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Prises dans la lutte contre Boko Haram, trois jeunes Camerounaises risquent la peine de mort

Après six années en prison, trois jeunes femmes, accusées de complicité avec le groupe terroriste Boko Haram, doivent être jugées pour la première fois par un tribunal civil le 24 juillet, dans le nord du Cameroun. Elles encourent la peine de mort. Leur avocat dénonce sur France 24 une erreur judiciaire.

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Marie Dawandala, Damaris Doukouya et Martha Weteya n’ont que 17 ans quand elles sont interpellées, en octobre 2014, dans leur village près de Mokolo, dans la région francophone de l’Extrême-Nord, au Cameroun, à un jet de pierre de la frontière nigériane. Elles sont accusées de complicité avec Boko Haram, le groupe terroriste qui sévit alors à l’est du Nigeria et dans les zones frontalières, dont l’Extrême-Nord particulièrement touché. Entre 2014 et 2017, 2 000 civils et militaires ont été tués et plus d’un millier de personnes ont été enlevées dans la région par le groupe jihadiste. 

Après plusieurs renvois, leur procès pour espionnage, appartenance à une bande armée et complicité d’insurrection doit enfin s’ouvrir le 24 juillet à Mokolo. Âgées aujourd’hui de 23 ans, elles encourent la peine de mort. Mais leur avocat, Me Nestor Toko, plusieurs associations et le réseau Ensemble contre la peine de mort (ECPM) mènent une campagne pour dénoncer une erreur judiciaire, une de plus dans une région du Cameroun où plusieurs centaines de prisonniers feraient face, selon eux, à la même injustice.

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“Les autorités camerounaises ont arbitrairement arrêté des centaines de partisans présumés de Boko Haram, dont beaucoup sans enquête approfondie, et les ont accusés de terrorisme, passible de la peine de mort”, explique dans un communiqué Marie-Lina Samuel, coordinatrice du projet Afrique d’ECPM. Dans son rapport “Condamnés à l’oubli : mission d’enquête dans les couloirs de la mort au Cameroun“, l’ONG souligne la multiplication des procès inéquitables dans les dossiers de terrorisme dans ce pays d’Afrique centrale.  

La lutte contre Boko Haram et les conséquences d’une réponse ultra-sécuritaire

En 2013, les trois jeunes femmes quittent l’Extrême-Nord, région la plus pauvre du Cameroun,  pour chercher du travail au Nigeria. Elles s’installent juste de l’autre de la frontière, à Madagali, dans l’État d’Adamawa. Mais au lieu de l’emploi espéré, c’est la violence et les conflits qu’elles trouvent dans le pays voisin.

Cette année-là, Boko Haram multiplie les attentats et les attaques aveugles contre les populations civiles dans l’est du Nigeria. Malgré l’intervention de l’armée nigériane, impossible d’arrêter l’expansion du groupe. En 2014, Boko Haram poursuit son emprise territoriale, et systématise les enlèvement. Des dizaines de milliers de civils fuient les exactions du groupe et les affrontements avec l’armée pour se réfugier au Niger, au Tchad ou au Cameroun voisins. Dans ce contexte, en septembre 2014, Marie, Damaris et Martha regagnent en urgence leur village camerounais.

Le Cameroun s’engage à son tour dans la lutte contre Boko Haram, face aux attaques du groupe qui mène notamment une incursion dans l’extrême nord du pays en mai 2014. La lutte contre les jihadistes devient cause nationale et les forces de sécurité mènent des “opérations de ratissage”, arrêtant des milliers de personnes. Mais ils se rendent aussi coupables “de violations de droits humains”, selon un rapport d’Amnesty International publié en 2015. C’est dans ce cadre que les trois jeunes femmes, encore mineures, sont arrêtées en octobre 2014. 

Accusées d’appartenir à Boko Haram sans comprendre pourquoi

À l’époque, Damaris vient d’accoucher et Marie est enceinte. Aucune d’elles n’a été scolarisée, elles ne parlent pas le français utilisé par l’administration judiciaire et la police, et n’ont pas les moyens d’engager un avocat. Elles peinent à comprendre les charges qui pèsent contre elles.

“Quand on m’a arrêtée, on ne m’a pas dit pourquoi. C’est à la gendarmerie à Maroua que j’ai appris que j’appartiendrais à Boko Haram. Mon cœur s’est arrêté ; j’ai perdu connaissance. À mon réveil, mon corps ne m’appartenait plus. J’allaitais mon enfant, et mon sein ne coulait plus. Je ne comprenais pas : alors qu’on fuyait tous Boko Haram, on m’accusait d’appartenir au groupe”, s’est confiée Damaris, dans un rapport du Cornell Center, une organisation américaine contre la peine de mort engagée dans la campagne de défense des trois jeunes femmes.

“J’ai été accusée d’être avec Boko Haram alors que je n’y connais rien. Jusqu’à ma mort, ce mauvais mot de Boko Haram sera  gravé en moi”, témoigne pour sa part Marie.

En prison depuis 6 ans avec leurs enfants

Les jeunes femmes sont incarcérées d’abord à Moloko puis à la prison centrale de Maroua où Marie donne naissance à son fils. En 2016, après 17 mois de détention préventive, Marie, Damaris et Martha sont traduites devant un tribunal militaire qui les condamne à mort pour complicité de terrorisme.

Incarcérées dans des conditions déplorables – surpopulation, manque de nourriture, d’hygiène, de chauffage, absence de soins médicaux, isolement, etc…– elles élèvent leurs enfants en prison en attendant leur exécution. Jusqu’en 2019, quand l’avocat Nestor Toko, président du Réseau des avocats camerounais contre la peine de mort, décide d’assurer leur défense. Il parvient à faire annuler la condamnation à mort du tribunal militaire, non habilité à juger des mineurs, et parvient à faire transférer leur dossier devant le tribunal civil de Mokolo.

“Arrêtées pour l’exemple”

Le 24 juillet 2020, c’est devant cette juridiction qu’il va demander l’annulation pure et simple de la procédure.”Tout le dossier est basé sur une enquête préliminaire irrégulière. Ce dossier est vide”, explique-t-il à France 24.

“Ces femmes ont été arrêtées sur la base des aveux d’un seul témoin, interrogé sous la torture et menacé de ne plus revoir son enfant s’il ne donnait pas des noms”, précise l’avocat qui a pu rencontrer le témoin, lui-même incarcéré. “Le témoin a ensuite dû signer le procès-verbal sans en comprendre le contenu puisqu’il ne sait pas lire. C’est une pratique courante dans cette région du Cameroun”, ajoute-t-il, en dénonçant des violations des procédures et des principes fondamentaux de la justice.

“Les autorités camerounaises ont mené une campagne de répression systématique pour montrer qu’elles pouvaient assurer la sécurité des citoyens mais au mépris des droits de l’Homme”, estime l’avocat. “La présomption d’innocence est bafouée. Ces femmes ont fait presque 6 ans de prison sans avoir eu le droit à un procès équitable. C’est un châtiment sans jugement”, assène l’avocat qui dénonce “le manque d’indépendance de la justice”. “On a fait de ces femmes des exemples dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ; aujourd’hui, leur vie est brisée”, regrette-t-il.

Aujourd’hui, bien que Boko Haram mène toujours des attaques répétées dans les villages de l’Extrême-Nord situés non loin de la frontière avec le Nigeria, pillant et rasant tout sur leur passage, la lutte contre le groupe n’est plus érigée en cause nationale. Depuis 2016, c’est la crise anglophone qui concentre tous les regards.

À Maroua ou Mokolo, la vie a repris son cours et le temps du couvre-feu semble loin. La baisse en intensité du conflit pourrait donc bénéficier aux jeunes femmes. Mais Nesto Toko reste prudent. Selon lui, le procès n’est pas à l’abri de nouveaux renvois et il redoute que la procédure ne dure encore plusieurs mois. Marie, Martha, et Damaris, oscillent entre la peur d’être à nouveau condamnées à mort et le maigre espoir d’être un jour, peut-être, libérées et lavées de tout soupçon.

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