Plombée par les sanctions américaines rétablies en 2018 après le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire, l’économie iranienne est la principale préoccupation des électeurs pour le scrutin présidentiel du 18 juin.
“On pensait vivre le pire il y a un an, mais les limites ont encore été repoussées. Notre monnaie a encore chuté, mon loyer a pris 40 % et chaque passage au supermarché me coûte un peu plus cher. C’est un puits sans fond”, raconte Mahsa*, mère de famille. Cette habitante de Téhéran a perdu son emploi il y a un an, alors que la première vague de Covid-19 frappait l’Iran. Mahsa travaillait dans une agence de voyage qui a été contrainte de réduire ses effectifs.
Au cours des derniers mois, de nombreuses sociétés iraniennes ont ainsi dû se séparer de leurs salariés ou carrément mettre la clé sous la porte en raison de la crise sanitaire. “À côté de ça, à cause des sanctions, on ne trouve plus certains médicaments pour les malades épileptiques ou atteints de Parkinson. Un par un, mes amis quittent le pays”, se désole Mahsa.
Pour cette quadragénaire qui a voté pour les réformateurs lors des précédents scrutins présidentiels afin de “gagner des libertés individuelles”, le principal enjeu du scrutin sera cette fois la crise économique. “On vit vraiment sous pression, on est fatigués et le Covid a fini de nous achever, je ne sais même pas si j’irai voter”, finit-elle par lâcher.
Une préoccupation partagée par Mohsen*, un musicien de 45 ans. “Tant que l’économie n’ira pas mieux, je n’ai plus très envie de m’impliquer dans la vie politique”, confie le père de famille, qui dit avoir été déclassé. “Je faisais partie de cette classe moyenne qui pouvait encore voyager dans le pays a minima, se permettre d’aller au restaurant ou d’organiser des loisirs pour ses enfants. Aujourd’hui, en ce qui me concerne, c’est terminé. Je ne peux plus faire aucun écart. Le plus dur est de ne pas pouvoir inscrire ma fille dans des cours de sports ou de musique, ni même de remplacer son skate cassé depuis des mois.”
Mohsen est loin d’être un cas isolé. “Cette grave crise fait plonger une partie de la classe moyenne dans la pauvreté”, estime Thierry Coville, chercheur à l’Institut des relations internationales et stratégiques (Iris).
Une société “dans l’attente” d’un accord sur le nucléaire
L’Iran est en récession depuis trois ans, l’inflation s’envole à 41 % et le chômage tourne autour de 11 % – un taux officiel que les experts jugent sous-estimé. Selon Thierry Coville, le nombre de chômeurs avoisinerait plutôt les 20 % de la population.
Le tableau est plus sombre encore du côté des couches populaires. Les plus touchés par cette crise “ne peuvent même plus se payer de viande”. Pour un ouvrier iranien, payé au salaire minimum de 60 euros, le prix d’un kilo de poulet représente 10 % de son revenu mensuel. “Certains négocient des crédits auprès de leurs commerçants, d’autres ont supprimé la viande de leurs assiettes ou ont drastiquement baissé les rations”, poursuit Thierry Coville.
“Les gens ont d’autres chats à fouetter que d’aller voter, ils sont désillusionnés”, analyse Azadeh Kian, professeure en sociologie politique à l’université Paris Diderot. Pour la chercheuse, à la veille de l’échéance électorale, la société n’est pas “dans la mobilisation” mais “dans l’attente” : “La sortie des États-Unis de l’accord sur le nucléaire [en 2018] joue sur le moral. Les Iraniens attendent plus de voir ce que donneront les négociations dans ce dossier que le résultat des élections.”
La détresse économique avant la liberté des mœurs
En 2013, Hassan Rohani avait été élu président avec un fort soutien de la classe moyenne pour négocier l’accord sur le nucléaire avec les États-Unis. Le texte signé, le dirigeant modéré avait été réélu quatre ans plus tard haut la main, dès le premier tour, grâce à un rebond de l’économie et un allègement bref des sanctions. Ses victoires d’alors “n’étaient pas portées par la détresse économique mais par l’espoir”, fait remarquer Djavad Salehi-Isfahani, professeur d’économie à Virginia Tech et chercheur associé au Forum de recherche économique du Caire, dans une publication de la Banque mondiale. Dans son analyse, l’enseignant rappelle que la classe moyenne iranienne constitue “un groupe électoral puissant”.
Sur le terrain social, l’aspiration à une ouverture des mœurs, qui a beaucoup mobilisé l’électorat féminin et la jeunesse lors des élections précédentes, passe cette fois au second plan. “Hassan Rohani a beaucoup déçu, il n’a pas su empêcher l’emprisonnement de militants des droits humains, des droits des femmes et de la protection de l’environnement. Il n’a pas non plus respecté sa promesse de création d’un ministère des Droits des femmes”, constate Azadeh Kian. Pourtant, cette préoccupation n’a pas complètement disparu. Et c’est peut-être d’ailleurs ce qui pourrait faire revenir Mahsa aux urnes : “Par peur, sans doute, j’irai voter à la dernière minute, si je sens qu’un ultraconservateur peut l’emporter. Là, ma voix pourrait compter.”
* Le prénom a été changé.