Ces affrontements se sont produits au niveau du barrage Francisco I. Madero – également appelé Las Vírgenes – qui est alimenté par la rivière San Pedro. Cette rivière est un affluent de la rivière Conchos, qui est elle-même l’un des principaux affluents du Río Grande, également appelé Río Bravo (un fleuve qui prend sa source aux États-Unis et qui sert de frontière entre les deux pays).
“Les forces de l’ordre nous ont empêchés d’accéder au barrage”
Nous nous sommes rendus au barrage, car nous avions eu l’information selon laquelle les forces de l’ordre allaient venir pour le surveiller, afin que l’eau puisse être envoyée vers les États-Unis. Pour ce faire, il est prévu d’ouvrir les vannes du barrage, pour que l’eau s’écoule jusqu’au Río Grande, où elle peut être récupérée par les États-Unis au niveau de deux barrages internationaux [appelés Falcón et Amistad, et dont l’eau est utilisée par les deux pays, NDLR]. Du coup, plusieurs centaines de personnes des localités voisines se sont déplacées pour empêcher cela.
Quand nous sommes arrivés au niveau du barrage, il y avait des membres de la Garde nationale et de la police militaire. Ils nous ont empêchés d’y accéder, alors que normalement l’accès est libre. Nous voulions simplement vérifier qu’ils n’avaient pas commencé à ouvrir les vannes.
Des affrontements ont ensuite éclaté, et les forces de l’ordre ont tiré sur les agriculteurs avec des balles en caoutchouc et du gaz lacrymogène, comme le montrent plusieurs vidéos diffusées sur les réseaux sociaux. Il n’y a pas eu de blessés graves, mais des véhicules ont été endommagés.
Le lendemain des affrontements, des agents des forces de l’ordre sont arrivés en renfort pour surveiller le barrage. De leur côté, les agriculteurs ont bloqué des tronçons de route pour continuer à protester.
Un traité liant les États-Unis et le Mexique depuis 1944
Selon le gouvernement fédéral, une partie de l’eau du barrage Francisco I. Madero doit être envoyée vers les États-Unis afin de respecter le traité sur les eaux internationales qui lie les deux pays depuis 1944.
Selon ce texte, les États-Unis doivent donner 1 850 millions de m3 d’eau au Mexique chaque année, provenant du fleuve Colorado (dont la source se trouve aux États-Unis et qui se jette dans le golfe de Californie, au Mexique).
De son côté, le Mexique doit envoyer, en moyenne, 431,7 millions de m3 d’eau vers les États-Unis chaque année, provenant de ses cours d’eau qui alimentent le Río Grande. Un bilan est réalisé tous les cinq ans, pour vérifier que le Mexique a bien envoyé 2 158,5 millions de m3 à son voisin durant cette période.
Problème : à l’issue du cycle 2015-2020, le Mexique accuse un “retard” de 511,9 millions de m3, qu’il doit donc envoyer aux États-Unis pour respecter le traité, selon le président Andrés Manuel López Obrador.
“Sans eau, notre région va mourir”
Nous pensons que l’eau du barrage a été mal gérée récemment par la Commission nationale de l’eau [organisme fédéral chargé d’administrer les eaux nationales, NDLR]. En effet, une partie a été envoyée vers d’autres États mexicains, comme si les administrateurs avaient oublié qu’il fallait garder des réserves pour les États-Unis. Le stock d’eau a été mal géré, car nous avons eu des années plus sèches dans le passé, et il n’y avait jamais eu de problème jusqu’à présent.
Par conséquent, si l’on envoie l’eau du barrage qui reste aux États-Unis, nous risquons de manquer d’eau ici, dans les prochains mois. Or, sans eau, notre région va mourir, puisque nous vivons dans un désert, donc nous en avons vraiment besoin pour irriguer nos champs. De plus, presque tous les habitants vivent de l’agriculture ou du travail des agriculteurs dans la zone.
De leur côté, les autorités assurent que l’envoi d’eau vers les États-Unis ne mettra pas en péril les activités agricoles dans la région, car elles estiment que la réserve d’eau du barrage Francisco I. Madero est suffisante.
Ce que proposent les agriculteurs
Antonio Villalobos indique :
Nous proposons, dans un premier temps, d’attendre au minimum jusqu’au mois d’octobre avant d’envoyer de l’eau vers les États-Unis, car le cycle 2015-2020 prendra fin à ce moment-là. D’ici-là, peut-être qu’il pleuvra davantage, ce qui permettra d’avoir un stock d’eau plus important.
Également interrogé par notre rédaction, Andrés Valles, président du module n° 4 du district d’irrigation 005 de Delicias, une localité voisine du barrage Francisco I. Madero, ajoute :
Selon le traité, si le Mexique ne parvient pas à envoyer le volume d’eau “réglementaire” aux États-Unis lors d’un premier cycle de cinq ans, en cas de sécheresse importante par exemple, il peut le faire au cours du cycle suivant. Et s’il n’y parvient toujours pas ensuite, comme c’est le cas actuellement, il reste une solution pour régler le problème : au niveau des barrages internationaux [ceux de Falcón et Amistad, dont les réserves sont communes aux deux pays, NDLR], les États-Unis peuvent utiliser un volume d’eau plus important qu’en temps normal, ce qui implique une diminution du volume correspondant au Mexique. Mais on dirait que notre président est mal conseillé, car il ne semble pas considérer cette solution.
Depuis le début de l’année, des affrontements entre forces de l’ordre et agriculteurs ont également éclaté au niveau de deux autres barrages (La Boquilla et El Granero) situés dans l’État de Chihuahua, pour des raisons similaires.
Article écrit par Chloé Lauvergnier (@clauvergnier).