L’ancien président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker analyse les crises actuelles que traverse l’Europe avec la guerre en Ukraine et ses conséquences économiques et énergétiques. Le prédécesseur d’Ursula von der Leyen rappelle les crises passées auxquelles l’Europe a dû faire face : crise financière, dette grecque, chômage. Des défis que, selon lui, l’Union européenne a su relever.
Cette nouvelle crise issue de la guerre en Ukraine reste pour Jean-Claude Juncker un événement inattendu : “Pour avoir eu des discussions pendant des heures avec Poutine en allemand, donc sans interprète […], je n’aurais jamais cru qu’il envahirait l’Ukraine. […] En le faisant, il brise le corps consolidé de l’ordre international et de l’architecture sécuritaire européenne.” L’ancien président de la Commission juge l’annexion par les Russes de quatre régions ukrainiennes “inadmissible, parce que contraire aux principes généraux du droit international. […] C’est comme si l’Allemagne décidait d’organiser un référendum en France. [Vladimir Poutine] organise à partir de Moscou un référendum sur le territoire ukrainien.”
Mais face à cette guerre, avec ses drames et ses morts, “dont beaucoup d’enfants dont les corps gisent dans les rues, une guerre dégueulasse”, chacun cherche une issue. Selon Jean-Claude Juncker, “ceux qui pensent que la Russie va capituler se trompent. Un État qui dispose de l’arme nucléaire ne capitule pas, donc la seule voie, c’est la diplomatie.” Le Luxembourgeois salue les initiatives du chancelier Scholz et du président Macron, même si celles-ci n’ont pas abouti pour le moment. Pour lui, il est nécessaire de subvenir aux besoins militaires de l’Ukraine et affirmer notre solidarité pour “isoler la Russie sur la scène internationale le plus possible, ce qui est presque réussi : rares sont les États qui la soutiennent”.
À propos de la dépendance énergétique de l’Europe et surtout de l’Allemagne, Jean-Claude Juncker estime qu’il était difficile à l’époque d’agir autrement : “Si on avait refusé le gaz russe et investi dans nos armées, […] on nous aurait accusés de retomber dans un verbiage de Guerre froide […] et il y aurait eu des manifestations contre l’Europe.”
Au sujet de la crise énergétique, Jean-Claude Juncker affirme : “Il faut mettre un plafond sur le prix de l’énergie qui pèse lourdement, surtout sur les ménages les plus modestes, qui souffrent, et déconnecter le prix du gaz et de l’électricité. Une mesure que j’avais déjà proposée en 2007 en tant que président de l’Eurogroupe.” Selon lui, il faudrait que l’UE ait une centrale d’achat pour les produits énergétiques. “Comme sur la pandémie, il faut sortir du chacun-pour-soi, il faut une réponse européenne commune à la crise énergétique, notamment sur le plafonnement.” L’ancien patron de la Commission, classé à droite, prône aussi une imposition plus juste des sociétés qui profitent de la crise énergétique et davantage de coordination des politiques économiques.
Concernant le sommet de Prague sur la Communauté politique européenne – initiée par Emmanuel Macron – qui a réuni 17 pays non membres de l’UE comme l’Ukraine, le Royaume-Uni ou la Turquie, il estime que les Européens peuvent ainsi “démontrer à la planète et à la Russie que beaucoup d’États partageant à peu près les mêmes valeurs n’acceptent pas la rupture du droit international par la Russie.”
Enfin, après les récentes élections italiennes qui ont porté une union de la droite et de l’extrême droite au gouvernement avec Georgia Meloni à sa tête, Jean-Claude Juncker estime que “si l’on peut apporter des nuances au plan de relance italien, l’Italie ne peut pas prendre le risque que l’UE envoie cet argent ailleurs”. Membre du Parti populaire européen, il se définit comme “centriste démocrate-chrétien à l’opposé de tous les extrêmes et surtout de l’extrême droite”. “J’ai toujours mis en garde le Parti populaire européen sur le risque à imiter ou suivre les populistes, car on ne les distinguerait plus les uns des autres. Je suis contre toute alliance avec l’extrême droite”, insiste-t-il.
Émission préparée par Sophie Samaille, Perrine Desplats et Isabelle Romero.