En représailles à l’attaque du pont de Crimée, la Russie a déclenché un déluge de bombardements sur l’Ukraine. Une opération jugée contre-productive par plusieurs experts militaires, alors que la Russie peine à renouveler ses stocks de munitions.
La Russie a revendiqué, mardi 11 octobre, une nouvelle série de frappes visant les infrastructures stratégiques ukrainiennes. La veille, 19 personnes avaient péri à travers l’Ukraine, lors de la campagne de bombardements la plus intense conduite par Moscou depuis plusieurs mois.
Cette démonstration de force, qui fait suite à l’attaque à l’explosif qui a visé samedi le pont de Crimée, s’inscrit dans un contexte difficile pour l’armée russe, qui a bien du mal à endiguer l’avancée ukrainienne sur les fronts est et sud. Loin d’incarner une nouvelle stratégie, cette escalade militaire traduit la fébrilité du régime russe, selon plusieurs experts contactés par France 24.
Des missiles de moins en moins efficaces
Les salves de missiles, roquettes et drones envoyées en début de semaine par la Russie ont frappé des infrastructures énergétiques civiles ainsi que des centres urbains dans plus d’une vingtaine de villes et villages, selon les autorités ukrainiennes.
“Ce n’est pas la première fois que la Russie lance des frappes d’une telle ampleur”, souligne Jeff Hawn, spécialiste des questions militaires russes et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique. “Elle a voulu prouver qu’elle est toujours en capacité de lancer des attaques punitives de grande envergure à travers l’Ukraine et de frapper des infrastructures critiques. Mais ces opérations posent deux problèmes majeurs pour Moscou : elles détruisent rarement leurs cibles et ne peuvent être déclenchées qu’épisodiquement car elles représentent un investissement militaire important.”
Selon l’armée ukrainienne, la Russie a lancé 75 missiles sur le pays dont 41 ont été abattus par la défense aérienne. Lors de leur réunion en visioconférence mercredi, les dirigeants du G7 ont promis à Kiev l’envoi d’aide militaire additionnelle, dont de nouveaux systèmes de défense antiaérienne plus performants. Le ministre ukrainien de la Défense, Oleksiï Reznikov, a salué mardi l’arrivée du lance-missiles allemand Iris-T, qui marque selon lui le début d’une “nouvelle ère” pour la défense aérienne ukrainienne.
A new era of air defence has begun in 🇺🇦. IRIS-Ts from 🇩🇪 are already here. 🇺🇸 NASAMS are coming. This is only the beginning. And we need more. No doubt that russia is a terrorist state.
There is a moral imperative to protect the sky over 🇺🇦 in order to save our people. pic.twitter.com/jvbXUwDjc8— Oleksii Reznikov (@oleksiireznikov) October 11, 2022
Malgré l’aide militaire occidentale massivement acheminée ces derniers mois en Ukraine, la Russie, considérée comme la deuxième armée du monde, conserve un large avantage militaire sur son voisin. Sur le long terme, cette dynamique pourrait néanmoins changer, analyse Jeff Hawn. “L’armée ukrainienne monte en puissance alors que la Russie voit ses capacités militaires diminuer inexorablement, car elle est incapable de maintenir ses stocks.”
Problèmes de ravitaillement
Fin avril, la vice-ministre ukrainienne de la Défense, Hanna Maliar, affirmait que la Russie avait déjà envoyé 1 300 missiles contre l’Ukraine depuis le début de l’invasion le 24 février, estimant que Moscou avait alors utilisé près de la moitié de son stock disponible.
“On estime que l’industrie russe a une capacité de production de 100 à 200 nouveaux missiles par an”, explique le général Christian Quesnot, ancien chef de l’état-major particulier du président de la République. “Le problème aujourd’hui, c’est le renouvellement. Il est difficile car les Russes disposent des tôles d’acier et des explosifs mais sont limités en systèmes électroniques de guidage.”
Imposées dès le début de l’invasion de l’Ukraine, les sanctions économiques contre la Russie ont lourdement pesé sur l’industrie de l’armement russe, qui peine à s’approvisionner en composants électroniques.
Dans ce contexte, Moscou a été contraint de fortement réduire voire d’interrompre ses livraisons d’armes à l’étranger et de se tourner vers de nouveaux fournisseurs, tels que l’Iran ou la Corée du Nord.
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Des soldats livrés à eux-mêmes
Outre l’impact des sanctions, l’industrie militaire russe paye le prix de décennies de mauvaise gestion, explique Jeff Hawn. “Moscou possède, certes, d’énormes quantités de matériel militaire mais une partie de ces équipements est inutilisable, du fait de l’incompétence des personnes censées les maintenir en état ainsi que de la corruption institutionnelle qui règne dans ce secteur. La vente de pièces et de matériel militaire sur le marché noir est une pratique très répandue en Russie, au point qu’avant la guerre déjà, certains conscrits se retrouvaient à devoir acheter eux-mêmes leur propre équipement.”
Ces derniers mois, confrontés à un contexte militaire de plus en plus difficile, des soldats russes ont laissé éclater leur colère sur les réseaux, s’estimant abandonnés par leur hiérarchie.
“Les Russes ont besoin de munitions pour soutenir leurs troupes qui sont sur la ligne de front et qui se plaignent amèrement de ne pas avoir d’appui feu”, souligne le général Michel Yakovleff, ancien vice-chef d’état-major du Grand Quartier général des puissances alliées en Europe (Otan). “Pendant que ses soldats se battent sur le terrain, la Russie déclenche un feu d’artifice. Cette opération n’a aucun sens militaire.”
Si la campagne de bombardements russes déclenchée en début de semaine a généré d’importantes coupures électriques à travers l’Ukraine, elle n’a pas empêché les forces de Kiev de poursuivre leur contre-offensive. Mercredi, la présidence ukrainienne a annoncé la reprise aux forces russes de cinq localités de la région méridionale de Kherson, annexée fin septembre par Moscou.