À l’extrême sud de la péninsule ibérique, face à la côte marocaine, le détroit de Gibraltar est devenu une autoroute de la drogue. Point stratégique du trafic entre l’Europe et l’Afrique, il est livré au ballet incessant des navires de contrebande et des “go fast”, ces bolides chargés de haschisch et de cocaïne qui font fi de la répression policière. Nos reporters se sont rendus côté espagnol, dans la ville de La Línea de la Concepción, à la rencontre de certains habitants confrontés de près au trafic de drogue, qu’ils y participent ou qu’ils le combattent.
Publicité
Au cours des années 70, les narcotrafiquants ont fait du détroit de Gibraltar leur point d’ancrage en Europe. Cinquante ans plus tard, ils semblent avoir remporté le combat contre la police.
Ils sont à la tête d’un empire qui s’apparente à la gestion des entreprises de transport de fret. Sur les 14 km de mer qui séparent l’Espagne du Maroc, ils font naviguer plus de 280 tonnes de drogue par mois. Environ 80 % du haschich consommé en Europe passe par ici.
Le détroit demeure incontrôlable
Pour lutter contre ce commerce illégal, l’état espagnol a lancé en 2018 un plan de sécurité dénommé “Campo de Gibraltar” qui restera actif jusqu’en 2021. Si les arrestations sont en hausse ces dernières années, tous les acteurs du secteur s’accordent néanmoins à dire que le détroit demeure incontrôlable
Nous embarquerons d’abord à bord de l’hélicoptère de Pedro Luis Bardon. Depuis plus de trente ans, ce pilote émérite s’élance à la poursuite des embarcations chargées de drogue dans le détroit… Ses figures acrobatiques au plus près des trafiquants lui ont valu un rôle dans le film “El Nino” de Daniel Monzón, sorti en 2014.
Julio, un “organisateur” qui ne regrette rien
Nous rencontrerons également celui que nous appellerons Julio. À l’approche de la soixantaine, ce père de famille est, selon le jargon de son secteur, un “organisateur”. Après avoir fait ses classes dès son plus jeune âge dans le trafic de cigarettes, il gère aujourd’hui depuis la côte espagnole un réseau de trafic de cocaïne et de haschich installé au Maroc. À ses yeux, tout a un prix, mêmes les êtres humains. Dans cette région où le taux de chômage atteint 40 %, l’argent a le pouvoir de corrompre et de changer radicalement des vies, y compris la sienne et celle de sa famille. C’est la raison pour laquelle il assure ne pas regretter son choix de vie, bien qu’il lui ait valu plusieurs années de prison.
Enfin, nous suivrons José Manuel, un jeune retraité de la police qui a dédié sa vie à la lutte contre le trafic de drogue. Aujourd’hui encore, dans les couloirs de la police, on le surnomme “chef”. Infiltré pendant dix ans au Maroc, il se targue d’avoir convaincu Pablo Escobar, le célèbre trafiquant colombien de cocaïne, de ne pas s’y installer.