Un avis très attendu sur la fin de vie en France a été rendu mardi par le comité d’éthique, permettant à Emmanuel Macron de lancer une convention citoyenne sur la fin de vie et l’aide active à mourir, en vue d’un éventuel changement de loi d’ici à la fin 2023.
Après le climat, le sujet de la fin de vie et de l’aide active à mourir fera à son tour l’objet d’une convention citoyenne. Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a rendu, mardi 13 septembre, un avis attendu, déclarant une légalisation possible, mais à de “strictes” conditions. Une annonce immédiatement suivie du lancement, par Emmanuel Macron, de premières démarches en vue d’un éventuel changement de loi.
“Il nous faut bouger pour plus d’humanité”, avait récemment déclaré le chef de l’État, alors que plusieurs pays, tels que la Belgique ou les Pays-Bas, ont modifié leur législation depuis une dizaine d’années.
Une large consultation citoyenne sur la fin de vie sera donc lancée en France au mois d’octobre et rendra ses conclusions en mars en vue d’un éventuel changement de “cadre légal” d’ici à la fin 2023.
Comme pour la précédente édition consacrée à la lutte contre le réchauffement climatique, c’est le Conseil économique, social et environnemental (CESE) qui sera chargé d’organiser les débats et de tirer au sort les citoyens représentatifs qui y participeront. Dans un communiqué publié mardi, le CESE a “salué” l’initiative du président de la République et “sera attentif au contrat passé avec les citoyens participants, pour que les débouchés soient clairs pour tous”.
La veille, l’Élysée avait lui-même reconnu que la convention climat avait suscité “trop d’attentes et donc beaucoup de déception”. Afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, Emmanuel Macron prévoit cette fois “un filtre” sur le texte qui découlera des réflexions des citoyens, en mars prochain.
“Il y aura un filtre : le peuple ou le Parlement”, a précisé la présidence, ce qui peut ouvrir la voie à un référendum ou à une nouvelle loi.
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La loi de sédation Claeys-Leonetti, “une impasse thérapeutique”
L’avis du comité d’éthique est nuancé mais marque une rupture avec ses précédentes positions. Pour la première fois, l’institution, animée notamment par Alain Claeys (dont la loi Claeys-Leonetti encadre la fin de vie des malades incurables en France), envisage la possibilité d’une aide “active” à mourir.
Pour autant, les termes employés dans l’avis du CCNE agacent les militants. “Il faut toujours, en France, qu’on donne l’impression d’être plus intelligent que tout le monde”, réagit Philippe Lohéac, délégué général de l‘Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).
Le fait de préciser qu’une aide active à mourir peut être rendue possible “à de strictes conditions” est pour lui une aberration. Rappelant que ce droit existe dans de nombreux pays dans le monde, Philippe Lohéac s’interroge : “Vous croyez vraiment qu’en Belgique, l’aide active à mourir s’applique sans cadre, sans aucune procédure ? Qu’on euthanasie n’importe qui, n’importe comment ?”
Pour lui, il est évident qu’une légalisation sera accompagnée d’un cadre et de procédure strictes. “Il faut arrêter cette supériorité française qui nous a projeté pendant des années dans la loi de sédation Claeys-Leonetti qui est une impasse thérapeutique”, poursuit-il.
Adoptée en 2016, une évolution de la première version de 2005, la loi Claeys-Leonetti interdit l’euthanasie et le suicide assisté, mais permet une “sédation profonde et continue jusqu’au décès” pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance, dont le pronostic vital est engagé à court terme.
“En Belgique, il existe une loi de dépénalisation de l’euthanasie et une loi de sédation avec des produits très différents qui font que lorsque la sédation est faite, le patient décède en quelques heures”, précise le responsable de l’ADMD. “En France, Vincent Lambert a mis neuf jours après sa sédation pour mourir. Quand bien même elle serait correctement appliquée, la sédation est une loi inhumaine.”
Une loi restrictive qui, par ailleurs, exclut de son champ d’application des cas aussi caractéristiques que les personnes atteintes de maladies neurodégénératives, pour lesquelles la convention citoyenne constitue un nouvel espoir de voir la législation évoluer en leur faveur.
“Quand vous n’êtes pas arrivés dans la phase agonique, la loi ne fait rien pour vous” – Philippe Lohéac, délégué général de l’ADMD
“Aujourd’hui, en France, si vous êtes atteint de la maladie de Charcot, la loi ne vous concerne pas ; si vous avez un locked-in syndrom (syndrome d’enfermement), la loi ne vous concerne pas ; si vous avez un cancer des os métastasé, mais que vous n’êtes pas arrivés dans les toutes dernières heures de votre vie, la loi ne fait rien pour vous”, énumère Philippe Lohéac, espérant que le texte qui sera discuté à l’Assemblée nationale à l’issue de la convention citoyenne prendra en considération la volonté de “tous ces gens qui ont été méprisés par la loi actuelle”.
C’est en tout cas ce que laisse penser l’avis du comité d’éthique, qui pour la première fois accepte l’idée qu’il existe “une voie pour une application éthique d’une aide active à mourir”, en particulier pour les patients dont le pronostic n’est engagé qu’à moyen terme mais dont les souffrances sont intolérables.
Une société majoritairement favorable à l’aide active à mourir
“Cet avis a fait débat au sein du CCNE comme je suppose dans la société française”, a admis le rapporteur Alain Claeys, lors de sa conférence de presse, mardi.
L’institution ne présente pas un visage unanime, et plusieurs de ses membres ont tenu à faire part de leurs doutes, publiés en complément de l’avis de l’institution où ils émettent des réserves quant à la mise en place d’une aide active à mourir.
Dans la société, pourtant, les voix s’expriment très majoritairement en faveur d’un tel droit.
En avril 2021, alors que l’Assemblée nationale débattait d’une proposition de loi du député Olivier Falorni sur la fin de vie, un sondage Ifop révélait que 93 % des Français considéraient que la loi devrait autoriser les médecins à mettre fin, sans souffrance, à la vie de des personnes atteintes de maladies insupportables et incurables si elles le demandent. Un chiffre stable par rapport à l’enquête précédente datant de 2017.
Cette étude montre également que les Français sont majoritairement favorables à l’autorisation du suicide assisté pour des personnes souffrant de maladies insupportables et incurables : 89 % approuvent cette idée, et seulement 4 % pas du tout. Par ailleurs, plus de deux tiers des interrogés (69 %) jugent que la loi Claeys-Leonetti doit être fortement modifiée ou abrogée car elle n’est pas efficace.
Grande réforme sociétale du second quinquennat ?
Emmanuel Macron a souvent pris des positions prudentes sur le sujet. Il y a deux ans, lorsqu’Alain Cocq, atteint d’une maladie orpheline avait écrit au président pour l’implorer de le laisser mourir, le chef de l’État lui avait répondu : “parce que je ne me situe pas au-dessus des lois, je ne suis pas en mesure d’accéder à votre demande”.
Lundi, encore, Emmanuel Macron affirmait : “mon opinion personnelle importe peu”. Avant son élection en 2017, ce dernier, interrogé par Laurence Ferrari, avait néanmoins manifesté sa volonté de “choisir [sa] fin de vie”, et a déjà, par le passé, exprimé son intérêt pour le modèle belge.
Malgré cela, la fin de vie et l’aide active à mourir n’ont pas été les sujets de son premier quinquennat. “La loi de 2016 avait moins d’un an, on n’avait pas encore conscience qu’elle était plus inhumaine encore que celle de 2005”, suppose Philippe Lohéac.
Emmanuel Macron, qui envisage d’en faire la grande réforme sociétale de son second quinquennat, a récemment décidé de relancer le sujet, dans un contexte où la notion d’euthanasie est de plus en plus largement acceptée par l’opinion publique et une partie du monde politique.
“On a l’espoir que les Français soient enfin entendus”, estime le délégué général de l’ADMD. “Mais on a déjà été échaudés, nuance-t-il. L’ancien président François Hollande était pour, mais il a fait voter la loi de 2016”.