Laurent Gbagbo, qui a été définitivement acquitté en mars par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye des accusations de crimes contre l’humanité, doit atterrir jeudi à Abidjan. Il avait été arrêté en avril 2011, lors de la crise postélectorale qui a duré cinq mois et pendant laquelle plus de 3 000 personnes ont été tuées. L’ancien président de la Côte d’Ivoire aura triomphé de multiples combats au cours de sa longue et tortueuse carrière.
Après dix ans d’absence, l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo rentre jeudi 17 juin à Abidjan, trois mois à peine après son acquittement définitif de crimes contre l’humanité par la justice internationale et le feu vert à son retour donné par son rival, le président Alassane Ouattara, au nom de la “réconciliation nationale”.
Opposant, président, prisonnier : il a traversé tout au long de sa carrière politique des phases de gloire et de déchéance qui n’ont pas entamé sa popularité parmi les siens en Côte d’Ivoire. Retour sur son parcours.
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Militant syndical
À 76 ans, Laurent Gbagbo, sous des airs bonhommes, cache une volonté de fer et une énergie féroce. Il a beaucoup appris de ses longues années d’opposition face au président Félix Houphouët-Boigny (mort en 1993), le “père de la Nation”, longtemps premier relais de la France en Afrique subsaharienne. Né le 31 mai 1945, éduqué au séminaire et historien de formation, Laurent Gbagbo irrite rapidement le pouvoir par son activisme syndical.
Incorporé de force, emprisonné, il s’exile en France dans les années 1980, après avoir fondé clandestinement le Front populaire ivoirien (FPI). Membre de l’ethnie bété (ouest), exclue du partage traditionnel du pouvoir, il se lance ouvertement en politique en 1990 avec les premières élections marquées sous le signe du multipartisme : il devient alors le chef de l’opposition.
Le 18 février 1992, alors que le pays est marqué par des manifestations étudiantes, le Premier ministre Alassane Ouattara fait arrêter Laurent Gbagbo. Il est condamné à deux ans de prison, avant d’être libéré en août de la même année.
Habile vs. roublard
Son jour arrive le 26 octobre 2000 quand il accède à la présidence, dans des conditions de son propre aveu “calamiteuses”, à l’issue d’un scrutin dont ont été exclus l’ancien chef de l’État Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara.
Nationaliste farouche, Laurent Gbagbo résiste à la rébellion qui tente de le renverser en septembre 2002. Politicien habile pour les uns, “roublard” pour les autres, il parvient à garder son fauteuil face aux rebelles, à l’opposition et à une communauté internationale emmenée par la France, mais perd le contrôle du nord du pays, qui vivra des années coupé en deux.
Derrière cette tentative de putsch, il voit la main d’Alassane Ouattara, qui dément. Celui qui se définit comme “l’homme du peuple” s’appuie sur ses jeunes partisans, les “patriotes”, qui enflamment la rue. Les soldats français de la force Licorne tentent de maintenir un cessez-le-feu précaire tandis que Paris joue le rôle de médiateur pour essayer d’amorcer un processus de réconciliation. En vain.
L’armée ivoirienne lance en novembre 2004 une offensive pour reprendre le Nord. Jacques Chirac, président français de l’époque, tente de dissuader Laurent Gbagbo de toute intervention sans y parvenir. Le 6 novembre, l’armée ivoirienne bombarde des soldats français basé à Bouaké, fief des rebelles du Nord. L’armée française riposte et neutralise l’aviation ivoirienne. La tension est vive à Abidjan, où les pro-Gbagbo prennent la communauté française pour cible. Si Laurent Gabgbo échoue à reconquérir militairement le nord, il se pose en héros de la fierté africaine face à la France.
Un accord de paix est finalement signé en 2007 avec les rebelles de Guillaume Soro. Mais le processus politique reste bloqué avec pas moins de six reports de l’élection présidentielle, finalement fixée en 2010. Laurent Gbagbo se lance alors dans la course et retrouve au second tour Alassane Ouattara, qui a engagé une opération militaire pour le chasser du palais présidentiel.
Animal politique
En 2010, à l’issue de la présidentielle du 28 novembre, le président sortant de la Côte d’Ivoire refuse obstinément de s’avouer vaincu. Il tient tête pendant quatre mois à son ennemi Alassane Ouattara et à la communauté internationale, quitte à plonger le pays dans la crise. Les violences ont fait plus de 3 000 morts en cinq mois.
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Le 3 décembre, le Conseil constitutionnel, acquis à sa cause, proclame la victoire de Laurent Gbagbo avec 51,45 %, invalidant les résultats de la commission électorale, pourtant “certifiés” par l’ONU, et qui donnaient Alassane Ouattara vainqueur (54,1 %).
Encerclé dans sa résidence présidentielle d’Abidjan avec son épouse Simone son fils Michel et une poignée de fidèles, Laurent Gbagbo “se battra jusqu’à son dernier souffle”, a prévenu l’un de ses proches au tout début de la crise post-électorale. Le 11 avril 2011, alors que les combats font rage depuis une dizaine de jours dans le quartier de Cocody, les soldats pro-Ouattara avancent au sol, appuyés par l’armée française et la Mission des Nations Unies (Onuci) et arrêtent Laurent Gbagbo. Il est conduit à l’Hôtel du Golf, quartier général et siège de campagne d’Alassane Ouattara, avant d’être transféré dans le nord du pays où il est assigné à résidence pendant huit mois, avant d’être transféré à La Haye. Le 21 mai, Alassane Ouattara est investi. Il sera réélu en 2015.
Devant la CPI
Le 30 novembre 2011, Laurent Gbagbo est incarcéré au centre de détention de la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye, rejoint le 22 mars 2014 par l’un de ses proches, Charles Blé Goudé, ex-chef du mouvement des Jeunes patriotes. Leur procès débute en janvier 2016. Laurent Gbagbo est le premier ancien chef d’État poursuivi par la CPI.
Ils sont accusés de quatre chefs de crimes contre l’humanité : meurtres, viols, persécutions et autres actes inhumains. Ils plaident non coupables.
À Abidjan, l’épouse de Laurent Gbagbo, Simone, contre laquelle la CPI a également émis un mandat d’arrêt en 2012, est condamnée en mars 2015 à 20 ans de prison pour atteinte à la sûreté de l’État. Accusée de “crime contre l’humanité”, “crime contre les prisonniers de guerre” et “crimes contre les populations civiles”, elle est acquittée le 28 mars 2017 lors d’un nouveau procès, une décision cassée par la Cour suprême. Elle est finalement libérée en août 2018, après une amnistie présidentielle pour favoriser la réconciliation nationale.
L’acquittement
Le 15 janvier 2019, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont acquittés par la CPI. En février, ils sont libérés sous conditions, avant un éventuel procès en appel. En novembre, la justice ivoirienne condamne en appel par contumace Laurent Gbagbo à 20 ans de prison pour le “braquage” de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest pendant la crise post-électorale de 2010-2011. Charles Blé Goudé est condamné le mois suivant à 20 ans de prison pour des crimes commis pendant cette crise.
En mai 2020, la CPI autorise sous conditions Laurent Gbagbo à quitter la Belgique, où il est assigné à résidence depuis son acquittement. Le 14 septembre, le Conseil constitutionnel ivoirien rejette une quarantaine de candidatures à la présidentielle d’octobre, dont celle de Laurent Gbagbo. Le scrutin est remporté par Alassane Ouattara, dont la candidature controversée à un troisième mandat entraîne des violences faisant près de 100 morts.
Au printemps 2021, les législatives sont marquées par le grand retour dans le jeu électoral du Front populaire ivoirien (FPI) de Laurent Gbagbo, qui boycottait tous les scrutins depuis son arrestation. Le parti au pouvoir remporte les législatives, mais perd la majorité qualifiée.
Le 31 mars 2021, la CPI confirme définitivement les acquittements de Laurent Gbagbo et Blé Goudé et lève les restrictions à leur libération. Quelques jours plus tard, le président Ouattara donne son feu vert au retour de son rival en Côté d’Ivoire.