Le Japon a annoncé samedi un plan d’investissement majeur de 30 milliards de dollars en trois ans pour l’Afrique. Un programme qui donne l’impression que Tokyo veut jouer un rôle économique plus important en Afrique, mais qu’il faut replacer dans un contexte historique compliqué.
La Chine, l’Inde, les États-Unis, l’Europe… mais aussi le Japon. Tout le monde veut mettre un pied économique en Afrique, y compris l’ex-empire du Soleil levant, qu’on a trop souvent tendance à oublier lorsqu’il s’agit d’évoquer les intérêts étrangers sur le continent africain.
Le Premier ministre japonais, Fumio Kishida, s’est chargé de le rappeler, samedi 27 août, à l’occasion de la huitième Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique qui s’est tenue en Tunisie, en promettant que son pays allait investir la somme record de 30 milliards de dollars en trois ans en Afrique.
Le Japon, précurseur des grands sommets pour l’Afrique
C’est davantage que les 20 milliards de dollars que Tokyo s’était engagé à mettre sur la table pour aider au développement des pays d’Afrique en 2019. Et pas loin des 40 milliards de dollars de prêts promis par la Chine, le grand concurrent régional du Japon, aux pays africains l’an dernier.
Ces promesses d’investissements cochent les principales cases des urgences auxquelles l’Afrique doit faire face. Fumio Kishida a annoncé plus d’un milliard pour aider le continent à faire face à des épidémies comme le Covid-19, et pour soutenir des projets pour lutter contre le réchauffement climatique. Enfin, Tokyo veut aussi aider l’Afrique à surmonter les pénuries de denrée alimentaires causées par la guerre en Ukraine.
Le reste des 30 milliards de dollars doit servir à inciter les entreprises japonaises à investir en Afrique. Une partition au final familière pour qui connaît l’histoire des relations économiques nippo-africaines. Ce mélange d’aide humanitaire et de promesses d’investissements est un cocktail que “Tokyo a déjà présenté à plusieurs reprises aux pays africains par le passé”, souligne Kweku Ampiah, spécialiste des relations économiques entre le Japon et les pays africains à l’université de Leeds.
C’est même le credo principal des dernières Conférences internationales de Tokyo sur le développement de l’Afrique – aussi appelées Ticad (Tokyo International Conference on African Development). Elles sont les ancêtres des sommets économiques pour l’Afrique organisés par la plupart des grandes puissances.
Le Japon est, en réalité, un précurseur en la matière. La première Ticad a eu lieu à Tokyo en 1993, un peu avant que la France fasse de même en 1996, puis ce fut au tour de la Chine (2006), de l’Inde (2008), des États-Unis (2014) et, enfin, de la Russie (2019).
Malentendu historique
Une pole position dans la course au marché africain dont la Japon n’a pas du tout tiré profit. “À part au moment des Ticad, le Japon est invisible en Afrique et l’Afrique est invisible au Japon”, résume Seifudein Adem, spécialiste des relations internationales du Japon à l’université Dōshisha de Kyoto, interrogé par le South China Morning Post.
Pire, le Japon a même perdu du terrain. “Il était le 4e partenaire commercial des pays d’Afrique subsaharienne en 2004, et n’est plus que 6e“, souligne le Financial Times. “Au niveau du continent, il ne fait même plus partie du top 10 des plus importants investisseurs. Le Japon a même été dépassé par Singapour et la Suisse”, souligne Kweku Ampiah.
Un triste bilan qui vient d’un malentendu historique. “Les Ticad dépendaient, à l’origine, du seul ministère japonais des Affaires étrangères. En fait, malgré son nom de conférence sur le développement, c’était une initiative bien plus diplomatique qu’économique”, explique le spécialiste de l’université de Leeds.
Dans les années 1990, le Japon “cherchait à augmenter son prestige international et visait pour cela un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’Organisation des nations unies”, rappelle Bolade M. Eyinla, professeur de relations internationales à l’Université d’Ilorin, au Nigeria, dans une étude de la diplomatie japonaise en Afrique parue en 2019. Pour ce faire, il lui fallait le soutien des pays africains… que Tokyo espérait obtenir en échange d’une aide financière négociée à l’occasion de ces sommets.
L’intérêt économique d’investir en Afrique ne sautait pas non plus aux yeux des Japonais au tournant du XXIe siècle. À l’époque, “le développement des relations commerciales avec les autres pays d’Asie suffisait au Japon”, note Kweku Ampiah.
Un concurrent pour la Chine ?
Ce n’est que lorsque les pays africains ont commencé à connaître une forte croissance vers la fin des années 2000 et au début des années 2010, grâce aux investissements chinois et indiens, que le Japon a réalisé qu’il était en train de rater un train auquel il avait pourtant accroché le premier wagon.
C’est à partir de ce moment-là que le gouvernement japonais a commencé à insister toujours plus sur les investissements des entreprises japonaises en Afrique. “Depuis l’accession de Shinzo Abe au poste de Premier ministre [en 2012, NDLR], le Japon est devenu très fort pour évoquer la coopération public-privé pour inciter les entreprises à investir en Afrique”, note Kweku Ampiah.
Un discours volontariste qui a fait dire à certains que le Japon cherchait à faire de l’ombre à la Chine en Afrique, souligne Daisuke Akimoto, politologue à l’université Meiji de Tokyo, dans une tribune publiée par le site The Diplomat. Après tout, le Japon a adopté le rythme triennal pour son sommet “à la demande des pays africains qui disaient que c’était ainsi que faisait la Chine”, note Kweku Ampiah dans une tribune publiée par le quotidien sud-africain Daily Maverick. Tokyo a aussi accepté de tenir son sommet dans des pays africains… tout comme le faisait la Chine. Jusqu’en 2016, ces conférences pour promouvoir le développement en Afrique se déroulaient systématiquement dans la capitale japonaise.
Pour autant, l’idée que l’Afrique soit le nouveau terrain d’une bataille d’influence entre le Japon et la Chine paraît peu crédible à Kweku Ampiah. “Aucun responsable politique japonais n’y croit. Le Japon n’a absolument pas les moyens de concurrencer la Chine”, résume-t-il.
Il n’y a qu’un peu plus de 500 entreprises japonaises présentes en Afrique et 70 % des investissements se concentrent sur l’Afrique du Sud. Rien à voir avec les quelque 2 500 entreprises chinoises implantées un peu partout sur le continent africain.
En fait, il semble là encore y avoir un décalage entre les annonces japonaises et la réalité. “Une partie des interlocuteurs africains pensent que les Japonais parlent beaucoup mais agissent peu”, note Kweku Ampiah. Autrement dit, les promesses de milliards de dollars d’investissement ne se concrétisent pas toujours.
C’est pourquoi ce spécialiste est prudent quant aux annonces de la huitième Ticad. “Attendons de voir comment ces promesses se traduisent dans les faits”, conclut-il. Peut-être qu’il s’agit d’un véritable tournant dans l’approche japonaise en Afrique, ou alors il s’agira d’un nouveau rendez-vous raté. Le dernier ? Dans l’influent quotidien économique japonais Nihon Keizai Shinbun, un chroniqueur écrivait en juin 2022 que certains proches du gouvernement voulaient tirer un trait définitif sur les Ticad.