Agriculture, feux de forêts, mines, extraction de pétrole… La déforestation de l’Amazonie s’est aggravée sous le mandat de Jair Bolsonaro. Le président d’extrême droite et climatosceptique a été vaincu, dimanche, par Lula, son rival de gauche, qui a pris publiquement position pour la protection de la nature et des peuples indigènes.
Les Brésiliens ont choisi, dimanche 30 octobre, le cap que prendra leur pays pour les quatre prochaines années. Et ils ont décidé qu’il serait plus écologiste. Car sur le plan environnemental, tout oppose le chef d’État sortant d’extrême droite Jair Bolsonaro et le leader de gauche Lula.
Tandis que Jair Bolsonaro se mure dans le silence, son rival a assuré, après sa victoire, que le Brésil était “prêt à jouer à nouveau les premiers rôles dans la lutte contre le changement climatique”, avant de marteler que “le Brésil et la planète [avaient] besoin d’une Amazonie en vie”.
“Nous allons réinstaurer une surveillance attentive de l’Amazonie, nous allons nous battre contre les mines illégales, la déforestation et l’extension des terres agricoles”, a ajouté Lula.
En jouant la carte de la protection de l’Amazonie, Lula se saisit d’un symbole écologique qui préoccupe le monde occidental. Ainsi, dès la victoire de Lula, la Norvège, principal bailleur de fonds pour la protection de la forêt amazonienne, a annoncé rétablir son enveloppe de 487 millions d’euros qu’elle avait gelée depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro, en janvier 2019.
“Concernant Lula, on note que pendant la campagne il a mis l’accent sur la préservation de la forêt amazonienne et la protection des populations indigènes d’Amazonie”, a déclaré le ministre norvégien de l’Environnement, Espen Barth Eide, dans un entretien téléphonique avec l’AFP.
“C’est pour cela que l’on a hâte de prendre contact avec ses équipes, aussi rapidement que possible, pour préparer une reprise de la collaboration historiquement bonne entre le Brésil et la Norvège”, a-t-il ajouté.
À l’inverse, “le bilan de Jair Bolsonaro est catastrophique parce que son gouvernement était anti-environnemental. On est sur une idéologie ultra-libérale et pour lui, toutes les lois en faveur de l’environnement ne sont que des entraves à la production”, résume François-Michel Le Tourneau, géographe et directeur de recherche au CNRS.
L’une des victimes les plus emblématiques de cette politique est la forêt amazonienne, dont 60 % de la surface se trouve au Brésil. Les signaux inquiétants se sont multipliés ces dernières semaines. Un regroupement d’organisations environnementales amazoniennes (RAISG) et la Coordination des organisations indigènes du bassin amazonien (Coica) ont dressé un constat alarmant, dans un rapport (Amazonia against the clock) publié le 6 septembre : la forêt amazonienne est en train d’atteindre son “point de bascule”.
Une fois qu’elle le franchira, elle ne sera plus capable de se régénérer et se transformera en un écosystème plus sec, comparable à celui d’une savane.
Quand “l’agrobusiness” passe avant la planète
En cause notamment : l’activité agricole qui a triplé depuis 1985 et qui est responsable à 84 % de la déforestation de l’Amazonie. L’ONG Greenpeace impute ce résultat à la politique de l’actuel président brésilien, ardent défenseur de “l’agrobusiness”. “Soutenus par Jair Bolsonaro depuis son arrivée au pouvoir en 2019, les agro-industriels mettent volontairement le feu à la forêt pour libérer l’espace nécessaire pour les cultures de soja et les élevages”, peut-on lire dans un communiqué.
Pour les écologistes, la situation est particulièrement inquiétante. La plus grande forêt tropicale du monde a connu davantage de feux de forêt sur les neufs premiers mois de l’année que sur l’ensemble de 2021, d’après l’Institut national de recherches spatiales (INPE), un centre de recherche brésilien qui mesure la déforestation de l’Amazonie.
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Ces incendies ont été particulièrement dévastateurs cet été : “en août 2022, plus de 33 000 foyers d’incendie ont été enregistrés, soit le nombre le plus élevé depuis 2010 [et] près de 17 000 incendies ont été enregistrés au début du mois de septembre, en une semaine seulement”, rappelle Greenpeace.
Interpellé sur le sujet, jeudi 29 septembre, lors d’un débat télévisé, Jair Bolsonaro a nié en bloc. “Nous n’avons pas entendu parler de feux de forêt en Amazonie, à part ceux qui ont lieu habituellement”, a-t-il déclaré. Jair Bolsonaro, dont le père a été orpailleur en Amazonie dans les années 1980 est, par ailleurs, ouvertement favorable à un autre facteur de destruction de la forêt : l’expansion des activités minières, y compris dans des zones protégées comme les réserves indigènes.
“Jair Bolsonaro et son gouvernement ont réussi à rendre inopérants les outils de l’État pour la protection de l’environnement, par exemple en coupant les financements du ministère de l’Environnement et de son bras droit, l’Ibama”, ajoute le chercheur François-Michel Le Tourneau. “Cela signifie que les autorités ne peuvent plus mener de contrôles sur le terrain. C’est exactement comme si on imaginait une autoroute sans aucun gendarme”, poursuit le spécialiste.
Oubliées, les anciennes querelles
En 2021, le budget consacré aux organes publics de préservation de l’environnement a en effet été divisé par trois, par rapport à 2014, année où il était le plus élevé, selon une étude menée par l’université fédérale de Rio de Janeiro (UFRJ), avec l’ONG Institut socio-environnemental (ISA).
Face à ce bilan peu reluisant, Lula a bâti son programme écologique en opposition à celui de son principal rival. Le candidat de gauche s’engage à mettre en place une politique de tolérance zéro contre l’orpaillage illégal, la déforestation et les incendies dans l’Amazonie. Il compte notamment s’appuyer sur des organes publics de préservation de l’environnement comme l’Ibama.
Vingt jours avant la présidentielle, le candidat du Parti des travailleurs s’est aussi réconcilié avec son ex-ministre de l’Écologie, Marina Silva, afin de “battre Bolsonaro”. La rupture remonte à 2008, suite à un désaccord entre Marina Silva et Lula sur la construction de l’énorme centrale hydro-électrique de Belo Monte, dans l’État amazonien du Para. Un projet lancé par Lula et soutenu par Dilma Rousseff, à l’époque Première ministre.
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Durant la première année de mandat de Lula, en 2003, la déforestation de l’Amazonie avait, en outre, atteint un record historique. Quelque 27 772 kilomètres carrés de forêt avaient été rasés, soit deux fois plus que les 13 038 kilomètres carrés sous Bolsonaro en 2021. Mais le gouvernement Lula était ensuite parvenu à réduire progressivement cette déforestation à des niveaux historiquement bas. En 2010, quand il a quitté le pouvoir, elle était quatre fois moins élevée qu’en 2003.
Aujourd’hui, sa réélection “permettrait d’éviter la disparition de 75 960 kilomètres carrés de forêt amazonienne d’ici à 2030, soit une superficie équivalente à celle du Panama”, conclut une récente étude menée par des chercheurs de l’université d’Oxford, de l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA) et de l’INPE pour le site spécialisé Carbon Brief.
La réduction de la déforestation “permettrait également de réduire considérablement les émissions du Brésil si elle s’accompagnait d’un nouvel effort de restauration des forêts”, ajoutent-ils.
Un parlement qui penche à droite et 14 gouverneurs bolsonaristes
Mais le chemin s’annonce semé d’embûches. Les élections législatives du 2 octobre n’ont pas joué en faveur de Lula. Le parti libéral de Jair Bolsonaro est devenu la première formation au Sénat et à la Chambre des députés. Or le Brésil est un pays fortement décentralisé où les autorités régionales ont des pouvoirs étendus.
“Le Congrès brésilien est généralement très fragmenté et le lobby agricole est très puissant donc il y a fort à parier que cela déterminera la future politique environnementale”, ajoute François-Michel Le Tourneau du CNRS.
Depuis dimanche, le Brésil compte par ailleurs 14 gouverneurs bolsonaristes sur 27 États. Parmi eux, certains sont des proches de Jair Bolsonaro, comme Tarcisio Gomes, le gouverneur de l’État de São Paulo, le plus riche et peuplé du Brésil.
La carte du Brésil, entre brun (Bolsonaro) et rouge (Lula).
La victoire du chef du PT a été essentiellement possible grâce à la courte victoire dans le Minas (50,2% pour Lula) et au retard plus faible que prévu à Sao Paulo (55,2% “seulement” pour JB). pic.twitter.com/uf8QxNa2PA
— Bruno Meyerfeld (@brunomeyerfeld) October 31, 2022
Pour François-Michel Le Tourneau, l’élection de Lula apparaît malgré tout comme un bon signal pour la forêt amazonienne. “Ce qui pourrait changer, avec la réélection de Lula, c’est que la loi brésilienne sur la préservation de l’environnement soit enfin appliquée”, affirme-t-il. Un grand pas pour le climat, après quatre années de présidence Bolsonaro.