Le parti de centre-gauche italien Parti démocrate (PD) a passé la dernière décennie à jouer le rôle de valeur sûre, incarnant un partenaire fiable pour former un gouvernement en temps de crise. Mais à l’approche des élections législatives du 25 septembre, l’incapacité du parti à prendre des initiatives transformatrices contribue à démobiliser son électorat alors même que l’extrême droite est aux portes du pouvoir.
En 1998, dans son film “Aprile”, Nanni Moretti illustrait parfaitement les déceptions suscitées par la gauche italienne. Il incarnait alors un réalisateur préoccupé par la situation politique de son pays. L’une des scènes le montrait hurlant devant sa télévision lors d’un débat télévisé entre Silvio Berlusconi et l’ancien leader de la gauche, Massimo D’Alema, incapable de répondre aux attaques du magnat des médias : “Réagis ! Dis quelque chose ! Réagis ! Dis quelque chose de gauche ! Même pas de gauche, mais au moins quelque chose de civique !”
Six élections et une dizaine de gouvernements plus tard, Silvio Berlusconi est toujours dans le paysage politique italien, jouant désormais les partenaires d’appoint d’une coalition dominée par l’extrême droite. Celle-ci est donnée archi-favorite pour remporter les élections législatives, dimanche 25 septembre, tandis que les électeurs de gauche dépriment, attendant toujours d’entendre “quelque chose de gauche”.
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Lors de la Festa dell’Unità à Bologne, un festival organisé par le parti de centre-gauche italien Parti démocrate (PD) en fin d’été alliant politique, culture, gastronomie et autres festivités, la foule ne cachait pas son désarroi à moins de deux semaines du vote.
“Nous sommes résignés. Nous allons perdre, il n’y a aucun espoir”, explique Gianluca Marozzi, un écrivain attablé au restaurant Bella Ciao avec ses amies, Silvia et Caterina. Le trio souligne l’incapacité de la gauche à s’adresser au peuple et regrette une “dérive [du pays] vers des opinions extrémistes”, évoquant le succès de la candidate d’extrême droite et favorite pour devenir la future Première ministre, Giorgia Meloni.
“La droite joue sur les peurs des gens, ils savent comment les prendre aux tripes, alors que nous, à gauche, nous avons échoué à faire passer notre message”, juge Silvia, tandis que le célèbre chant de résistants antifascistes “Bella Ciao” résonne dans la salle.
“Tout le paysage politique a dérivé vers la droite”
Bastion “rouge” de l’Italie, Bologne devrait résister à la vague de droite à venir. “Bologne résiste encore, mais le parti a choisi un mauvais candidat pour la ville, beaucoup de gens ont du mal à le soutenir”, constate Gianluca Marozzi.
Sénateur depuis 2013, Pier Ferdinando Casini est actuellement le parlementaire italien avec le plus d’ancienneté – il a été élu pour la première fois en 1983. Transfuge des Démocrates chrétiens, il est devenu candidat du PD, à la surprise générale, après avoir passé l’essentiel de sa carrière politique au centre-droit, faisant régulièrement alliance avec Silvio Berlusconi. De quoi alimenter les critiques qui attribuent son changement d’étiquette à de l’opportunisme.
La décision de choisir Casini pour le siège de sénateur de Bologne est particulièrement décriée chez les étudiants de la ville, qui abrite la plus ancienne université au monde. Dans le jardin Dubcek, au cœur de la faculté des sciences politiques, Ardalan Baghaesi, étudiant en Master, juge cette candidature symptomatique de la dérive du PD vers la droite.
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“Les conservateurs font tout pour être de plus en plus à droite, tandis que la gauche s’applique à devenir plus modérée. Du coup, c’est tout le paysage politique qui a dérivé vers la droite”, constate-t-il.
De nombreux étudiants de gauche affirment qu’ils ne voteront pas le 25 septembre – certains pour protester contre le choix de candidats comme Casini, d’autres en raison du coût que représente un voyage dans leur région d’origine, dans un pays où ni le vote postal ni le vote électronique n’existent.
Asia, une étudiante en troisième année de droit, compte s’abstenir car elle estime que des sujets essentiels comme l’environnement, les droits des femmes, l’immigration et les inégalités, dans une Italie divisée entre un Nord riche et un Sud pauvre, ne sont pas suffisamment traités. “La gauche a peur de parler d’immigration alors qu’elle devrait s’en emparer et régler les problèmes”, dit-elle.
Pour Ardalan Baghaesi, c’est la question du réchauffement climatique, en particulier après un été marqué par la sécheresse et les feux de forêt, qui devrait dominer les débats. “Nous vivons un moment historique et le PD ne parvient pas à se mettre au niveau pour proposer un modèle de société qui nous permettrait d’aller vers une économie plus verte, explique-t-il. Cela leur coûte de nombreuses voix chez les jeunes”.
Enrico Letta, un leader peu charismatique
Au-delà des difficultés avec la jeunesse, le leader du Parti démocrate et ancien Premier ministre Enrico Letta vit une campagne électorale compliquée. Après avoir tout fait pour éviter la chute du gouvernement de l’actuel Premier ministre Mario Draghi, Enrico Letta a eu le plus grand mal à mettre sur pied une coalition face à celle de Giorgia Meloni. Il a d’abord refusé de s’allier avec les populistes du Mouvement 5 Étoiles. Puis son projet d’alliance avec les centristes est tombé à l’eau lorsque ces derniers ont refusé de faire campagne aux côtés des Verts et de partis d’extrême gauche alliés au PD. Pour couronner le tout, Enrico Letta n’est jamais parvenu à mettre en avant son programme.
Selon les sondages, l’alliance constituée autour du PD est donnée 15 points derrière le bloc de droite emmené par Giorgia Meloni, Silvio Berlusconi et Matteo Salvini, qui pourrait, grâce au système électoral italien, obtenir une majorité parlementaire assez confortable pour pouvoir modifier la Constitution.
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“Le PD est clairement un parti de gouvernement qui est resté loyal vis-à-vis de Mario Draghi, mais qui a échoué à trouver sa place durant cette campagne”, explique Maurizio Cotta, professeur de sciences politiques à l’Université de Sienne. “Il n’a pas grand-chose à dire à part mettre en garde les électeurs contre le danger Meloni”, ajoute-t-il.
“Le PD se trompe en essayant de jouer la contre-attaque face à une Meloni à l’offensive”, estime de son côté Gianfranco Pasquino, professeur à l’antenne de l’Université Johns Hopkins située à Bologne. “Pour jouer à ce jeu, vous avez besoin de bons attaquants, vous avez besoin d’un Mbappé. Sauf que la gauche n’a pas de Mbappé dans son effectif”, ironise-t-il.
De fait, Enrico Letta apparaît comme un politique de centre-gauche tout à fait convenable, mais dépourvu de charisme. “Letta est intelligent, capable et fiable, estime Gianfranco Pasquino, qui a consacré plusieurs livres à la gauche italienne, mais il ne sait pas aller au combat et n’est pas particulièrement original.”
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Un personnage bien éloigné, par exemple, d’un Jean-Luc Mélenchon en France, dont le mouvement L’Union populaire a inspiré une nouvelle formation sur la scène politique italienne. L’ancien maire de Naples, Luigi de Magistris, a monté en juillet une alliance de gauche radicale, allant jusqu’à reprendre le même nom : Unione Popolare. L’ancien candidat à l’élection présidentielle française s’est déplacé à Rome, début septembre, pour soutenir cette union. Mais il sera difficile de percer pour l’Unione Popolare.
“L’ADN social, culturel et économique de l’Italie penche vers le conservatisme. Contrairement à la France, la place de l’Église y est encore prépondérante. Il ne peut pas y avoir de rupture radicale et de Mélenchon en Italie, estime Gianfranco Pasquino. Le PD en a tout à fait conscience et sait qu’il doit s’adresser aux électeurs modérés.”
Le Parti démocrate jugé trop prudent
Problème : sa volonté d’apparaître comme un parti de gouvernement et sa prudence dans les différentes coalitions gouvernementales auxquelles il a participé ont empêché le Parti démocrate d’être une force politique transformatrice. Notamment en matière de droits LGBT ou sur la naturalisation des enfants de migrants, selon le spécialiste de la gauche italienne.
“Ils auraient pu proposer des lois au vote du Parlement, mais ils ont eu peur de l’échec. Cela leur aurait pourtant donné un argument électoral du type : ‘si vous voulez une loi contre l’homophobie, votez pour nous'”, analyse Gianfranco Pasquino.
Cette timidité du Parti démocrate était l’un des thèmes récurrents à la Festa dell’Unità à Bologne. “Regardez en Espagne, il y a un gouvernement socialiste minoritaire qui a fait de la lutte contre les violences faites aux femmes une priorité. Pourquoi ne pouvons-nous pas faire de même ?”, interroge Silvia au restaurant Bella Ciao.
“C’est vrai que le PD a été plutôt faible sur les droits civiques. Ils ont peur de perdre le vote des modérés en étant trop audacieux”, ajoute Vittorio Gaetano, un activiste LGBT également rencontré à la Fête de l’Unité.
Ce dernier craint qu’un gouvernement dominé par l’extrême droite ne laisse libre court aux injures et aux attaques homophobes, mais ne croit pas pour autant à un drastique retour en arrière sur les droits civiques. “Ils ne peuvent pas renverser le cours de l’Histoire”, se rassure-t-il.
Un avis pas forcément partagé par Gianfranco Pasquino, qui cite notamment des mesures anti-avortement prises par des gouvernements régionaux de droite. “D’où la nécessité pour la gauche d’être plus courageuse quand elle est au pouvoir”, ajoute-t-il.
Article traduit de l’anglais par Romain Brunet. La version originale est à retrouver ici.