La décision américaine, mercredi, de fermer le consulat chinois à Houston a surpris. Pas seulement parce qu’elle est sans précédent dans l’histoire des relations diplomatiques entre les deux pays, mais aussi parce que les motifs de s’en prendre à cette délégation demeurent flous.
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À Houston, les Chinois ont un problème. Washington a annoncé, mercredi 22 juillet, la fermeture du consulat chinois dans la ville texane dans les soixante-douze heures. Cette décision est sans précédent depuis que les deux pays ont commencé à entretenir des relations diplomatique, en 1979. Elle intervient dans un contexte d’escalade des tensions entre les deux superpuissances, engagées dans une bataille pour la suprématie commerciale, diplomatique, technologique et même spatiale.
Officiellement, la fermeture du consulat a été motivée par la lutte contre “les opérations massives et illégales d’espionnage et d’influence chinoise [sur le sol américain, NDLR]”, a précisé le département d’État [l’équivalent américain du ministère des Affaires étrangères]. La veille, les États-Unis avaient révélé l’inculpation de deux ressortissants chinois qu’ils accusent d’être des pirates informatiques ayant subtilisé des informations à plusieurs groupes et entités américaines, dont des laboratoires de recherches travaillant à élaborer des traitements contre le Covid-19 au profit du gouvernement chinois.
Un consulat dans le viseur du FBI
La délégation chinoise à Houston serait ainsi considérée comme un nid d’espions. Plus que les quatre autres, qui se trouvent à Los Angeles, San Francisco, New York ou Chicago ? Marco Rubio, le sénateur républicain de Floride, en est convaincu. “Le consulat chinois à Houston n’est pas un bâtiment diplomatique. C’est le cœur du vaste réseau d’espions établi aux États-Unis par le parti communiste chinois”, a-t-il affirmé sur Twitter… Sans donner plus de précisions.
#China’s consulate in #Houston is not a diplomatic facility. It is the central node of the Communist Party’s vast network of spies & influence operations in the United States. Now that building must close & the spies have 72 hours to leave or face arrest.
This needed to happen.
— Marco Rubio (@marcorubio) July 22, 2020
David Stilwell, le Secrétaire d’État adjoint pour l’Asie de l’Est et le Pacifique, s’est chargé de rentrer davantage dans les détails. Cet officiel américain accuse l’armée populaire chinoise “d’envoyer des étudiants chinois, officiellement ou non, dans des universités américaines pour y suivre des cours qui permettront à Pékin de pousser leur avantage militaire dans le monde. Et le consulat à Houston est l’épicentre de toutes ces activités”, rapporte le quotidien hongkongais South China Morning Post.
Il a précisé au New York Times que le consul général chinois, Cai Wei, avait été contrôlé à l’aéroport de Houston avec des faux papiers d’identité, fin mai, en train d’escorter des ressortissants chinois pour y prendre des vols charter (c’est-à-dire des vols non réguliers) en direction de la Chine.
Le FBI s’intéresse aussi au consulat de Houston dans le cadre de plusieurs enquêtes, a appris le New York Times. Les diplomates chinois sont soupçonnés d’avoir cherché à envoyer illégalement en Chine des documents de recherche obtenus auprès de laboratoires de la région, et d’avoir fait pression sur des ressortissants chinois aux États-Unis que Pékin voulait voir revenir au pays.
Pression des diplomates chinois
Plus généralement, la localisation de Houston peut être considéré comme stratégique. La ville abrite l’un des plus grands centres spatiaux de la Nasa, et se trouve en plein cœur de la région pétrolière américaine.
“Plusieurs incidents concernant des entreprises américaines du secteur de l’énergie en lien avec le consulat ont été constatés par le passé”, a indiqué sur Twitter Bill Hayton, spécialiste des questions énergétiques en Asie au Chatham House, un institut de réflexion basé à Londres. Contacté par e-mail, ce chercheur a précisé “qu’entre 2006 et 2009, le consulat avait fait pression sur des compagnies pétrolières américaines actives dans la région de la mer de Chine méridionale, dont Hunt Oil et Pogo“. Pour lui, l’une des missions des diplomates chinois au Texas serait “de surveiller les projets qui pourraient intéresser Pékin des entreprises américaines du secteur énergétique”.
Autant d’actions qui peuvent être considérées comme hostiles, mais ne constituent pas des preuves accablantes du rôle du consulat de Houston comme centre névralgique du renseignement “made in China”. Alors, certes, par définition, le secret qui entoure l’espionnage implique que le tableau complet de ce dont les diplomates chinois sont soupçonnés ne sera probablement jamais révélé. Mais “ce consulat n’a, à ma connaissance, pas la réputation d’être un nid d’espions particulièrement important”, a affirmé sur CNN Danny Russell, qui s’occupait des questions relatives à l’Asie du Sud-Est et du Pacifique au département d’État jusqu’en 2017.
Surtout, si l’objectif consiste réellement à limiter le vol de technologies, “les États-Unis auraient bien mieux fait de fermer le consulat chinois de San Francisco qui est compétent pour tout ce qui touche à la Silicon Valley”, estime Jeff Moon, un ex-représentant américain au commerce avec la Chine, interrogé par CNN.
Satisfaire la base électorale républicaine
Pour lui, cette décision de Donald Trump a plus à voir avec la politique intérieure qu’avec l’espionnage. Ce n’est pas un hasard si le consulat de Houston est le seul qui se trouve dans un État contrôlé par les Républicains et où Donald Trump a, encore, un léger avantage dans les sondages sur son adversaire démocrate, Joe Biden. C’est une manière pour le président de satisfaire et de mobiliser son électorat “qui est toujours en demande de sanctions contre la Chine”, estime le site Vox.
Cette fermeture du consulat constitue aussi le meilleur moyen de faire le maximum de bruit politique en prenant le minimum de risque diplomatique. Le système des relations diplomatiques entre la Chine et les États-Unis fait que chaque délégation dans l’un des pays a son équivalent dans l’autre. Le consulat “frère” de celui de Houston se trouve… à Wuhan. Il n’a pas rouvert depuis le début de la pandémie, et si Pékin décidait de le fermer, dans une logique œil pour œil, consulat pour consulat, “cela ne poserait pas de problème logistique ou diplomatique particulier pour Washington”, souligne CNN.
Encore faudrait-il que Pékin joue le jeu. Pour l’heure, les autorités chinoises sont furieuses et il semblerait qu’elles envisagent plutôt de fermer le consulat américain de Chengdu, croit savoir le South China Morning Post. Ce serait un coup diplomatique beaucoup plus dur pour Washington, car cette délégation traite de toutes les questions relatives au Tibet. En voulant faire plaisir à sa base, Donald Trump aurait alors privé le pays d’une source précieuse d’informations sur l’une des régions les plus sensibles politiquement en Asie.