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États-Unis : les États républicains envoient des bus de migrants vers des villes démocrates

Début septembre, le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, a provoqué un tollé en envoyant deux avions remplis de migrant dans la ville huppée de Martha’s Vineyard. Cette initiative faisait suite à plusieurs mois d’efforts déployés par des gouverneurs républicains pour envoyer des milliers de migrants depuis les zones frontalières vers des villes démocrates. Selon nos Observateurs, ces initiatives créent une mise en scène politique utilisant “la vie humaine comme un simple argument politique”.

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Lundi 19 septembre, neuf bus remplis de migrants et demandeurs d’asile sont arrivés à New York, un nombre record sur une journée. Toutes ces personnes venaient de zones frontalières situées au Texas.


Une vidéo publiée sur Twitter le 25 septembre 2022 montre un bus de migrants qui a voyagé d’El Paso, au Texas, à New York.

Un premier bus de migrants était arrivé à Washington en avril 2022 dans le cadre du plan du gouverneur républicain du Texas, Greg Abbott, visant à partager avec le reste du pays – en particulier les villes démocrates – le “fardeau” de l’arrivée de migrants. Ce plan a été mis en place après que l’administration Biden a annulé le “Title 42”, un décret qui, pendant la pandémie, permettait aux agents frontaliers de refuser les entrées sur le territoire, même celles de personnes demandant l’asile.

Depuis, d’innombrables autres bus ont parcouru plus de 2 700 km depuis le Texas jusqu’à Washington, ou même plus loin pour rallier New York et Chicago. Au 16 septembre, plus de 11 000 migrants avaient ainsi déjà été envoyés depuis le Texas. Les autorités de l’Arizona ont lancé des initiatives similaires, en envoyant près de 2 000 personnes en bus vers la capitale.

Les bus sont composés de demandeurs d’asile, dont beaucoup viennent du Venezuela, qui cherchent une protection politique et économique. Même si certains d’entre eux sont entrés illégalement aux États-Unis, ils ont été enregistrés par des agents frontaliers et ont entamé la procédure légale de demande d’asile.

Une fois enregistrés, ces migrants peuvent soit organiser eux-mêmes leur transport ou leur recherche d’hébergement, soit monter dans un bus mis à disposition par les fonctionnaires de l’État. Les voyages en bus depuis l’Arizona et le Texas sont donc censés être volontaires – ce qui contraste avec l’initiative de DeSantis, qui consistait à attirer dans des avions des migrants à l’aide de promesses trompeuses d’accès à l’emploi, au logement, ou à une aide juridique.

Mais les personnes qui accueillent les migrants dans les villes du nord affirment que ce programme s’est déroulé sans organisation adéquate, laissant les prestataires de services et les fonctionnaires à bout de souffle et sans ressources suffisantes pour accueillir ces milliers de migrants et de demandeurs d’asile.

“Les gens applaudissaient et criaient “Bienvenue à New York” !”

Camille Mackler est la directrice exécutive de Immigrant ARC, un réseau d’associations offrant un soutien juridique aux migrants et aux demandeurs d’asile. Elle était présente le 10 août lors de l’arrivée à New York d’un des premiers groupes de migrants.

C’était chaotique. Les bus sont arrivés et ont été submergés. La police essayait de maintenir un semblant d’ordre et d’aider les gens à entrer dans le terminal. Il y avait une tonne de médias qui les pressaient. Il y avait des manifestants, des volontaires. Les gens applaudissaient et disaient : “Bienvenue à New York”

“Ils n’avaient nulle part où aller alors ils ont sauté dans un bus pour New York”

Pour ce qui est des personnes qui descendaient des bus, il était difficile d’évaluer leurs émotions à la seule vue de leurs visages. Mais je ne sais pas s’ils étaient tout à fait conscients d’être à ce moment-là des sujets de reportage. Il y avait beaucoup d’hommes célibataires. Ceux à qui j’ai parlé n’avaient vraiment nulle part où aller, alors ils ont sauté dans le bus pour New York. Il y avait aussi des jeunes femmes et des familles. C’était frénétique. 


Une vidéo partagée sur Twitter le 17 août 2022 montre un groupe de migrants attendant dans une gare routière de New York après être arrivés du Texas.


Une photo partagée sur Instagram le 16 septembre 2022 montre des bénévoles installés pour accueillir des migrants à New York avec des vêtements et des produits d’hygiène.

Les autorités de la ville de New York, ainsi que des bénévoles et des organisations d’aide, se sont mobilisés pour accueillir les bus à leur arrivée en leur fournissant de la nourriture, de l’eau et des fournitures essentielles. La majorité des personnes qui sont arrivées – au moins 8 500 – vivent désormais dans des abris dans la ville. La ville a également construit des structures temporaires, comme des tentes, pour faire face à cet afflux. En septembre, ces abris ont accueilli plus de 2 200 personnes en une seule semaine.

En plus de la nourriture et du logement, les associations d’aide aux migrants essayent de fournir une assistance juridique aux personnes qui tentent de mener à bien leur demande d’asile.

Il était important pour nous d’être présents car nous savions que les gens auraient des questions sur la marche à suivre. Nous savions que les gens venaient ici pour demander l’asile, ils voulaient donc savoir comment s’y prendre et comment remplir leurs documents juridiques. Si vous ne vous présentez pas aux audiences de l’immigration, les conséquences sont dévastatrices. Nous voulions donc donner une orientation aux gens et comprendre leurs besoins. 

La réalité est que ces personnes veulent déposer leurs demandes, demander des prestations sociales d’immigration, demander l’asile et la protection. Elles devraient au moins être informées sur la marche à suivre et avoir le droit de présenter équitablement leur cas.

Le maire démocrate de New York, Eric Adams, a promis de continuer à assurer un droit d’hébergement aux migrants, mais a appelé à une coordination avec le gouverneur du Texas, M. Abbott, afin de mieux anticiper les besoins de la ville. 


Une vidéo publiée sur Twitter le 17 septembre 2022 montre des migrants entrant dans un bus entre El Paso, au Texas, et la ville de New York. Les autorités de la ville d’El Paso ont déclaré qu’elles avaient coordonné leur action avec les agences d’accueil pour faciliter le transport.

“Les gouverneurs utilisent les migrants comme un outil pour dénoncer ce qu’ils appellent l’inaction du gouvernement fédéral sur les questions frontalières”

Aaron Reichlin-Melnick est directeur politique de l’American Immigration Council, une organisation de recherche et de défense à but non lucratif axée sur l’immigration. 

Au fond, il s’agit d’un coup de com’ dans une année électorale. Les migrants eux-mêmes sont utilisés comme un outil par les gouverneurs pour dénoncer l’action du gouvernement fédéral qu’ils jugent insuffisante en matière de questions frontalières. Les gouverneurs du Texas, de l’Arizona et maintenant de Floride [tous des responsables républicains, NDLR] dépensent d’énormes sommes d’argent pour affréter des bus – et dans le cas de la Floride, même un avion – afin d’emmener des migrants depuis la frontière jusqu’à des villes essentiellement démocrates. Et ces gouverneurs refusent délibérément de prévenir les villes américaines vers lesquelles les gens sont envoyés. 


Le 17 septembre, un bus rempli de migrants est arrivé à Washington D.C. et a été déposé devant la résidence de la vice-présidente Kamala Harris.

Il est important de noter que pour de nombreux migrants, ces bus sont un élément positif. Normalement, c’est aux migrants qu’il incombe d’organiser eux-mêmes leur transport entre la frontière et leur destination finale. Donc le fait que le Texas et l’Arizona offrent des voyages gratuits en bus vers les endroits où ils veulent aller est appréciable. New York est une bonne destination pour les demandeurs d’asile : il y existe une multitude de ressources, un réseau, des organisations à but non lucratif. Mais souvent les agents frontaliers ont inscrit des adresses aléatoires sur leurs papiers, comme des refuges pour sans-abri. Donc ces personnes peuvent découvrir à leur arrivée que rien ni personne ne les y attend.

Alors que les trajets en bus sont censés être organisés exclusivement pour des volontaires, certains migrants ont déclaré qu’ils n’ont en fait pas choisi de venir à New York. D’autres affirment que les autorités fédérales leur ont dit qu’ils devaient venir à New York pour accomplir leurs procédures d’immigration.

De plus, selon la loi américaine, les demandeurs d’asile ne sont pas autorisés à travailler pendant au moins les cinq premiers mois suivant le dépôt de leur dossier. Cela les rend dépendants des organisations d’aide, déjà débordées par la pandémie. 

Mme Reichlin-Melnick estime que la façon dont le gouvernement fédéral américain traite cette question frontalière suscite des inquiétudes légitimes.

Une fois qu’un migrant est libéré de la garde [des agents de contrôle des frontières des États-Unis], cette personne n’est pas vraiment la préoccupation du gouvernement fédéral – dans l’ensemble, ses membres ne se soucient pas de ce qui se passe ensuite. Il est légitime de s’inquiéter du fait que le gouvernement fédéral n’ait pas joué un rôle de premier plan dans la collaboration entre les communautés frontalières et celles chargées de l’accueil à l’intérieur des États-Unis, ce qui permettrait de mieux gérer ce flux de personnes en provenance de la frontière.

Néanmoins, M. Mackler affirme qu’il est possible d’accueillir correctement les immigrants, moyennant un soutien et une coordination appropriés.

Il existe un moyen de gérer cette situation tout en étant accueillant – il ne faut pas parler des immigrants comme d’une attaque contre les ressources, mais les accueillir comme des êtres humains et des personnes qui sont venues ici pour bénéficier des mêmes opportunités que tous les autres avant eux. Si notre ville, notre État et le gouvernement fédéral font les bons investissements, nous pourrons gérer cette situation d’une manière qui ne soit pas complètement inhumaine, et qui n’utilise pas la vie humaine comme un argument politique.

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