Chargé par le président Joe Biden de jouer les médiateurs entre Libanais et Israéliens pour régler leur différend frontalier maritime et lever les obstacles à la prospection d’hydrocarbures, l’émissaire américain Amos Hochstein s’est rendu vendredi à Beyrouth, où il a expliqué qu’il restait “encore du travail à faire”. Sa visite a douché les échos optimistes quant à la conclusion rapide d’un accord.
Le contentieux entre le Liban et Israël autour du tracé de leur frontière maritime, et donc du partage des ressources gazières dans cette zone de la Méditerranée orientale, reste dans l’impasse. Chargé de jouer les médiateurs par Joe Biden, le négociateur américain, Amos Hochstein a fait un passage éclair à Beyrouth, vendredi 9 septembre, où il était censé transmettre la réponse israélienne aux dernières propositions libanaises, exprimées en août. S’il a fait état de “très bons progrès” dans les négociations indirectes entre les deux pays voisins, toujours techniquement en guerre, malgré un armistice conclu en 1949, il a précisé qu’il restait “encore du travail à faire”.
Une sortie qui laisse peu d’espoir d’une conclusion rapide d’un accord, alors que les échos rapportés ces dernières semaines par les médias des deux pays laissaient croire le contraire.
“Le Liban pourrait être à la veille de la signature d’un accord sur la délimitation de sa frontière maritime avec Israël. C’est en tout cas l’impression que distillent les milieux politiques et officiels impliqués dans ce dossier”, avait récemment indiqué le quotidien francophone libanais L’Orient-le-Jour. “On parle même de la possibilité d’un accord dans le courant du mois de septembre… sauf imprévu”, était-il encore écrit dans ses colonnes.
Côté israélien, le site d’information Walla avait relayé, le 31 août, les propos d’un responsable de la Maison Blanche, affirmant que Washington, qui joue les médiateurs entre les deux pays, “continue à réduire les écarts entre les parties” au point de penser “qu’un compromis peut être atteint”.
Début août, le quotidien israélien Haaretz avait rapporté qu’une source impliquée dans les négociations indirectes, a confié qu’Israël “considérait le mois de septembre comme une date cible pour la conclusion d’un accord final”.
Une priorité diplomatique ?
Une atmosphère d’optimisme relatif régnait donc avant la visite d’Amos Hochstein, et ce, dans un contexte international marqué par les tensions sur les marchés de l’énergie et l’envolée des prix du gaz depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, principal fournisseur des pays européens,
“La crise énergétique internationale étant ce qu’elle est actuellement, tout le monde a intérêt à trouver une solution, même le Hezbollah, estime Ziad Majed, professeur de sciences politiques à l’université américaine de Paris. Le Liban, qui est empêtré jusqu’au cou dans une crise socio-économique, a lui un besoin vital de commencer à explorer ses potentielles réserves d’hydrocarbures. Du côté israélien également, le gouvernement verrait d’un bon œil la conclusion d’un accord qui lui permettrait de sécuriser et d’augmenter ses capacités de production de gaz, et d’apparaître comme un fournisseur crédible”.
Outre les deux principaux acteurs du contentieux frontalier, les Occidentaux sont également pressés de régler ce dossier. “Washington œuvre également en faveur d’une conclusion rapide afin que de nouvelles pistes alternatives au gaz russe puissent émerger et ainsi maintenir la pression sur Moscou”, poursuit ce spécialiste du Moyen-Orient.
L’administration américaine assure en effet avoir fait de la résolution du contentieux frontalier libano-israélien l’une de ses priorités diplomatiques. Joe Biden a directement évoqué cette question, le 31 août, avec le Premier ministre israélien Yaïr Lapid, lors d’un entretien téléphonique. La Maison Blanche a indiqué que le président américain avait “souligné l’importance de conclure les négociations sur la frontière maritime entre Israël et le Liban dans les prochaines semaines”.
Le Hezbollah sort de sa réserve
Toutefois, sur le terrain, la situation reste volatile de part et d’autre de la frontière, où l’armée israélienne et le Hezbollah, le mouvement politico-militaire chiite, qui s’est autoproclamé défenseur des réserves d’hydrocarbures libanaises, se font face.
Le parti pro-iranien dirigé par Hassan Nasrallah est sorti de la réserve qu’il s’était imposée, afin de laisser les négociateurs de l’État libanais avancer sur le dossier, depuis l’arrivée, début juin, d’une unité flottante de production, de stockage et de déchargement (FPSO) dans la zone maritime contestée.
Appartenant au groupe Energean, cette unité est chargée par le gouvernement israélien d’exploiter le champ gazier offshore de Karish. Si l’État hébreu considère que ce champ est situé dans sa zone économique exclusive et donc non concerné par le litige frontalier, le pays du Cèdre estime de son côté que Karish se trouve dans les eaux contestées.
Se contentant jusqu’alors de menaces verbales épisodiques et de mise en garde contre toute tentative de normalisation avec l’État hébreu en échange d’un éventuel accord sur la frontière maritime, le Hezbollah est passé à l’acte en envoyant, début juillet, “trois drones non armés en direction du champ contesté de Karish pour des missions de reconnaissance”.
Les engins avaient été interceptés par l’armée israélienne avant de s’approcher du champ gazier.
Le risque d’une escalade militaire
“Nous disons à l’ennemi de ne pas se tromper, et à [Amos] Hochstein ainsi qu’aux Américains de ne pas tromper les Libanais”, a martelé, le 13 juillet, Hassan Nasrallah, pour expliquer son coup de pression qui visait à empêcher des prospections unilatérales dans les blocs contestés. “La résistance [ est la seule force dont dispose le Liban pour obtenir son droit au pétrole et au gaz”, a-t-il assuré.
Interrogé le 22 août à la radio israélienne 103 FM sur la possibilité qu’une attaque du parti chiite contre un “champ gazier israélien” puisse mener à une “escalade” militaire, voire une “guerre”, le ministre israélien de la Défense Benny Gantz a répondu par l’affirmative.
Ces derniers jours, selon plusieurs médias libanais, dont L’Orient-Le Jour, le Hezbollah a rappelé une partie de ses combattants présents en Syrie pour les déployer dans la Bekaa et le sud du Liban. De son côté, l’armée israélienne a achevé, le 6 septembre, 3 jours d’exercices militaires à sa frontière avec le pays du Cèdre. En juin, elle avait organisé un exercice de grande ampleur à Chypre, simulant une offensive terrestre en territoire libanais.
“L’escalade militaire est un risque que nul ne peut écarter, et d’ailleurs chaque camp fait savoir qu’il se prépare à un tel scénario, décrypte Ziad Majed. Mais aucune partie n’a intérêt à basculer dans la confrontation armée”.
Et d’ajouter : “un accord arrangerait toutes les parties, y compris le Hezbollah qui sait que le Liban ne peut plus se permettre le moindre retard sur le dossier du gaz. Le parti chiite s’est retrouvé un peu coincé entre sa volonté de se montrer concerné par l’effondrement économique du pays et les difficultés quotidiennes des Libanais, tout en restant fidèle à sa priorité stratégique qui est directement liée à l’agenda de Téhéran dans la région”.
Un rendez-vous de la dernière chance ?
Selon Ziad Majed, le parti de Hassan Nasrallah cherche toutefois à se montrer intransigeant sur le dossier des frontières, car il est persuadé que ses menaces et ses drones sont un moyen d’éviter que le compromis soit celui voulu par les Américains et les Israéliens.
“Si jamais un accord est conclu, et que le pays du Cèdre arrache quelques acquis, et c’est là le pari du Hezbollah, le parti pourra claironner que c’est grâce à sa force militaire que les Libanais ont pu imposer leurs conditions, et ainsi légitimer son arsenal qui fait toujours débat au Liban”, explique-t-il.
Même Téhéran, poursuit Ziad Majed”, pourra se féliciter d’un accord bénéfique aux Libanais, obtenu par son allié chiite, et ainsi rappeler par la même occasion qu’il reste incontournable dans des dossiers clés du Moyen-Orient, en pleine négociations pour relancer l’accord sur le nucléaire iranien”.
Selon lui, la situation peut même déraper si jamais les Israéliens décident, pour des considérations électoralistes d’ajourner la conclusion d’un accord, ou dans le cas d’un échec de dernière minute dans les négociations sur le nucléaire iranien. “L’opportunité de conclure un accord satisfaisant pour toutes les parties peut ne pas se représenter, dans le cas par exemple d’une nouvelle donne politique en Israël après les législatives du 1er novembre, ou des midterms [les élections de mi-mandat au Congrès américain]”, insiste Ziad Majed.
“De tels évènements peuvent pousser le Hezbollah à augmenter la pression à travers des démonstrations de force à la frontière. La région entrera alors dans une autre dynamique, dont nul ne sortira gagnant”.