Les manifestations se poursuivent en Tunisie depuis la mort d’un jeune homme à la suite de son arrestation voilà dix jours, et l’humiliante interpellation, le lendemain, d’un mineur dans la banlieue de Tunis. Choqués par ces affaires, des dizaines d’associations et d’organisations syndicales ont appelé à une manifestation monstre, vendredi à Tunis, pour dénoncer les violences policières.
Routes bloquées, pneus brûlés et jets de pierres contre les forces de l’ordre… la colère gronde en Tunisie, où les manifestations contre les violences policières et des troubles nocturnes sont en cours depuis plus d’une semaine dans la capitale Tunis et sa banlieue.
Les nerfs sont toujours à vif dans les quartiers d’Ettadhamen et d’Intilaka, et à Sidi Hassine, banlieue située à l’ouest de Tunis, où les heurts ont commencé le 8 juin, à la suite du décès dans des circonstances suspectes d’un jeune homme, Ahmed Ben Ammar, après son interpellation par la police.
Selon ses proches, il serait mort des suites de tortures infligées au sein du commissariat, ce que démentent les autorités qui ont relayé la version des policiers selon laquelle le jeune homme s’était enfui du commissariat avant d’être retrouvé blessé dans un hôpital de Tunis.
Le lendemain de son décès, en marge de manifestations de colère, une vidéo virale montrant des policiers en civil passer à tabac et déshabiller un jeune mineur, en plein jour et devant témoins, avant de l’emmener dénudé vers une voiture de police, a fini par mettre le feu aux poudres.
Dix ans après la révolution de 2011 ayant entraîné la chute du régime policier du président Zine el-Abidine Ben Ali, dont les abus ont marqué la mémoire collective des Tunisiens, ces deux affaires ont suscité une vague d’indignation dans le pays.
L’impunité de la police
Signe de la puissance de l’onde de choc provoquée par ses évènements, plusieurs dizaines d’organisations, dont le syndicat des avocats et la Ligue des droits de l’Homme, ont appelé à une manifestation nationale massive, vendredi 17 juin, en soutien aux victimes de violences policières. Elles entendent profiter de cette mobilisation pour demander aux autorités de mettre fin à ce qu’ils appellent l’impunité de la police, qui, en cas d’abus, fait rarement l’objet de poursuites judiciaires.
Le 6 février déjà, un rassemblement avait été organisé à Tunis pour dénoncer une politique sécuritaire répressive, ainsi que des atteintes aux libertés de protestataires.
“Pourquoi est-ce que les choses ne changent pas en Tunisie, pourquoi est-ce que la violence policière, que ce soit la torture ou les mauvais traitements restent très répandus ? La réponse tient en un mot : c’est l’impunité”, explique à France 24 Hélène Legeay, responsable au sein de l’Organisation mondiale contre la torture.
“Tant qu’il n’y aura pas de sanction, les choses ne changeront pas, personne n’y aura intérêt. En tous cas les agents de police n’auront pas intérêt à changer leur comportement, tant qu’ils n’auront pas été sanctionnés”, insiste-t-elle.
Le bureau du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme (HCDH) en Tunisie a dit, dans un communiqué publié le 14 juin, son inquiétude face à la multiplication des violences policières dans le pays. Il a pressé les autorités de lancer des enquêtes et de sanctionner les auteurs de ces exactions. “La sanction effective des responsables de ces violations marquera la fin de l’impunité des personnes dépositaires de la force publique qui pensent pouvoir s’absoudre du respect de la loi tunisienne et de l’État de droit”.
Durant les émeutes de janvier 2021 en Tunisie, survenues dans un contexte de multiplication des mouvements sociaux, plus de 600 mineurs ont été arrêtés, torturés et menacés, selon les chiffres de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH).
Le Premier ministre sous le feu des critiques
Sous pression, le ministère de l’Intérieur Hichem Mechichi a indiqué avoir ouvert des enquêtes sur ces deux dossiers et suspendu les policiers responsables de l’humiliation du mineur, libéré dès le lendemain. Initialement, les autorités avaient assuré que la victime était ivre au moment de son interpellation, et qu’elle s’était “déshabillée volontairement lorsque la patrouille de police avait essayé de le maîtriser, dans un geste provocateur”.
Interrogé par le journal Akher Khabar, le jeune homme de 15 ans a confié de son côté n’avoir “jamais touché à l’alcool” et avoir subi des coups de matraque et de pieds à l’intérieur du véhicule, puis à l’intérieur du commissariat de police.
Face à cette vague de contestation, le gouvernement tunisien tente de resserrer les rangs, alors que son chef Hichem Mechichi, qui est également ministre de l’Intérieur par intérim, pourrait être entendu dans les prochains jours par une commission parlementaire.
Du côté de l’opposition, le Bloc démocrate a annoncé, le 12 juin, qu’une pétition était en préparation pour retirer la confiance à Hichem Mechichi, qu’il tient pour responsable des violations des droits humains récemment enregistrés dans le pays.
Le président de la République Kaïs Saïed, en conflit politique ouvert avec le chef du gouvernement, a convoqué la semaine dernière Hichem Mechichi pour exprimer sa “colère” et sa “condamnation” des évènements, tandis que plus d’une soixantaine d’associations et d’organisations syndicales, dont les influents Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) et l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), ont porté plainte contre le Premier ministre pour violences policières.
Elles le désignent comme le “responsable direct” de ce qu’elles ont qualifié de “dérive de l’institution sécuritaire”.
À ce jour, aucun chiffre officiel concernant les violences policières n’est publiée en Tunisie.