“La Joconde” de Vinci, “Les Tournesols” de Van Gogh, “Les Meules” de Monet et, jeudi, “La Jeune Fille à la perle” de Vermeer… Ces derniers mois, les toiles de maître ont été victimes d’actes de vandalisme de la part de militants écologistes qui les aspergent de soupe ou collent leur corps dessus avec de la glue. Mais quelle est la portée d’un tel geste ?
Il s’en prennent à l’art pour porter leur message. Des tableaux de maître subissent depuis plusieurs mois une vague d’actes de vandalisme qui a commencé par l’entartage de “La Joconde” au musée du Louvre en mai dernier, touchant ensuite “Les Tournesols” de Van Gogh, “Les Meules” de Monet et, jeudi 27 octobre, “La Jeune Fille à la perle” de Vermeer. Revendiqués par des militants écologistes, ces actes visent à attirer l’attention du grand public pour alerter sur le réchauffement climatique et mettre fin à l’utilisation des énergies fossiles.
À travers leurs actions, les militants tentent d’éveiller les consciences face à la destruction de l’environnement. “Comment vous sentez-vous lorsque vous voyez quelque chose de beau et d’inestimable être détruit sous vos yeux ?”, a notamment demandé l’un des manifestants devant “La Jeune Fille à la perle”. Et d’ajouter (alors que son acolyte se colle le crâne dessus à la glue) : “C’est le même sentiment quand vous voyez la planète être détruite.”
Ces manifestations sont les dernières en date d’une série d’actions contre le changement climatique qui ont eu lieu dans le monde entier et fait la une des journaux. Mais quelle est leur efficacité ?
Les questions qui comptent
Le timing de ces protestations n’est pas une coïncidence. “Toutes ces actions ont lieu en ce moment car la COP27 va bientôt commencer en Égypte”, explique le Dr Oscar Berglund, maître de conférences spécialise de l’activisme climatique à l’université de Bristol. “C’est pour faire pression et garder [les questions climatiques] dans les médias.”
L’intensification du réchauffement climatique pousse les activistes à se mobiliser et à mener de telles actions. “On ne peut pas changer d’avis dans dix ans sur si l’on veut ou non le changement climatique”, explique Mathew Humphrey, professeur de théorie politique à l’université de Nottingham. “Ils protestent contre de potentiels changements catastrophiques, globaux et irréversibles. Cela confère à leur cause un certain élan moral.”
Mais en recourant à des protestations aussi conflictuelles, ils prennent le risque que cela se retourne contre eux. Les automobilistes qui font leurs courses ou se rendent au travail peuvent s’insurger contre les barrages routiers au lieu de sympathiser avec les manifestants. Quant aux attaques contre des œuvres d’art populaires, elles divisent l’opinion. “Le risque, c’est de se mettre l’opinion publique à dos”, estime Mathew Humphrey.
Si les activistes attirent l’attention par des coups d’éclat, c’est que cela leur permet de mettre en lumière leur cause. “Il n’y a aucun rapport entre le fait de jeter de la soupe à la tomate sur un tableau et le fait de vouloir empêcher l’octroi de nouvelles licences d’exploitation de pétrole et de gaz”, affirme Oscar Berglund. “Tout repose sur l’attention que vous en retirez et ce que vous en faites.”
Ces protestations très médiatisées visent surtout à sensibiliser le grand public au changement climatique en général. Et la prévalence des réseaux sociaux contribue à la diffusion du message.
Au lendemain de l’attaque du tableau “Les Tournesols” de Van Gogh à la National Gallery de Londres, une vidéo montrant la manifestante Phoebe Plummer en train d’expliquer les raisons de sa participation a été visionnée 7,9 millions de fois. “Ce que nous faisons, c’est lancer des conversations pour pouvoir poser les questions qui comptent”, dit-elle.
Une autre vidéo montrant la manifestante Lora Johnson emportée par la police alors qu’elle proclamait avoir participé à un blocage du pont Waterloo de Londres “pour son fils” a été visionnée 11,5 millions de fois.
Un moteur de changement social
La multiplication de ces actions radicales survient à un moment où l’anxiété climatique augmente. En 2021, une enquête mondiale menée auprès de milliers de jeunes de 16 à 25 ans révélait que 95 % d’entre eux étaient préoccupés par le changement climatique et que près de 30 % étaient “extrêmement inquiets”.
Mais bien que cette inquiétude soit généralisée, seule une minorité manifeste. Des études indiquent qu’environ 10 % des personnes sont prêtes à s’engager dans une protestation non violente et, dans les faits, elles sont moins nombreuses à le faire. Les jeunes générations sont les plus susceptibles de soutenir la protestation, mais d’autres groupes d’âge sont également impliqués. Les manifestants qui ont mis la main sur le Picasso avaient, par exemple, de 40 à 50 ans.
Les scientifiques sont également engagés – Scientist Rebellion est un groupe de scientifiques et d’universitaires qui prennent part à des actions de désobéissance civile et appellent leurs collègues à faire de même.
Le Dr Stuart Capstick, directeur adjoint du Centre pour le changement climatique et les transformations sociales de l’université de Cardiff (pays de Galles), est l’un d’eux. “La désobéissance civile non violente est, pour moi, un dernier recours”, prévient-il. “J’espère qu’elle peut contribuer à pousser les décideurs à être plus ambitieux. La crise climatique en cours n’est pas traitée avec le sérieux qu’elle mérite”, estime-t-il.
En octobre, lui et quatre autres scientifiques ont été acquittés de 2 000 livres sterling de dommages criminels par des tribunaux britanniques pour avoir collé des documents scientifiques, utilisé des craies en spray et s’être collés aux fenêtres du ministère britannique des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle afin de souligner le danger que représentent les nouvelles explorations pétrolières et gazières.
La procédure judiciaire a été “stressante et longue”, confie-t-il. “Mais je n’ai jamais douté que la protestation de notre groupe de scientifiques était la bonne chose à faire.”
De nombreux militants sont confrontés à la perspective d’une arrestation, d’une peine de prison et d’un casier judiciaire permanent pour leurs actions. Et les enjeux augmentent. Plus de 400 scientifiques du climat ont signé une lettre ouverte dans laquelle ils se disent “gravement préoccupés par la criminalisation et le ciblage croissants des manifestants pour le climat dans le monde”.
Qu’une “partie du processus”
Dans le même temps, la crise climatique continue de s’aggraver. Selon un rapport des Nations unies sur le climat publié jeudi, les gouvernements du monde entier sont “loin d’atteindre” les objectifs en matière d’émissions, “sans qu’aucune voie crédible pour atteindre [l’objectif climatique déclaré de] 1,5 °C ne soit en place”.
Face à l’absence d’action gouvernementale, Mathew Humphrey déclare : “Si vous êtes un ‘outsider’ politique, il se peut que la seule chance que vous ayez de faire connaître votre problème politique au public soit de vous engager dans des formes de protestation et d’action directe.”
Stuart Capstick, quant à lui, reconnaît que les protestations ne sont qu’une “partie du processus”. Un changement plus profond visant à réduire les émissions “nécessite une action et une pression soutenues dans le temps et permises à tous les niveaux de la société”.
De son côté, Oscar Berglund convient que les protestations militantes en faveur du climat ont à elles seules un rôle limité à jouer. “Le changement climatique est profondément lié au capitalisme”, dit-il. “Nous savons que nous devons opérer une transition vers des sociétés durables et, dans le même temps, nous attaquer à de graves inégalités. Il faut un vaste mouvement pour pouvoir réellement ébranler le système politique.”
En attendant, les manifestations militantes pour le climat vont probablement se multiplier à l’approche de la COP27, le 6 novembre.
“Au fil des décennies, le changement climatique va affecter de plus en plus de personnes”, conclut Oscar Berglund. “Et nous verrons les gens prendre des mesures de plus en plus désespérées.”
Article adapté de l’anglais par Pauline Rouquette. Retrouvez ici la version originale.