C’est une constante dans toutes les compétitions sportives et l’Euro-2021 n’échappe pas à la règle. Derrière les rencontres de football qui ont lieu depuis le 11 juin et jusqu’au 11 juillet prochain, les tensions géopolitiques ne sont jamais bien loin.
Depuis novembre 2019, Kévin Veyssière, assistant parlementaire français, s’attache à raconter ces dessous du football. Sous forme de fils sur Twitter et sous le pseudonyme de “FC Geopolitics”, il décrypte de manière pédagogique les petites histoires, les grandes polémiques de l’histoire de ce sport populaire. Un an et demi et 35 000 abonnés plus tard, il publie un livre décliné de son compte et racontant “22 histoires insolites pour comprendre le monde”.
À l’occasion de l’Euro, il anime un podcast qui décrypte les enjeux derrière certains matches. Interrogé par France 24, il fait de même en rappelant que l’histoire même de l’Euro est politique.
France 24 : Votre livre s’ouvre sur un constat : celui d’un Euro de football intimement lié à l’histoire de l’Europe. Peut-on aller jusqu’à dire que la compétition est le pendant sportif de la construction européenne ?
Kévin Veyssière : Pour un Euro qui a été conçu pour fêter les soixante ans de l’évènement, il n’est pas anodin d’avoir choisi Rome comme lieu du match d’ouverture : c’est là qu’a été signé le traité de Rome qui a créé la Communauté économique européenne (CECA) en 1957. La première partie raconte comment l’Euro est né après la Seconde Guerre mondiale : les nations européennes cherchaient alors à s’unir. Plusieurs initiatives se mettent en place au niveau diplomatique, économique mais aussi sportif. Cela va aboutir à la création de l’UEFA en 1954, à l’initiative notamment d’Henri Delaunay, secrétaire de la FFF. Il voulait déjà créer un Euro dans les années 20 mais son idée n’aboutit pas en raison de la création de la Coupe du monde (en 1930, NLDR).
L’UEFA a été créé avant tout pour contrer l’influence des nations sud-américaines qui menaçaient l’hégémonie européenne en terme de football et qui avait déjà leur Copa America depuis 1916. Cependant, c’est le journal anglais Daily Mirror qui va créer une chaîne d’évènements qui va aboutir à la création de l’Euro. En 1954, il clame que Wolverhampton est le meilleur club du monde. Ça ne plait évidemment pas aux rivaux français. Ils contre-attaquent et créent la Coupe des clubs champions, l’ancêtre de la Ligue des champions. Le succès populaire est tel que l’Euro opposant les sélections est créé dans la foulée.
Dès son origine, l’Euro permet de traverser les frontières. A l’époque, le rideau de fer est toujours vivace mais l’UEFA compte des pays de l’Est et de l’Ouest. Preuve que l’Euro permet la paix entre les nations.
Le livre se poursuit en rappelant qu’au fil de l’histoire, l’Euro a été au premier rang de tous les soubresauts de l’histoire, quand l’Espagne de Franco refuse de jouer contre l’URSS, l’éclatement de la Yougoslavie, la reconnaissance de la Croatie… Cette année, avec la pandémie, la grande Histoire s’invite encore dans le football ?
Le football est le sport le plus populaire du monde. Il impacte tout ce qui nous entoure. Cette année, avec le Covid-19, plusieurs gouvernements ont fait de cet Euro une vitrine de leur politique vis-à-vis de la pandémie et de la vaccination. On l’a vu notamment avec le Premier ministre britannique Boris Johnson qui s’est montré très actif, en proposant notamment d’accueillir l’ensemble de la compétition. Il veut montrer que sa politique sanitaire et le Brexit ont fonctionné.
En Hongrie, Viktor Orban a politisé l’accueil des supporters et de l’Euro, en étant le seul pays-hôte à accueillir 100 % de spectateurs dans son stade. La Hongrie est pourtant un des pays qui a eu le plus haut taux de mortalité. Viktor Orban est coutumier du fait d’instrumentaliser le sport pour promouvoir son régime politique.
L’avant Euro a aussi été animé par la polémique sur le maillot de l’Ukraine : que s’est il passé?
La révélation du maillot de l’Ukraine a créé la polémique. Sur ce maillot, on y voit le territoire ukrainien incluant la Crimée et les régions de Donetsk et Louhansk, contrôlées par des séparatistes prorusses.
La Russie a très vite dégainé pour dire que c’était un scandale de remettre en cause son intégrité territoriale de cette manière et d’instrumentaliser le sport. Ce qui peut faire sourire car la Russie est coutumière de ce mélange sport et politique comme on l’a vu avec les JO de Sotchi ou le Mondial-2018.
L’Ukraine s’est servie de cet Euro pour remettre en lumière ce conflit oublié. Elle s’en sert aussi pour recréer du lien après avoir été malmenée territorialement ces dernières années. En tout cas, les hasards du tirage font que les deux pourraient se rencontrer en quart de finale, ce qui pourrait être explosif.
Quels sont les autres dossiers à suivre lors de cet Euro ?
Dans les matches à suivre, je mettrai Angleterre-Ecosse (qui aura lieu vendredi, ndlr), le match du Brexit. La partie aura lieu à Wembley, le temple du football anglais. En général, ces derbys sont assez chauds mais là ça le sera d’autant plus avec en toile de fond la question du Brexit. L’Écosse avait voté pour rester dans l’UE. Ils veulent être indépendants pour revenir dans le giron européen. Une victoire de l’Écosse serait très symbolique pour eux.
On peut aussi parler de tout ce qui concerne l’équipe nationale turque et des liens avec le président Recep Tayyip Erdogan. Pour lui aussi, le football est un moyen de légitimer son régime. Il s’en sert pour montrer que la Turquie est une nation forte à l’international. Cependant, il ne faut pas tout interpréter comme un soutien au président Les joueurs soutiennent avant tout leur nation plus qu’Erdogan lui-même.
Il ne faut d’ailleurs pas forcément voir une instrumentalisation derrière chaque geste de joueurs. Le match entre le PSG et Istanbul Basaksehir interrompu en raison d’insultes racistes a prouvé que les joueurs pouvaient être à l’initiative. Tout comme lorsque la Norvège et le Danemark ont porté des maillots pour dénoncer les conditions des travailleurs au Qatar. Les joueurs se servent de plus en plus de leur sport pour faire passer des messages, sans qu’il y ait forcément instrumentalisation.