Après avoir été renversée par un coup d’État militaire, l’ancienne cheffe de facto du gouvernement civil birman, Aung San Suu Kyi, a été inculpée pour corruption. Elle est accusée par la junte d’avoir perçu plus d’un demi-million de dollars et onze kilos d’or de pots-de-vin.
Quatre mois après le coup d’État du 1er février et la destitution du gouvernement civil d’Aung Saan Suu Kyi, l’ex-dirigeante birmane a été inculpée pour corruption.
Interpellée au matin du 1er février et assignée depuis à résidence, la lauréate du prix Nobel de la paix 1991 fait déjà face à de nombreuses poursuites judiciaires allant de la possession illégale de talkies-walkies à l’incitation à des troubles publics et à la violation d’une loi sur les secrets d’État.
Elle est désormais également inculpée pour avoir perçu illégalement “600 000 dollars et 11 kilos d’or” de l’ancien ministre en charge de la région de Rangoun, Phyo Min Thein, a indiqué, jeudi 10 juin, le journal officiel The Global New Light of Myanmar. Elle est aussi accusée d’avoir abusé de son autorité pour louer à des conditions avantageuses des terrains pour la fondation caritative Daw Khin Kyi, qu’elle présidait.
“Ces accusations sont absurdes”
Aung San Suu Kyi a “commis des actes de corruption en utilisant sa position. Elle a donc été inculpée en vertu de l’article 55 de la loi anti-corruption”, précise le journal. “Ces accusations sont absurdes”, a dénoncé l’un de ses avocats, Khin Maung Zaw. Le but est de “la tenir à l’écart de la scène (politique) du pays et de salir son image”.
“Les régimes militaires successifs en Birmanie ont toujours voulu faire porter le chapeau de la corruption à leurs opposants”, a déploré de son côté l’analyste Richard Horsey du centre d’analyse International crisis group (ICG).
Aung San Suu Kyi, 75 ans, peut être bannie de la vie politique et encourt de longues années de prison si elle est reconnue coupable. La junte ne cesse de resserrer son étau judiciaire contre l’ex-dirigeante, “en bonne santé”, selon ses avocats, malgré les semaines passées à l’isolement.
Deux procès sont déjà prévus dans la capitale Naypyidaw, le premier devant démarrer le 14 juin. Elle pourrait être appelée à comparaître ultérieurement à Rangoun pour le volet concernant la violation du texte sur les secrets d’État.
Pour justifier son passage en force, l’armée a allégué des fraudes “énormes” aux législatives de novembre 2020, remportées massivement par la Ligne nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi. Les généraux birmans menacent de dissoudre cette formation. Une décision en ce sens pourrait être prochainement annoncée à ce sujet, la commission électorale proche du régime ayant fait savoir que son enquête était quasiment bouclée.
Un mouvement de contestation violemment réprimé
Manifestations quasi-quotidiennes, économie paralysée par des grèves massives, recrudescence des affrontements entre armée et factions ethniques rebelles: la Birmanie est en ébullition depuis le putsch qui a mis fin à une parenthèse démocratique de 10 ans.
Le mouvement de contestation est réprimé dans le sang par les forces de sécurité qui ont tué ces derniers mois près de 860 civils, dont des femmes et des enfants, selon l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP). Près de 5 000 personnes ont été placées en détention, des ONG dénonçant des cas d’exécutions extra-judiciaires, de tortures ou de violences envers les femmes.
Ces exactions ont poussé de nombreux opposants à la junte à former une “Force de défense du peuple” (PDF), composée de civils qui ripostent aux forces de sécurité avec des armes artisanales. Mais ces milices citoyennes ont du mal à rivaliser avec l’armée, dotée de moyens très importants.
Aung San Suu Kyi a déjà passé plus de 15 ans en résidence surveillée sous les précédentes dictatures militaires, avant d’être libérée en 2010 et de prendre cinq ans plus tard la tête du pays.
Longtemps icône de la démocratie comparée à Nelson Mandela, Gandhi ou Martin Luther King, son image s’est considérablement ternie ces dernières années à la suite du drame des musulmans rohingyas qui ont fui, en 2017, par centaines de milliers les exactions de l’armée pour se réfugier au Bangladesh voisin.
Le fait qu’elle soit redevenue une prisonnière politique et les procès qui l’attendent pourraient de nouveau changer la donne.
Avec AFP