Femme de défis, Karima Delli est parvenue à unir l’ensemble des forces de gauche pour soutenir sa candidature dans les Hauts-de-France, en appliquant une recette apprise au Parlement européen : l’art de la négociation et du compromis. Sur le terrain, elle tente désormais de se faire connaître des électeurs et de les convaincre de voter pour elle.
Plus de deux heures après l’horaire prévu, vendredi 4 juin, le train express régional (TER) arrive enfin en gare de Saint-Quentin. Sur le quai, la candidate de l’union de la gauche dans les Hauts-de-France aux élections régionales (20 et 27 juin), Karima Delli, a pris son mal en patience mais a hâte de poursuivre son programme. Impossible d’honorer les engagements pris pour l’étape suivante, initialement prévue à Maubeuge. L’eurodéputée Europe Écologie-Les Verts (EELV) et sa petite équipe de campagne iront directement à Aulnoye-Aymeries, où les attend notamment son maire communiste, Bernard Baudoux, pour parler mobilité.
L’ironie de la situation ferait presque rire si elle n’avait pas un impact pas aussi dur sur le quotidien des habitants des Hauts-de-France. Alors que Karima Delli souhaitait faire la promotion des transports en commun en se déplaçant en TER durant deux jours de campagne, avec un hashtag #OnLePrendOnLeDéfend en guise de slogan pour cette opération de communication, elle n’avait pas imaginé qu’elle se retrouverait aux premières loges pour vivre les problèmes rencontrés régulièrement par bon nombre d’usagers.
“Il y a beaucoup de gens dans cette campagne qui parlent de transport, mais moi je suis une usagère du train. Or aujourd’hui nous attendons un train depuis près de deux heures. Et deux heures de retard dans une journée, c’est inacceptable. C’est la raison pour laquelle quand je serai à la tête de la région, la première chose que je ferai, ce sera de remettre à plat la convention avec la SNCF en associant toutes les associations d’usagers à la discussion”, explique-t-elle au micro de France 24, bien décidée à transformer cette péripétie du jour en argument politique.
Le verbe est franc et ne se perd pas en circonlocutions. À l’image de sa prestation lors du débat télévisé organisé par France 3 Hauts-de-France deux jours plus tôt, durant lequel elle a su bousculer le président sortant de la région, Xavier Bertrand, Karima Delli est, à 42 ans, une femme engagée qui va de l’avant.
Neuvième d’une fratrie de treize enfants, fille d’immigrés algériens – un papa ouvrier dans l’industrie textile, une maman mère au foyer – Karima Delli grandit à Tourcoing dans un quartier populaire. Elle obtient un baccalauréat ES, puis un BTS Action commerciale et enfin un DEA en sciences politiques à l’IEP de Lille, qui lui permet d’effectuer un stage au Sénat qui changera sa vie. Nous en sommes en 2004. Karima Delli rencontre la sénatrice écologiste du Nord, Marie-Christine Blandin, qui lui offre un job d’assistante parlementaire. Celle qui fut de 1992 à 1998 la première femme présidente de l’ex-région Nord-Pas-de-Calais devient alors son mentor.
Cinq ans plus tard, Karima Delli est élue au Parlement européen pour la première fois sous la bannière Europe Écologie-Les Verts. Elle poursuit en parallèle son activisme au sein des collectifs Jeudi noir (logement) et Sauvons les riches (inégalités) et est réélue en 2014, puis 2019. À Bruxelles, où elle est à la tête depuis quatre ans de la Commission des transports et du tourisme, elle apprend l’art de la négociation et du compromis pour bâtir des coalitions.
“Ce qui nous rassemblait était beaucoup plus fort que ce qui nous divisait”
Une expérience qui lui permet aujourd’hui d’être à la tête de l’unique liste d’union de la gauche aux élections régionales françaises. Alors que socialistes, écologistes, insoumis et communistes se déchirent partout ailleurs, Karima Delli a su trouver les mots pour unir tout le monde.
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“Pour faire l’union de la gauche et des écologistes, il fallait une méthode, explique-t-elle à France 24. J’ai la chance d’être présidente de la Commission des transports et du tourisme au Parlement européen et je suis obligée de travailler avec tout le monde parce qu’au niveau européen, aucun parti n’est majoritaire à lui tout seul. Donc je sais dégager des majorités avec des forces d’opposition, voire parfois des forces antagonistes.”
Pour parvenir à cette union inédite, l’eurodéputée a pris son temps. Sont d’abord organisées des discussions en tête-à-tête avec les têtes de liste pressenties des autres partis de gauche – Patrick Kanner (Parti socialiste), Ugo Bernalicis (La France insoumise), Fabien Roussel (Parti communiste) – qui permettent d’écouter les positions de chacun. Suivent ensuite des réunions rassemblant tout ce petit monde.
Irresponsable, cette campagne d’affichage D’EELV dans les Hauts-de-France ! C’est déjà assez difficile de mobiliser pour voter. Ce second degré c’est se tirer une balle dans le pied. pic.twitter.com/zQ2vk2pznQ
— Ugo Bernalicis φ (@Ugobernalicis) May 11, 2021
“Quand vous mettez en place un compromis au niveau européen, vous n’avez pas forcément tort ou raison, vous essayez juste de trouver une capacité d’action. Et là, on a bien compris que ce qui nous rassemblait était beaucoup plus fort que ce qui nous divisait. Le but, c’est d’avoir véritablement une colonne vertébrale sur nos valeurs qui est intacte. J’ai réussi à respecter chacun de mes partenaires et ensuite à poser une feuille de route avec un objectif commun.”
L’union est parfois difficile à faire vivre. Sur les marchés, les militants insoumis tractent parfois dans leur coin pour leurs candidats aux élections départementales. Ugo Bernalicis a tiré à boulets rouges sur Twitter contre une campagne d’affichage imaginée par EELV. Et Jean-Luc Mélenchon ne cesse de s’en prendre aux écologistes dans les médias, les qualifiant notamment sur BFMTV de “menteurs, hypocrites, faux-jetons” et déclarant dans Le Monde qu’ils avaient “un avenir aussi longtemps qu’on ne les voit pas à l’œuvre”.
“Jean-Luc c’est Jean-Luc, mais sur le terrain, tout le monde joue le jeu et tout le monde a compris qu’on était une équipe, répond Karima Delli. C’est ça qui est aussi agréable. Chacun mouille le maillot. Ce matin j’étais avec un maire socialiste, cet après-midi, c’est un maire communiste et il y a aussi des militants France insoumise qui nous ont rejoints. Il n’y a pas d’animosité entre nous. On est contents de faire campagne ensemble.”
Pour autant, même unis et même si Karima Delli aime les missions impossibles, la montagne à gravir semble beaucoup trop haute, à en croire les sondages. Ceux-ci donnent irrémédiablement la candidate de l’union de la gauche en troisième position des intentions de vote, derrière Xavier Bertrand et le candidat du Rassemblement national, Sébastien Chenu.
Un déficit de notoriété important
Pour Karima Delli, le défi principal réside dans sa capacité à mobiliser. Frappés de plein fouet par la crise économique depuis de nombreuses années, et en particulier par la désindustrialisation, bon nombre d’électeurs de gauche, lassés par des promesses non tenues, se réfugient de plus en plus dans l’abstention, voire pour certains dans un vote RN.
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“Les jeunes, notamment, ne s’intéressent plus à la politique”, regrette Jean-Robert, un militant Génération Écologie de 67 ans venu prêter main forte à Karima Delli à Saint-Quentin. “C’est terrible de voir ça. À la gare ce matin, au moins un jeune sur deux ne prenait même pas le tract qu’on leur tendait alors que celui-ci parle de notre proposition sur la gratuité des transports pour les moins de 26 ans.”
Au-delà des jeunes, c’est bien l’ensemble des classes populaires, qui représente une part importante de la cible électorale de Karima Delli, qui s’est éloigné de la vie politique. Vendredi matin, sur le marché du quartier Europe de Saint-Quentin, les élections régionales semblent très loin des préoccupations.
Beaucoup d’habitants n’ont pas en tête les dates du scrutin et la plupart des personnes croisées ne connaissent pas Karima Delli, qui a pris l’habitude de baisser son masque pour montrer son visage et faire remarquer que, oui, c’est elle sur le tract.
“Les politiques nous disent tous la même chose, mais au final, on ne voit jamais rien qui change, regrette Marie-Line, une commerçante vendant des fromages et des saucissons. Et puis vous savez l’écologie… Leur premier souci, ici, c’est de réussir à joindre les deux bouts, alors les élections…”
Comment être audible auprès de ces citoyens désabusés ? La candidate de la liste “Pour le climat, pour l’emploi” croit avoir, là encore, la recette miracle. “Il faut prendre le temps d’écouter les gens, nous confie-t-elle en attendant son TER. Pourquoi sont-ils fâchés ? Parce que leur vie a changé. Ils ne croient plus aux promesses, donc il faut leur montrer ce qu’on a déjà été capable de faire en tant qu’élu. Je le fais avec mon bilan au Parlement européen, mais aussi avec celui des élus locaux sur ma liste et qui sont dans l’action concrète, comme Catherine Quignon, maire de Montdidier, où chaque habitant reçoit un chèque énergie pour que son pouvoir d’achat soit renforcé.”
Karima Delli y croit : elle déjouera les pronostics. Si elle a pu unir la gauche dans sa région, pourquoi ne pourrait-elle pas aussi l’emporter aux régionales malgré son déficit de notoriété ? “Xavier Bertrand est très connu, mais qu’a-t-il fait ? Nous sommes dans la région avec le taux de pauvreté le plus important de France, nous avons une espérance de vie de trois ans inférieure à la moyenne nationale et le taux de chômage est de 31 % chez les jeunes. Je crois que les habitants ont envie de nouveauté.” Réponse dans les urnes les 20 et 27 juin prochains.