Pouvoir et harcèlement sexuel – Entretien avec Esma Hazal.

Par Kadir Duran

En mai 2024, le site d’information indépendant Notus a publié un article sur le harcèlement sexuel dans les groupes de défense des droits de l’homme, dans lequel plusieurs interviews ont été réalisées avec des jeunes femmes travaillant pour un certain nombre d’organisations de défense des droits de l’homme. Cinq mois plus tard, Dolkun Isa, accusée de harcèlement sexuel, a démissionné de son poste de présidente de la WUC au début du mois d’août, dans l’attente d’une enquête. Notre journaliste l’a interviewée récemment.

“Je m’appelle Esma Hazal, j’ai 25 ans et j’étudie la philosophie et les sciences morales. Auparavant, j’étais active en tant que militante de la cause ouïghoure, étant une femme belgo-turque qui a de la sympathie pour les Ouïghours.”

Nous savons qu’en mai de cette année, Notus, un site d’information américain, a relaté votre expérience. Puis-je vous demander pourquoi vous avez choisi de révéler votre “secret” ?

Esma : Un jour de 2023, j’ai découvert que le problème du harcèlement sexuel ne concernait pas seulement mon expérience de la cause ouïghoure, mais qu’il touchait également d’autres femmes. Lorsque j’ai appris cela, j’ai voulu faire partie d’un projet avec plusieurs femmes victimes pour créer une prise de conscience externe avec les médias, parce qu’on a appris que les remarques internes pour trouver une solution à ce problème n’étaient pas prises au sérieux. Au contraire, elles ont fait en sorte que le problème ne soit pas vraiment résolu, mais qu’il reste plutôt silencieux.

Cet incident est devenu un sujet brûlant, en particulier au niveau international. Comment avez-vous résisté à une opinion publique et à une pression aussi énormes ?

Esma : Pour tout vous dire, je ne l’ai pas bien supporté. J’ai reçu beaucoup de soutien de la part d’Ouïghours qui jouent un rôle important dans cette cause, comme Dilnur Reyhan, Arslan Hidayet et Tumaris Almas, mais aussi de non-Ouyghours qui travaillent dans ce domaine en tant que chercheurs, comme David Tobin ou Alicia Hennig. Ce soutien m’a permis de rester motivée pour lutter contre l’injustice, ce que je continue à faire même si les choses vont lentement parce que je dois aussi combiner mes études. Mais cette période m’a affectée mentalement et j’espère faire payer les fautifs. Je ne méritais aucune réaction négative pour avoir dit la vérité.

J’ai écrit les détails de ces journées et les effets mentaux, physiques et sociaux de parler de harcèlement sexuel dans mon blog Reflect-In https://www.reflect-in.com/post/the-mental-physical-and-social-cost-of-speaking-out-against-sexual-harassment.

Quels changements sont intervenus dans votre vie personnelle après cet incident ? Aidez-vous toujours le Congrès mondial ouïghour ? Dolkun Isa vous a-t-elle recontactée ?

Esma : Je n’ai jamais aidé le Congrès mondial ouïghour. Lorsque Dolkun Isa a commencé à m’importuner et à m’intimider avec ces remarques sexuelles, nous ne nous étions jamais vus dans la vie réelle. Il m’a contactée parce que je contribuais à la cause ouïghoure par mes projets de sensibilisation et mon travail bénévole. Cinq mois se sont écoulés depuis la publication de l’article et il ne s’est toujours pas excusé. Cependant, deux jours après la publication de l’article de NOTUS, il a posté un tweet dans lequel il s’excusait brièvement et promettait de faire des changements lors du Congrès mondial ouïghour, mais par la suite, j’ai participé à des interviews dans lesquelles je ne l’ai pas humilié, et c’est pourquoi il a rapidement oublié ces excuses superficielles sans que lui ou son organisation ne s’excusent publiquement. Par la suite, il a commencé à manipuler le peuple ouïghour en disant que la Chine l’attaquait souvent et que l’article de NOTUS pourrait être une attaque chinoise visant à perturber la cause ouïghoure. C’est là qu’il a commencé à insinuer que j’étais un espion.

J’ai également lu des interviews et des rapports à votre sujet. Pourquoi vous ont-ils accusée d’être une “espionne chinoise” ?

Esma : Tout d’abord, parce que j’ai dit une vérité qui est difficile à accepter pour le peuple ouïghour par rapport à son leader, qui est le visage de la cause ouïghoure et l’organisation la plus connue de la cause ouïghoure. Ensuite, je ne suis pas Ouïghour, et malheureusement, comme la Chine travaille avec beaucoup d’espionnage, il y a même des Ouïghours qui font du travail d’espionnage pour protéger leurs familles dans le Turkestan oriental. Le fait qu’un non Ouïghour révèle une lourde vérité sur un dirigeant ouïghour a sans doute un impact sur les traumatismes et les problèmes de confiance en général. Mais ce n’est pas une raison pour ne pas croire les victimes lorsque nous parlons d’un homme au pouvoir qui a les moyens de manipuler son peuple pour qu’il ne croie pas à ce qu’on dit de lui.

Vous avez déjà aidé le Congrès mondial ouïghour à faire du bénévolat. Pouvez-vous nous dire de quel type d’organisation il s’agit ?

Esma : Je n’ai pas aidé le Congrès mondial ouïghour et je ne savais pas exactement de quel type d’organisation il s’agissait, mais j’ai appris à cette occasion que cette organisation était loin d’être dirigée par des personnes sincères, car la sincérité dans l’activisme en faveur des droits de l’homme consiste à rester neutre en ces temps de crise.

Le mouvement féministe de ces dernières années a encouragé de nombreuses femmes à se lever et à dénoncer le problème du pouvoir injuste. Que pensez-vous du problème de la corruption dans certaines organisations internationales de défense des droits de l’homme ?

Esma : Je trouve que ces dernières années, il y a eu une grande prise de conscience pour dénoncer le problème de la corruption au sein de ces organisations de défense des droits de l’homme. Mais je pense que nous devrions être conscients que c’est le côté qui ose se lever et dénoncer ce problème. Avec les réactions que j’ai eues et la campagne négative que les soi-disant activistes ouïghours comme Meryem Sultan ou Abduweli Eyup ont provoquée après le post en parlant des beaux moments avec Dolkun Isa et en remettant en question les expériences des victimes, il est clair que d’autres victimes auront des difficultés à rapporter ce qu’elles ont vécu. Comme nous le savons, il y a d’autres victimes. Je constate cependant qu’il y a du changement, par exemple, les jeunes femmes ouïghoures sont sensibilisées à ce sujet et seront plus prudentes lorsqu’elles entreront en contact avec des hommes de pouvoir. Si je peux éviter ne serait-ce qu’à une seule femme de faire l’objet d’approches perverses de la part de n’importe quel acteur de la cause ouïghoure, c’est déjà un grand pas pour moi.