La solidarité de l’UE avec l’Ukraine a été le thème central du discours sur l’état de l’Union prononcé par Ursula von der Leyen, chef de la Commission européenne, le 14 septembre, alors que la guerre atteignait un tournant potentiel. Alors qu’une contre-offensive ukrainienne fulgurante libérait Kharkiv, Ursula von der Leyen se devait d’envoyer un message de soutien fort. Mais le discours, dominé par l’Ukraine et la crise énergétique, a négligé d’autres défis urgents lors d’un sommet destiné à définir l’agenda politique plus large de l’Union européenne.
La cybersécurité, les transports verts et les solutions environnementales à long terme n’ont été que brièvement mentionnés, ce qui soulève des questions quant aux progrès à venir sur ces questions cruciales. Toutefois, la crise alimentaire a été l’oubli le plus flagrant, notamment en raison de l’impact de la crise énergétique sur les producteurs et les consommateurs de produits agroalimentaires. Au cours des mois difficiles qui s’annoncent, l’UE doit veiller à ce que ses interventions aillent plus loin que ne le suggère ce discours, notamment en adaptant et en innovant sa politique agroalimentaire pour relever des défis sans précédent.
La crise énergétique alimente l’insécurité alimentaire
Reliant à juste titre les deux crises, Josep Borrell, le haut diplomate de l’UE, a souligné devant les journalistes, lors de l’Assemblée générale des Nations unies de septembre, que “les prix élevés de l’énergie et des denrées alimentaires causés par la guerre ont généré une crise financière naissante”.
Dans l’UE, la montée en flèche des prix des engrais et de l’électricité, liée à la militarisation par la Russie de ses exportations de gaz – un intrant essentiel pour la production d’engrais directement lié aux prix de l’électricité – dévaste les producteurs agroalimentaires, tandis que les sécheresses record de l’été ont réduit la production de produits alimentaires essentiels. Selon le COPA-COGECA, l’association des agriculteurs de l’UE, l’inflation galopante plonge un nombre croissant d’entreprises dans une lutte existentielle, avec des conséquences allant du gel temporaire de la production et du licenciement du personnel aux fermetures définitives.
En Belgique, quatre entreprises alimentaires sur dix risquent de faire faillite, ce qui met en évidence la fragilité actuelle de l’industrie agroalimentaire. Les petites et moyennes entreprises (PME) sont les plus menacées, les producteurs des aliments les plus gourmands en énergie, notamment les produits laitiers, étant particulièrement touchés. Compte tenu de la détérioration de la situation et des avertissements de l’industrie selon lesquels les pressions actuelles sur le système agroalimentaire pourraient se prolonger l’année prochaine, l’UE doit fournir un niveau de soutien sans précédent au secteur.
La politique alimentaire de l’UE joue avec le feu
Pourtant, l’UE reste obstinément attachée à sa stratégie “de la ferme à la table” (F2F), dont l’objectif de construire un système alimentaire européen durable et sain est sapé par des politiques malavisées. Les objectifs de F2F en matière d’agriculture biologique – notamment la réduction de moitié de l’utilisation des pesticides chimiques, la diminution de 20 % des engrais synthétiques et l’exploitation de 25 % des terres agricoles selon le mode biologique d’ici 2030 – révèlent une approche idéologique et scientifiquement douteuse qui réduirait considérablement la production alimentaire de l’Union à une époque de pénurie et d’inflation.
Lors d’une récente réunion, les députés européens ont sévèrement critiqué la Commission européenne pour ne pas avoir reconnu l’impact dévastateur que son objectif de pesticides pour 2030 aurait sur l’approvisionnement alimentaire, un résultat révélé par le propre Centre commun de recherche (CCR) de la Commission dans un rapport publié l’année dernière. L’étude du CCR a révélé que la mise en œuvre du F2F sous sa forme actuelle réduirait la production européenne de céréales, de légumes, de viande et de lait de 15 %, 12 %, 14 % et 10 %, respectivement.
Le principal candidat à la mise en place d’un système d’étiquetage des denrées alimentaires sur le front de l’emballage (FOP) à l’échelle de l’UE – autre pilier essentiel du F2F – menace d’aggraver les graves difficultés auxquelles sont confrontés les agriculteurs européens. Nutri-Score, soutenu par la France, vise, comme tous les systèmes FOP, à améliorer la santé alimentaire et à lutter contre l’obésité en fournissant aux acheteurs des informations sur la valeur nutritionnelle. Pourtant, son algorithme défectueux, qui note les produits alimentaires selon un système de classement de A à E, de vert à rouge, sur la base d’une portion de 100 ml/g, ne permet pas d’évaluer la santé des aliments de manière nuancée et complète.
Nutri-Score pénalise la teneur en sucre, en sodium et en graisses sans tenir compte de la taille appropriée de la portion d’un produit et de ses avantages nutritionnels plus larges lorsqu’il est consommé avec modération dans le cadre d’une alimentation équilibrée. C’est ainsi que certains produits de base européens, comme l’huile d’olive, le jambon de Parme et le fromage de Roquefort, reçoivent des scores Nutri-Score injustement sévères de “D” et “E”, tandis que des aliments ultra-transformés comme les céréales Chocapic se voient attribuer un “A” trompeur, ce qui menace d’ajouter un préjudice économique important aux producteurs agroalimentaires déjà aux prises avec la crise énergétique et les pertes de récoltes dues à la sécheresse.
L’innovation comme moyen de sortir de la crise
Pour surmonter la crise alimentaire actuelle tout en progressant dans la transition verte à long terme, l’UE doit adapter ses politiques rigides et soutenir l’innovation agricole. Des signes ténus d’espoir émergent des États membres, mais le moment où la Commission doit se rendre à Jésus n’est pas encore arrivé.
Zdeněk Nekula, ministre tchèque de l’agriculture et actuel président du Conseil “Agrifish” de l’UE, s’est imposé comme l’un des principaux partisans du changement à Bruxelles. Il a récemment plaidé en faveur de l’utilisation des nouvelles techniques génomiques (NGT), qui permettent de modifier génétiquement les caractéristiques des cultures essentielles à une productivité fiable, notamment la tolérance à la sécheresse. Cette idée a été chaleureusement accueillie par les ministres de l’agriculture de Suède, de Lituanie, des Pays-Bas, de Malte, d’Irlande, d’Italie, de Hongrie, de Roumanie et de Belgique, ainsi que par le COPA-COGECA.
Mais pour libérer le potentiel des NGT en vue d’une augmentation durable de la production agricole, l’UE doit modifier sa réglementation trop restrictive en matière de biotechnologie végétale, qui entrave l’innovation en matière de sélection des cultures et alimente la fuite des cerveaux. La Commission doit revenir à la raison et veiller à ce que la réévaluation en cours de cette législation débouche sur la commercialisation de cultures génétiquement modifiées dans les meilleurs délais.
Pour maintenir son agriculture à l’avant-garde mondiale, l’UE devrait s’inspirer de pays comme l’Argentine, qui est devenue en 2015 le premier pays à exempter la plupart des types de cultures génétiquement modifiées de la réglementation sur les cultures génétiquement modifiées, accélérant ainsi son innovation agricole, soutenant le développement économique et inspirant des innovations réglementaires similaires au Brésil, en Israël et aux États-Unis.
Compte tenu de l’impact dévastateur de l’inflation énergétique sur son industrie agroalimentaire et ses citoyens, l’UE doit s’assurer que le discours de Mme von der Leyen sur l’état de l’Union ne reflète pas l’action qu’elle compte entreprendre pour résoudre les crises alimentaire et énergétique qui sont liées. Dans les mois difficiles à venir, Bruxelles doit adapter ses politiques agricoles pour protéger les producteurs et les consommateurs, tout en poursuivant une approche scientifique qui mobilise des solutions technologiques innovantes pour promouvoir la sécurité alimentaire et la durabilité à long terme.