Le laboratoire de l’université de Boston a combiné le génome du virus originel du Covid-19 avec une partie du variant Omicron pour essayer de déterminer ce qui permet à cette souche d’échapper plus facilement à l’immunité conférée par la vaccination. La technique qui peut sembler discutable, et a débouché sur un torrent de polémiques et une enquête des autorités sanitaires américaines, qui a été confirmée mercredi.
Les scientifiques de l’université de Boston ne s’attendaient sûrement pas à ça. Accusés par des médias à sensation d’avoir créé une souche du Covid-19 “plus mortelle”, leur laboratoire fait désormais l’objet d’une enquête des autorités sanitaires dont l’existence a été confirmée au Financial Times, mercredi 19 octobre. À leurs corps défendant, ils ont également ravivé l’ardeur des conspirationnistes pour qui le virus Sars-Cov-2 serait, en réalité, une création humaine dans un laboratoire de Wuhan.
Tout a commencé par une étude publiée la semaine précédente qui “se révèle plutôt importante pour notre compréhension du fonctionnement du virus”, assure Lawrence Young, virologue à l’école médicale de l’université de Warwick. Ces chercheurs américains y démontrent que les mutations de la fameuse protéine Spike du Sars-CoV-2 [la pointe du virus qui lui sert à s’accrocher aux cellules pour les infecter, NDLR] permettent au variant Omicron – actuellement dominant dans le monde – de déjouer plus facilement l’immunité vaccinale, mais que ce ne sont pas ces changements “qui ont rendu cette souche moins virulente que le virus originel”, résume Lawrence Young. Deux conclusions qui n’avaient jusqu’à présent pas encore été démontrées scientifiquement.
Souris génétiquement modifiées
Mais qu’importe l’ivresse, du moment qu’on peut remettre en cause le flacon. Car le laboratoire a utilisé une méthode qui peut surprendre pour mener son expérience à bien. Les scientifiques y ont combiné le génome de la souche originelle du Covid-19 avec la protéine spike du variant Omicron. Résultat, ils ont développé en laboratoire un mutant artificiel du virus Sars-Cov-2.
Ils ont ensuite infecté des souris de laboratoire pour constater que 80 % des rongeurs ainsi exposés à la maladie avaient péri. Il n’en a pas fallu plus au tabloïd britannique The Daily Mail pour dégainer un article intitulé “Des scientifiques ont créé une nouvelle souche du Covid-19 qui tue à 80 %”.
De quoi assurer la viralité de l’article sur les réseaux sociaux… Un taux de létalité de 80 % aurait de quoi propulser ce variant dans la cour des virus les plus mortels, tels qu’Ébola. Le succès a surtout été immédiat dans la nébuleuse conspirationniste sur le Net. “C’est sûr que l’idée d’un virus développé par l’homme en laboratoire avait de quoi séduire les adeptes de la théorie du complot selon laquelle le Covid-19 a été fabriqué par des scientifiques chinois dans le laboratoire de Wuhan”, note Lawrence Young.
L’article à sensation du Daily Mail a suscité une réaction outrée de l’université de Boston qui, dans un communiqué, a dénoncé des allégations “fausses et inexactes”.
L’expérience des chercheurs américains n’aurait nullement abouti à la création d’un variant plus mortel. En effet, “cette souche ‘chimérique’ [c’est-à-dire qui n’existe pas dans la nature] a été administrée sur des souris qui ont été rendues particulièrement sensibles aux effets du Covid-19”, souligne Lawrence Young. Ainsi 100 % de ces mêmes mammifères rendus plus fragiles face à la maladie ont succombé aux effets de la souche d’origine du Sars-Cov-2, contre 80 % de souris exposés au variant hybride. D’où l’affirmation de l’université de Boston que l’article du Daily Mail était trompeur et que la souche hybride était, en définitive, moins dangereuse que le virus originel.
“Gain de fonction” dangereux ?
Les chercheurs américains espéraient que la polémique en resterait là. Mais le National Institutes of Health (NIH), principal organisme public américain de soutien à la recherche médicale, a ensuite lancé une enquête pour déterminer si le laboratoire bostonien a commis une faute en ne lui demandant pas son autorisation pour mener son expérience.
En cause cette fois-ci : le fait de jouer aux alchimistes de la virologie en combinant deux souches pour en créer une nouvelle. Une méthode au-dessus de laquelle flotte le spectre du “gain de fonction”. “C’est un procédé très important et souvent utilisé en génétique qui consiste à ajouter artificiellement des caractéristiques à un gène pour étudier la réaction. Son recours en virologie, tout aussi pertinent à mon sens, a toujours été plus controversé”, résume Lawrence Young.
Ces détracteurs s’inquiètent de manipulation humaine qui aboutirait à transformer un agent pathogène en virus mortel et/ou capable de déclencher des pandémies. Cette crainte est récente : elle remonte à 2012 et un article scientifique relatant des travaux de “gain de fonction” effectués sur le virus de la grippe, rappelle le site de la revue scientifique Nature.
“La plupart des débats tournent autour de ce virus et de ce qui se passerait si quelqu’un cherchait à recréer la grippe espagnole pour l’étudier ou qu’on le mélange avec des éléments de la variole”, précise Luke Young.
Il reconnaît que le risque d’un accident en laboratoire qui aboutirait à relâcher un dangereux virus créé par l’homme dans la nature n’est pas à prendre à la légère. “C’est pourquoi, il faut appliquer des procédures de sécurité draconienne, et c’est ce que l’université de Boston semble avoir fait”, estime le virologue britannique.
Les chercheurs du laboratoire américain ont ainsi utilisé un laboratoire de niveau de sécurité 3 – c’est-à-dire juste en dessous du dispositif de sécurité militaire en place dans les quelques centres de recherche habilités à manipuler les agents pathogènes les plus dangereux (tel que le laboratoire de Wuhan) – pour mener leurs travaux. Ils ne sont pas non plus les seuls à avoir eu recours à cette technique pour étudier le Sars-CoV-2 puisque des scientifiques chinois ont publié en septembre les résultats de travaux impliquant des mélanges de la souche d’origine avec des éléments de la plupart des variants connus à ce jour, rappelle le quotidien Libération.
“Erreur bureaucratique”
En outre, l’université de Boston conteste que les travaux publiés impliquent un “gain de fonction” et soutient que le feu vert obtenu du comité de biosécurité interne à l’université était suffisant.
Pour elle, il n’y a pas de gain de fonction car l’expérience “n’a pas amplifié la souche originelle du Sars-CoV-2 et ne l’a pas non plus rendue plus dangereuse”. Une définition très restrictive de ce concept puisqu’elle ne prend en compte que le résultat de l’étude. C’est la porte ouverte à toutes les hybridations puisqu’on ne peut jamais être sûr à l’avance de l’issue d’une manipulation.
Mais rien n’empêche non plus l’université de Boston de retenir cette interprétation. “Il n’y a pas, à l’heure actuelle, de définition qui fasse consensus”, explique Luke Young.
ll estime cependant que dans le doute, les chercheurs auraient dû en informer le NIH. D’autant “que les activités de ce laboratoire sont en partie financées par cet organisme qui, de ce fait peut, d’après la réglementation américaine, être amené à devoir donner son accord” sur des expériences nécessitant des mesures de sécurité particulière, détaille Luke Young.
“C’est donc surtout une histoire d’erreur bureaucratique”, ajoute cet expert. Le risque, d’après lui, est que dans le contexte passionné des discussions autour du Covid-19, une telle affaire fasse du tort à une technique de recherche par ailleurs très utile. Après tout, le vaccin contre le Covid-19 d’Astrazeneca-Oxford repose sur une démarche similaire puisqu’il contient le génome d’un virus commun auquel a été ajouté une once de Sars-CoV-2 pour stimuler le système immunitaire à fabriquer les bons anticorps.