avait même explosé après la décision des policiers de ne plus porter leur badge d’identification à partir de juin 2019. C’était devenu une “arme pour documenter l’escalade des violences policières”, rappelle le New York Times.
“Entre juin 2019 et mai 2021, plus de 5 700 cas de ‘doxing’ ont été transmis au Commissariat à la vie privée et à la protection des données personnelles”, soulignent les auteurs du projet de loi critiqué par les géants américains du Net. Près de 1 500 affaires ont donné lieu à des enquêtes policières, et 17 personnes ont été arrêtées pour avoir publié illégalement les données personnelles de policiers ou de leur famille proche, précise le quotidien hongkongais South China Morning Post.
Un prétexte pour toujours plus de censure ?
C’est ce faible nombre d’interpellations qui a poussé les autorités à plancher sur un durcissement des lois existantes. Le nouveau projet de loi prévoit la création de deux infractions. La première serait caractérisée lorsque des données personnelles sont publiées sans l’autorisation de la victime dans le but de le menacer, l’intimider ou le harceler. La deuxième concerne les cas de “doxxing” qui entraînent des “dommages psychologiques” aux victimes.
Pour les détracteurs de ce projet de réforme, les contours de ces infractions sont trop floues. “Les dommages psychologiques ne peuvent pas être définis objectivement et le concept laisse trop de place à une appréciation discrétionnaire”, regrette, par exemple, la Coalition asiatique des plateformes internet.
Plus généralement, il n’existe pas de définition acceptée par tous des éléments constitutifs du “doxing”, et les mesures proposées “pourraient permettre d’interdire la publication légitime ou innocente d’informations sur des individus”, craint le site Hong Kong Free Press. Cette réforme risquerait, d’après le site, d’introduire un nouveau motif de censure permettant de limiter encore ce qu’il est permis de dire en ligne à propos des responsables politiques hongkongais. “Ces nouvelles règles peuvent potentiellement permettre d’interdire de poster n’importe quelle photo d’une personne sur Internet sous prétexte qu’elle permet d’identifier quelqu’un sans son accord”, résume le Wall Street Journal.
Enfin, les mesures proposées transformeraient aussi le rôle du Commissariat à la vie privée. “Il pourrait dorénavant mener ses propres enquêtes criminelles et entamer des procédures judiciaires”, souligne le cabinet d’avocat Pinson Mason, qui a analysé ce projet de réforme. Une autorité dont le rôle était avant tout de protéger la vie privée en ligne deviendrait ainsi un nouvel outil de flicage.
Le gouvernement hongkongais a tenté de calmer les inquiétudes des géants de l’Internet. La réforme proposée n’aurait “aucun impact sur la liberté d’expression qui est protégée par la loi fondamentale de Hong Kong”, assurent les autorités dans un communiqué publié mardi 6 juillet.
La cheffe du gouvernement, Carrie Lam, a reconnu que “l’introduction de ces amendements à la loi sur la protection de la vie privée suscitait des interrogations similaires aux craintes qui avaient suivi les débats autour de la loi sur la sécurité nationale”. Mais, pour elle, au final ces changements se révéleront tout aussi positifs qu’avec la loi sur la sécurité nationale. Pas sûr que ce soit de nature à rassurer le camp prodémocratie à Hong Kong…