Lors de la célébration, jeudi, du centenaire du Parti communiste chinois, Xi Jinping a multiplié les références à Mao Zedong. Depuis son arrivée au pouvoir, le Président chinois s’inscrit dans l’héritage du “Grand Timonier”, au point d’être parfois surnommé le “Timonier 2.0”. Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne, analyse pour France 24 jusqu’où peut aller cette comparaison.
Des dizaines de milliers de Chinois sur la place Tiananmen, 100 coups de canon et une flotille d’avions de combat dans le ciel. La Chine a célébré en grande pompe, jeudi 1er juillet, le centenaire du Parti communiste chinois (PCC), point d’orgue d’une semaine de festivités. L’occasion aussi, pour Xi Jinping, d’asseoir encore un peu plus son pouvoir.
Pendant plus d’une heure, le secrétaire général du PCC et président de la République populaire n’a cessé de louer les progrès accomplis ces dernières années, mettant en avant la sortie de centaines de millions de personnes de l’extrême pauvreté.
“Le peuple chinois s’est levé” et sa “renaissance” après plus d’un siècle de sous-développement et d’invasions est “irréversible”, a-t-il martelé dans un discours au nationalisme exacerbé, mettant en garde les “impérialistes” qui tenteraient de l’intimider, de l’opprimer ou de l’asservir.
Pour cette grand-messe, Xi Jinping s’est présenté au balcon de la Cité interdite vêtu d’un costume traditionnel gris “style Mao”. Il a aussi multiplié les références à Mao Zedong, qui a dirigé la Chine de 1949 à 1976.
Arrivé au pouvoir en 2012, l’actuel président chinois n’a cessé de forcer les comparaisons avec le Grand Timonier, se réclamant de façon plus ou moins ouverte de son héritage. Alors qu’il a renforcé son pouvoir en 2018 grâce à un amendement de la Constitution lui permettant de rester à la tête du pays plus de deux mandats, il est désormais surnommé régulièrement le “Timonier 2.0”.
Mathieu Duchâtel, directeur du programme Asie à l’Institut Montaigne, spécialiste de la Chine, revient, pour France 24, sur les similitudes et les divergences entre les deux hommes.
France 24 : En quoi Xi Jinping s’inscrit-il dans la continuité de Mao Zedong ?
Mathieu Duchâtel : Comme Mao Zedong, Xi Jinping veut marquer l’Histoire. L’histoire de la République populaire est aujourd’hui officiellement divisée en trois ères. La première est celle de la révolution avec Mao, une période de 30 ans où “la Chine se relève” et met fin à la guerre civile et au semi-colonialisme. Ensuite, il y a eu l’ère de la croissance économique et de la recherche de la prospérité avant tout, qui correspond à la période de réformes initiées par Deng Xiaoping [numéro un du PCC entre 1978 et 1992, NDLR]. Xi Jinping, lui, place la “quête de puissance” au sommet de son agenda. Cette division en trois ères le positionne dans une forme de triptyque, avec trois figures : Mao Zedong, Deng Xiaoping et Xi Jinping.
La boussole maoïste qui sert à Xi Jinping avait été particulièrement visible lors du 19e Congrès du Parti, en 2017, certainement plus révélateur que le discours qu’il a prononcé jeudi. C’est à ce moment-là que son nom avait été inscrit dans la Charte du parti, un honneur que seul Mao Zedong avait eu de son vivant.
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Les éléments du culte de la personnalité dont Xi Jinping bénéficie aujourd’hui utilisent aussi une iconographie maoïste. La théâtralisation des célébrations du centenaire en est un bon exemple. En revanche, contrairement à Mao, Xi Jinping ne rassemble pas les masses. Il existe une mobilisation idéologique du Parti et une éducation patriotique, mais plus de campagnes de masse du type de la Révolution culturelle.
Le PCC de Xi Jinping a-t-il des points communs avec celui de Mao ?
Après des tentatives de réformes dans les années 1980 par Deng Xiaoping, Xi Jinping est revenu à une orthodoxie léniniste où la discipline interne importe plus que tout, et il a procédé à une forte recentralisation. Aujourd’hui, personne ne parle plus de démocratie interne au Parti, ou de factions qui s’équilibrent.
Là encore, le 19e Congrès du Parti avait été un moment majeur. Il avait fait inscrire dans la Charte du parti : “Le gouvernement, l’armée, la société et les écoles, le Nord, le Sud, l’Est et l’Ouest : le parti les dirige tous”. Une formule de Mao lui-même.
Dans son discours, Xi Jinping n’a cessé d’insister sur un “nationalisme chinois”. Est-ce là aussi une volonté de continuité avec Mao ?
On se souvient que l’Union soviétique reprochait à Mao Zedong son nationalisme. Xi Jinping, lui aussi, accentue la mobilisation patriotique. Il la place au service d’un projet visant à démontrer la supériorité du socialisme à la chinoise sur les démocraties libérales. Il veut prouver que “le socialisme chinois vaincra”. Le discours des responsables chinois à l’égard de leurs interlocuteurs occidentaux souligne constamment leur impuissance à arrêter la grande tendance historique : “La Chine va devenir la première puissance mondiale” et ils doivent en tirer toutes les conséquences – sous-entendu ne pas s’y opposer.
Mais la compétition idéologique est remise au goût du jour, elle porte aujourd’hui surtout sur l’efficacité des modèles de gouvernance à construire de la puissance économique. Et là où Mao Zedong exportait la Révolution et cherchait à dominer le camp socialiste, Xi Jinping a une approche plus globale de la compétition. Il s’agit surtout d’une guerre d’influence avec les démocraties occidentales – en réalité, avec les États-Unis.
À l’inverse, sur quoi les deux hommes s’opposent-t-ils ?
Même si les références marxistes sont constantes, par exemple dans la critique du modèle démocratique, et même si la gestion du Parti est léniniste, la Chine de Xi Jinping est un modèle de capitalisme d’État.
Le projet de Xi Jinping pour la Chine repose sur la croissance économique et la compétition pour devenir la puissance la plus innovante. Il mobilise pour cela tous les instruments du capitalisme, en particulier la finance, et s’appuie sur une économie globalisée que Mao rejetait par pureté idéologique. Les grands chantiers du moment en Chine, comme en Europe, sont la transformation verte et la numérisation de l’économie, dans une course à l’innovation pour générer emploi et croissance.