Couleur des cheveux, mutation génétique… avec la levée de l’anonymat des donneurs de spermatozoïdes et d’ovocytes, les personnes issues de ces dons pourront accéder à des informations sur leur origine, jusqu’à connaître l’identité de leur géniteur. Une évolution déjà acceptée par les donneurs et accueillie comme une avancée par les associations. Témoignages.
Timothée Marteau célèbre la victoire. L’entrée en application de la loi autorisant le “droit d’accès aux origines” pour les enfants nés d’un don de spermatozoïdes ou d’ovocytes va changer le quotidien de milliers de personnes.
“Jusque-là c’était l’anonymat complet”, explique le représentant de PMAnonyme, lui même issu d’un don. “Aucune information n’était communiquée aux personnes conçues par don, ni sur l’identité du donneur, ni sur le fait que vous ayez été conçu par don”.
Depuis le 1er septembre, le donneur de spermatozoïdes ou la donneuse d’ovocytes doit nécessairement consentir à la divulgation future de son identité aux enfants à venir, si ces derniers en font la demande. Devenu adulte, l’enfant pourra également, s’il le souhaite, se contenter d’accéder à des “données non identifiantes” : âge, caractéristiques physiques, situation professionnelle ou familiale du donneur.
Avec cette nouvelle loi, les personnes issues de dons antérieurs à la législation pourront à l’avenir solliciter l’accord du géniteur ou de la génitrice, par l’intermédiaire d’une commission ad hoc sous l’égide du ministère de la santé, mais sans garantie de succès.
Poser des questions très précises comme la couleur de cheveux
“Ça fait des années qu’on essayait d’éveiller les consciences et qu’on sollicitait les députés pour changer la loi. Ce qui a été retenu est proche de nos propositions”, se félicite Timothée Marteau, qui attend avec impatience de voir les premières personnes issues de dons déposer leurs demandes auprès de la Commission d’accès des personnes nées d’une assistance médicale à la procréation aux données des tiers donneurs (CAPADD).
“Je m’attends à ce que des personnes issues de dons demandent l’identité de leurs géniteurs, mais il se pourrait aussi qu’ils souhaitent poser des questions très précises comme la couleur des cheveux, ou les antécédents médicaux, sans forcément aller plus loin”, poursuit Timothée Marteau, désigné comme représentant de PMAnonyme au sein de la commission.
Depuis plusieurs années, “l’écrasante majorité” des donneurs qui se présentent dans les Cecos (Centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme humain) se disent favorables à la divulgation future de leur identité, note le Pr Florence Eustache, de la fédération française des Cecos. C’est le cas notamment de Lucie. Pour cette Parisienne de 37 ans, son don d’ovocytes était “nécessaire” malgré quelques questionnements : “Ma démarche a suscité un débat avec mon conjoint. Je me suis demandée si je ne mettais pas mon équilibre familial en péril pour les années à venir. Mais cela aurait été trop égoïste de m’arrêter à ça. Et puis il n’est pas avéré qu’un jour quelqu’un souhaite savoir que je suis sa donneuse”, témoigne-t-elle.
Comme les autres donneurs, Lucie ne sera jamais informée de la naissance d’un enfant issu de ses gamètes, ni même sur le nombre d’ovocytes qui lui ont été prélevés lors de sa ponction sous anesthésie générale. Et la nouvelle loi n’y change rien. Elle n’a pas non plus d’impact sur la filiation : à l’avenir comme par le passé, aucun lien légal ne pourra être établi entre le donneur et l’enfant né du don. “Tout ça est très clair pour moi”, poursuit Lucie avec aplomb. “Je transmets le matériel génétique qui permet à des personnes d’avoir un enfant. Ça n’est pas mon enfant”.
Pas assez d’ovocytes
En France, les donneurs ne sont pas assez nombreux. Seules 900 femmes ont donné leurs ovocytes et près de 600 hommes ont fait don de leurs spermatozoïdes en 2020. Les stocks de spermatozoïdes congelés en France sont suffisants en ce moment, même s’ils doivent être réalimentés en permanence.
Or, la demande a nettement augmenté, indique-t-on à l’Agence de biomédecine. Depuis que la loi bioéthique en 2021 a élargi l’accès à la PMA (Procréation médicalement assistée), quelque 13 000 femmes seules ou couples de femmes ont demandé à en bénéficier en neuf mois, un chiffre à comparer à environ 2 000 demandes déposées auparavant chaque année par les seuls couples hétérosexuels. Les Cecos indiquent manquer cruellement d’ovocytes.
“Les listes d’attente sont tellement tendues que mes ovocytes n’ont même pas été congelés après prélèvement”, confirme Lucie. “J’ai plusieurs personnes touchées par des problèmes de fertilité dans mon entourage. Le jour où j’ai annoncé ma deuxième grossesse à ma meilleure amie, elle s’est effondrée en larmes et m’a avoué qu’elle était dans une procédure de PMA. Ça m’a bouleversée et je me suis promis d’agir. Je trouve ça profondément injuste pour les femmes qui ne peuvent pas avoir d’enfants alors qu’elles le souhaitent”, raconte-t-elle. Cette mère de deux fillettes n’a pas hésité longtemps avant d’appeler le Cecos le plus proche de chez elle. D’autant qu’en France, ce type de don pour les femmes n’est autorisé que jusqu’à la veille de la trente-huitième année. “Il a fallu faire vite”, poursuit-elle.
D’autres facteurs, plus matériels, peuvent dissuader les donneurs, estime Lucie. Durant son parcours, elle a été plusieurs fois freinée par la lourdeur administrative de la procédure et la désorganisation de l’hôpital public. “Je devais me battre pour prendre les rendez-vous parce que les secrétariats ne répondent pas souvent au téléphone. Ça demande une implication et une motivation très forte”.
Avant la loi, le recours aux tests ADN
Les donneuses comme Lucie savent qu’une recherche ADN via des entreprises basées à l’étranger – la procédure étant encore interdite en France – suffisait avant même la nouvelle législation pour retrouver ses géniteurs en quelques clics. “Une centaine de géniteurs ont ainsi pu être identifiés par les membres de notre association grâce à ce genre de test”, raconte Timothée Marteau. “Pour ma part, ces recherches généalogiques et génétiques ont duré deux ans et demi. Mais j’ai aidé une personne qui a mis 3 heures à peine à retrouver son géniteur et à l’avoir au bout du fil”. En somme, avec la démocratisation de ces tests ADN, l’anonymat à 100 % des donneurs n’était déjà plus garanti.
Toutefois, reconnaît Timothée Marteau, la méthode ADN pose quelques difficultés. “Le donneur n’a pas exprimé clairement sa volonté et peut-être qu’il ne voulait pas être retrouvé, même si dans la plupart des cas on a observé qu’ils approuvaient cette prise de contact, notamment lorsqu’il s’agissait de fournir des informations médicales”.
Lui-même a pu, après avoir retrouvé son géniteur biologique, découvrir qu’il était porteur d’une mutation d’un gène favorisant le cancer chez la femme. “C’est la première chose qu’il m’a dite au téléphone quand je lui ai parlé. Comme quoi, il éprouvait le besoin de transmettre ce renseignement capital”. Grâce à cette information, le géniteur a prévenu le corps médical qui, à son tour, a alerté une demi-sœur biologique de Timothée, elle-même issue de don. La jeune femme a découvert qu’elle était, elle aussi, porteuse de ce gène et elle a pu anticiper l’apparition des cancers liés à la présence de cette mutation génétique. “C’est une procédure rare, mais ça arrive”, explique Timothée Marteau. “Désormais les personnes issues de dons auront accès plus facilement à ce genre d’informations”.
Dans d’autres pays, tels que la Suède ou le Royaume-Uni, où l’anonymat des donneurs a été assoupli depuis longtemps, le nombre de dons a baissé dans un premier temps avant de repartir à la hausse. Un phénomène rassurant, même si pour Timothée Marteau, opposer une logique de quantité au droit des enfants n’est pas souhaitable : “Ne faut-il pas mieux avoir moins de dons, mais des dons éthiques ?”.