En première ligne pendant le pic épidémique de Covid-19, les sages-femmes se sentent oubliées par les accords du Ségur de la santé. Une “occasion ratée” de reconnaître cette profession, pourtant mobilisée au quotidien pour la santé des femmes. Reportage à la Maison des médecins du Pré-Saint-Gervais, en Seine-Saint-Denis.
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Parcours fléché en couleurs, distances de sécurité, trois salles d’attente spacieuses : une pour les femmes enceintes, une pour les patientes avec symptômes du Covid-19 et une dernière pour les patientes “classiques”. L’équipe de quatre sages-femmes, dont deux échographistes, et quatre généralistes a tout mis en place pour garantir un climat sécurisé et serein dans la Maison des médecins du Pré-Saint-Gervais, en Seine-Saint-Denis (93).
Samedi 25 juillet, Adrien Gantois, sage-femme, reçoit à 9 h 15 sa première patiente avec sourire et décontraction. Il l’appelle par son prénom, la tutoie et connaît son dossier par cœur. C’est une première grossesse et chaque patiente mérite d’être entourée, écoutée et rassurée. “Ici, je suis totalement en confiance, je recommande même la maison à mes patientes”, confie à France 24 Malyza, elle-même médecin généraliste, venue depuis Montreuil.
Dans ce cabinet de ville, implanté dans le plus pauvre département de France, les soignants aiment la proximité avec leurs patients, le suivi à moyen et long terme et les “histoires” individuelles. Il n’est pas rare d’entendre qu’on ne travaille pas dans le “9-3” par hasard. Alors tout, ici, est mis en œuvre pour protéger les femmes des turpitudes extérieures.
“Dans l’imaginaire collectif, nous sommes toujours des accoucheuses”
Pourtant, depuis la signature des accords du Ségur de la santé le 13 juillet, Adrien Gantois serre les dents. Comme la plupart de ses collègues sages-femmes, il se sent “méprisé” par le Ségur. Certes, la profession bénéficiera d’une revalorisation de 183 euros net par mois. Mais cette augmentation est ajustée sur celle des professions paramédicales, alors que les sages-femmes font partie des professions médicales, au même titre que les médecins et les dentistes.
“Le Ségur était une occasion de reconnaître la profession de sage-femme et de la valoriser à sa juste valeur. C’est raté”, regrette Adrien Gantois, sage-femme exerçant en libéral depuis 6 ans et président du Collège national des sages-femmes de France. “Dans l’imaginaire collectif, nous sommes toujours des accoucheuses. Mais nous avons évolué en formation et en compétence”, martèle-t-il.
Les sages-femmes suivent cinq ans d’études, dont une année de médecine puis quatre autres de spécialisation en gynécologie et obstétrique. Elles peuvent assurer ensuite les accouchements à l’hôpital et à domicile, mais également les suivis de grossesse, les soins postpartum, les IVG médicamenteuses, la contraception ou le suivi gynécologique. Et bien sûr, diagnostiquer les urgences.
Samedi, en milieu de matinée, des pleurs sonores viennent déchirer la tranquillité de la petite maison du Pré-Saint-Gervais. Derrière les portes closes, la détresse d’une future mère est palpable. Adrien Gantois vient de déceler un col trop ouvert, synonyme de risque d’un accouchement trop précoce. Le diagnostic est confirmé à l’échographie. Moins de dix minutes plus tard, le Samu transporte la patiente aux urgences de sa maternité. “Son dossier est déjà transféré”, assure Adrien Gantois quand la pression retombe. “La clé de la réussite est là : il faut travailler main dans la main avec les hôpitaux. Fluidifier les parcours de soins. Et ça aussi, ça a échappé au Ségur, qui n’a pas eu l’ambition de réformer le système“, regrette-t-il.
La profession non représentée au Ségur
“Ce Ségur est une honte”, renchérit-il, soulevant un autre point qui le hérisse. “Le fait que les sages-femmes soient oubliées est une faute politique et symbolique qui en dit long sur le patriarcat en France”, assène-t-il. “Les sages-femmes sont respectées dans les pays plus évolués en matière d’égalité homme-femme, où l’on mesure l’importance de la santé des femmes.”
Même analyse de la part de Cécile Caze, sage-femme coordinatrice du réseau de périnatalité de Seine-Saint-Denis. “Nous sommes à 98 % une profession féminine et en plus on s’occupe des femmes : c’est la double peine !”, ironise-t-elle. Elle déplore le manque de poids politique de la profession qui ne regroupe “que” 24 000 personnes en France (contre plus de 700 000 infirmiers). Outre la non-reconnaissance de leur statut, elle déplore leur exclusion des négociations du Ségur.
“Quand Olivier Véran dit que les revalorisations sont le fruit de négociations syndicales, il faut rappeler que les syndicats de sages-femmes n’ont pas pu siéger au Ségur et que les syndicats généraux ne reconnaissent pas la singularité notre profession”, précise-t-elle, en réponse au ministre de la Santé qui assurait sur France 2 le 22 juillet que les “sages-femmes ne sont pas du tout oubliées”.
Les sages-femmes, “des roseaux dans la tempête” du Covid-19
La pilule est d’autant plus difficile à avaler qu’à l’instar des autres corps médicaux, les sages-femmes ont été sur le pont depuis le début de la crise du Covid-19. “Les femmes ne s’arrêtent pas d’accoucher pendant le Covid”, poursuit Cécile Caze, qui a participé, comme Adrien Gantois, à la cellule de crise nationale opérationnelle pendant tout le confinement.
Implantée en Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus touchés par le Covid-19 pendant le pic de la crise sanitaire, avec notamment plus de 200 cas de patientes enceintes diagnostiquées positives au virus, la Maison des médecins du Pré-Saint-Gervais a assuré sa mission sans discontinuité. “On a tout donné”, assure Adrien Gantois : rédaction d’un protocole, mise en place de la téléconsultation, poursuite des soins d’urgence et des échographies avec les moyens du bord – masques achetés en pharmacie, blouses de cantinières mises à disposition par la mairie et charlottes données par un cabinet de kinésithérapie… “On était comme des roseaux dans la tempête”, s’enflamme Adrien. Mais les femmes ont pu s’y accrocher.
Diagnostiquée positive au Covid-19 en février, à six mois et demi de sa grossesse, Rebecca a d’abord été orientée aux urgences puis a bénéficié d’une préparation à la naissance par téléconsultation et des soins nécessaires en présentiel : “On m’a expliqué que le risque de transmission fœtal était minime, je me suis accrochée à cette idée. Les sages-femmes m’ont rassurée”, explique-t-elle, en sortant de sa consultation de suivi postpartum.
Besoin de repos et de reconnaissance
En cette fin juillet, alors que la Seine-Saint-Denis repasse au-dessus du seuil de vigilance pour le Covid-19 – avec un taux d’incidence de 10,1 contaminations pour 100 000 habitants recensé dans la semaine du 6 au 12 juillet, ce qui n’était plus arrivé depuis fin mai –, les sages-femmes confirment sentir un “frémissement”. Elles se disent plus préparées qu’en mars dernier. Plus fatiguées aussi.
Depuis le déconfinement, les consultations ont repris dans des conditions sanitaires contraignantes et le planning ne désemplit pas de femmes enceintes : “La future génération du confinement”, s’amuse Adrien, dont on ne voit que les yeux bleus sourire, au-dessus du masque. Mais il ne cache pas son épuisement. “J’ai besoin de repos pour pouvoir assurer en cas de deuxième vague. Besoin de recul aussi parce que le Ségur a été le coup de grâce. Si on va mal, on ne peut pas faire un suivi de bonne qualité. Et c’est ce que n’arrivent pas à comprendre les ministères.”