Une contre-marche lancée par des groupes d’extrême droite et une partie du clergé orthodoxe a contraint les organisateurs à annuler la Marche des fiertés qui devait se dérouler le 5 juillet à Tbilissi, en Géorgie. Les contre-manifestants s’en sont directement pris aux bureaux de plusieurs organisations LGBT et ont attaqué des journalistes.
“Nous ne pouvons mettre en danger des vies humaines et manifester dans des rues pleines d’agresseurs violents”. C’est avec ces mots que les organisateurs de la Marche des fiertés géorgienne ont annoncé son annulation sur Facebook le 5 juillet à la mi-journée, soit quelques heures avant son lancement prévu à 18 h.
Les “agresseurs violents” auxquels il est fait référence étaient plusieurs dizaines à défiler dans la capitale Tbilissi, lundi 5 juillet en début d’après-midi. Selon plusieurs médias, ils s’en sont pris à la police et ont frappé une vingtaine de journalistes.
Ils ont également pris d’assaut les locaux d’associations de défenses des libertés et des LGBT. Une vidéo les montrant escalader la façade d’un immeuble où se trouvent les locaux de Tbilisi Pride, la principale association derrière l’organisation de la Marche des fiertés, a particulièrement choqué. On voit plusieurs individus tenter de déchirer et piétiner les drapeaux arc-en-ciel et de la fierté transgenre qui étaient accrochés à la fenêtre.
Alarming images from #Georgia! Extremist hooligans threaten today’s #LGBT #pride in Tblisi. @vvd calls on the authorities to protect participants and journalists! European leaders need to put pressure on Georgia to immediately safeguard freedom and equal rights. @TbilisiPride🏳️🌈 pic.twitter.com/lqKbGPKn9F
— Ruben Brekelmans (@rubenbrekelmans) July 5, 2021
Dans une autre vidéo filmée dans l’après-midi par un membre de Tbilisi Pride, on voit les moments qui ont suivi cette attaque : les locaux de l’organisation ont été saccagés.
Le 6 juin, le Premier ministre a dénoncé ces violences et précisé que 53 journalistes ont été blessés et 11 personnes placées en détention dans le cadre d’une enquête policière sur ces violences.
L’ annulation de la marche avait par ailleurs été souhaitée par les autorités, le Premier ministre, Irakli Garibachvili, ayant estimé le jour même que “tenir une soi-disant Marche des fiertés” n’était “pas raisonnable car cela crée la menace d’une confrontation civile” et que ce type de rassemblement était “inacceptable pour une grande partie de la société géorgienne”.
“Il y avait beaucoup de prêtres dans le cortège de manifestants”
Tamaz Sozashvili est le cofondateur de l’organisation Tbilisi Pride. Il était dans les locaux d’une autre association lundi 5 juillet, qui a elle aussi été visée par les manifestants d’extrême droite. Nous avons pu l’interroger le soir-même.
Ces militants homophobes voulaient nous intimider, ils ont cherché à savoir où nous étions et nous ont attaqués. Dans nos locaux, ils ont tout détruit à l’intérieur, nos documents, notre équipement. Le pire c’est que la police n’a rien fait pour les en empêcher.
J’étais dans les locaux de Shame movement [ONG géorgienne de défense des libertés, NDLR], qu’ils ont aussi attaqué. Les membres de notre organisation ont ensuite été déplacés dans la United Nations House [les locaux des Nations unies, NDLR]. Quand les contre-manifestants l’ont appris, ils se sont regroupés devant ce bâtiment. C’est vraiment comme s’ils nous traquaient.
Nous sommes bien évidemment sous le choc, surtout face à l’inaction et au manque de soutien du gouvernement. Je ne parviens pas à comprendre comment ils ont pu laisser de telles choses se produire.
Nous n’avons jamais réussi à organiser une Marche des fiertés dans de bonnes conditions en Géorgie, mais pour cette année nous avions enfin bon espoir d’y arriver. Plusieurs ambassadeurs comme ceux de la France ou des Pays-Bas envisageaient d’y participer. Mais une nouvelle fois nos espoirs ont été douchés par ces militants homophobes et une partie du clergé orthodoxe.
J’ai pu voir beaucoup de prêtres dans le cortège de manifestants et j’ai entendu que des religieux haut-placés y ont également participé.
Là, je suis dans la cinquième cachette de la journée, nous avons été divisés en trois groupes pour éviter les attaques de ces hommes. Je ne me sens vraiment pas en sécurité et j’espère que la communauté internationale prendra la mesure de ce qu’il vient de se produire.
Plusieurs ambassades occidentales ont publié le 5 juillet un communiqué joint dénonçant ces violences.
Si depuis 2014, les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre sont interdites en Géorgie, le pays reste très conservateur et sous l’influence de la puissante Église orthodoxe.
En 2019, un célèbre homme d’affaires avait même mis sur pied des “milices populaires” armées, par exemple le “Conseil des vrais hommes”, pour “éradiquer le péché et l’hérésie”. Cette initiative dont le principal objectif était de lutter contre la communauté LGBT avait reçu le soutien tacite de l’Église orthodoxe de Géorgie.