Dix mois après les dernières législatives d’octobre 2021, l’Irak est toujours dans l’impasse. Pis, lundi, la tension politique qui n’a cessé de monter ces dernières semaines entre les deux pôles du chiisme politique, soit le leader nationaliste Moqtada al-Sadr et une alliance composée de partis pro-Iran, a basculé dans la violence. Retrouvez cet article publié le 14 août sur les principaux acteurs de la crise actuelle.
Bagdad est à nouveau prise en étau entre deux rassemblements rivaux illustrant l’inextricable impasse politique qui dure depuis plus de 10 mois. Précisément depuis les législatives du 10 octobre 2021.
Ne parvenant pas à s’entendre pour former un gouvernement et nommer un Premier ministre chiite (communauté majoritaire dans le pays), deux pôles du chiisme politique radicalement opposés se font toujours face, déterminés à se disputer le pouvoir.
D’un côté, celui du leader nationaliste chiite Moqtada al-Sadr, le grand vainqueur des législatives, qui entendait imposer son candidat au poste de Premier ministre après avoir formé une coalition avec des alliés issus d’autres communautés confessionnelles.
De l’autre, celui du Cadre de coordination, regroupant plusieurs partis dont celui de l’ancien Premier ministre Nouri al-Maliki et celui des pro-Iraniens de l’Alliance de la conquête, façade politique des anciens paramilitaires du Hachd al-Chaabi s’étant illustré dans la lutte contre le jihadisme cette dernière décennie.
Aujourd’hui, le courant de Moqtada al-Sadr – les Sadristes –, dont les partisans poursuivent depuis bientôt deux semaines un sit-in aux abords du Parlement, réclame une dissolution du Parlement et des législatives anticipées.
Les rivaux de Moqtada al-Sadr, qui avaient initialement accepté des législatives anticipées sous certaines conditions, appellent à “former un gouvernement” avant toute décision. Ils ont même présenté, fin juillet, leur candidat : Mohamed Chia al-Soudani.
Pour mieux comprendre les enjeux de cette énième crise politique irakienne, France 24 se penche sur les principaux acteurs chiites qui l’animent.
Le leader religieux et nationaliste Moqtada al-Sadr est le fils du très respecté Grand Ayatollah Mohammed Sadek Sadr, champion d’un chiisme militant que Saddam Hussein a fait assassiner en 1999. Fort des 73 sièges remportés lors des dernières législatives, il est le faiseur de roi en Irak.
C’est à ce titre que le chef de l’Armée du Mahdi, la milice ayant combattu les troupes américaines dans les années 2000, entendait, après le scrutin, imposer un “gouvernement majoritaire” et son candidat au poste de Premier ministre, avec ses alliés issus de deux formations sunnites, Azm et Taqadom, et ceux du PDK de Massoud Barzani. En vain.
Se voulant à la fois dans l’opposition, en se présentant comme le pourfendeur de l’establishment, il se trouve en même temps au cœur du pouvoir, formant et défaisant les gouvernements. En raison de son positionnement populiste, il avait réussi à se maintenir comme première force politique du pays lors du dernier scrutin.
Adulé par une solide base militante qui voit en lui le héraut du nationalisme irakien, raillé par ses détracteurs qui pointent ses fréquents revirements politiques, l’imprévisible Moqtada al-Sadr, 48 ans, n’entend pas céder le pouvoir à ses rivaux chiites. Sûr de son fait, il les appelle à accepter la dissolution du Parlement et à le défier une nouvelle fois dans les urnes dans le cadre d’élections anticipées.
Preuve de sa grande capacité à mobiliser les foules, il fait démissionner ses députés en juin, abandonnant à ses adversaires la tâche de former un gouvernement. Il décide ensuite, le 30 juillet, d’envoyer ses partisans envahir le Parlement. Ils l’ont occupé près d’une semaine avant de transférer leur sit-in dans les jardins de l’institution et tout autour pour protester contre la candidature de Mohamed Chia al-Soudani.
Mercredi, il a donné une semaine à la justice pour prononcer une dissolution du Parlement.
Pour résumer en quelques mots l’influence et le pouvoir de Hadi al-Ameri, 68 ans, les experts s’entendent pour dire que la résolution de la crise politique en l’Irak, ou la plongée du pays dans la guerre civile, dépendent de sa volonté, autant que de celle de Moqtada al-Sadr, son grand rival chiite.
L’ancien ministre des Transports, décrit comme l’homme des Iraniens à Bagdad, a vu son destin basculer en 2014. En juin de cette année-là, il est chargé par le Premier ministre Nouri Al-Maliki – sans doute sur ordre de Téhéran – de superviser la bataille contre l’organisation État islamique (EI), dans l’est du pays.
Hadi al-Ameri est alors le chef des brigades Badr, bras armé d’un mouvement politique éponyme pro-Iran. Il voit donc sa milice intégrée de facto dans une puissante organisation paramilitaire, les Forces de mobilisation populaire irakiennes (Hachd al-Chaabi). C’est cette organisation qui, à la faveur de la victoire contre les jihadistes de l’EI, va lui servir, au fil des années, à s’imposer comme un acteur incontournable sur la scène politique irakienne.
Lors des législatives de mai 2018, son Alliance de la Conquête, la vitrine politique du Hachd al-Chaabi qui a entre-temps fait intégrer ses 160 000 combattants aux forces régulières de l’armée irakienne, remporte 48 des 329 sièges de députés du Parlement. Un très bon résultat qui la place au rang de deuxième force politique du Parlement … juste derrière Moqtada al-Sadr.
Après avoir un temps, en juin 2018, fait alliance pour accélérer la formation d’un gouvernement, les deux rivaux s’opposent à nouveau à l’aube des législatives d’octobre 2021.
Mais le Hachd, qu’une partie des Irakiens accusent d’être responsable des assassinats et enlèvements de militants anti-pouvoir s’étant soulevés en octobre 2019, perd la bataille des urnes. L’Alliance de la conquête ne remporte en effet que 17 sièges. Malgré cette lourde défaite, Hadi al-Ameri conteste les résultats, dans la rue et devant la justice. Et refuse, jusqu’aujourd’hui, de céder le pouvoir aux Sadristes.
À 72 ans, l’ancien Premier ministre n’a pas renoncé à prendre sa revanche politique. En 2014, après avoir perdu le soutien de ses alliés iranien et américain et d’une partie des membres de son bloc chiite au Parlement, Nouri al-Maliki avait été contraint de renoncer au pouvoir. Ses nombreux détracteurs l’accusent d’avoir plongé le pays dans le chaos pendant ses huit années de pouvoir. Mais aussi d’avoir d’avoir provoqué la montée en force des jihadistes de l’EI avec sa politique sectaire et autoritaire.
À l’époque, son ennemi historique Moqtada Al-Sadr, qui l’a pourtant aidé en 2006 à accéder au poste de Premier ministre, l’avait même gratifié du sobriquet “nouveau Saddam”.
Éloigné du pouvoir, sans jamais en être vraiment écarté, Nouri al-Maliki reste influent sur la scène chiite grâce à son alliance avec Hadi al-Amiri. Réélu député en 2021, il est l’une des têtes pensantes du Cadre de coordination et l’un des principaux acteurs du bras de fer contre le courant sadriste.
Ancien gouverneur de la province de Missane (sud), élu trois fois député et nommé plusieurs fois ministre (notamment de l’Emploi et des Affaires sociales entre 2014 et 2018), Mohamed Chia al-Soudani est un homme politique chevronné et issu du sérail.
À 52 ans, sa carrière pourrait prendre une nouvelle tournure puisqu’il est le candidat du Cadre de coordination, l’alliance de factions chiites pro-iraniennes qui fait face au camp politique dirigé par Moqtada al-Sadr.
Ironie de l’histoire, Mohamed Chia al-Soudani avait quitté en décembre 2019 la coalition parlementaire de l’ex-Premier ministre Maliki, dont il est un proche, alors que son nom circulait déjà à l’époque pour prendre la tête du gouvernement. En vain, puisque cette idée avait été immédiatement rejetée par le mouvement de contestation populaire.