En Finlande, où le gouvernement jeune et paritaire est dirigé par une femme, la Première ministre se trouve au cœur d’un scandale lié à la diffusion de vidéos privées. Une polémique alimentée par une fraction très conservatrice de la société, incarnée en politique par le Parti des Finlandais, dans un contexte géopolitique sensible lié aux relations tendues avec son voisin russe.
Sanna Marin, Première ministre finlandaise, est au cœur de la polémique depuis que des vidéos la montrant danser lors d’une fête privée avec des amis et des célébrités ont fuité le 17 août dernier sur les réseaux sociaux. Un comportement indigne d’une cheffe de gouvernement, reprochent les uns, principalement issus du camp de l’opposition, quand d’autres agitent des rumeurs sur un prétendu usage de stupéfiants, poussant Sanna Marin a effectuer un dépistage pour se libérer de toute accusation.
Depuis, la controverse n’a pas désenflé. Au contraire, elle a été alimentée, le 23 août, par la diffusion sur TikTok d’une photo prise dans sa résidence officielle. On y voit deux femmes s’embrasser, soulevant leur haut pour laisser apparaître leur poitrine en tenant une pancarte avec l’inscription “Finlande”. Une photographie pour laquelle la plus jeune cheffe de gouvernement d’Europe a dû présenter des excuses. “Je pense que la photo est inappropriée, je m’en excuse”, s’est exprimée Sanna Marin, pour désamorcer la crise. “Elle n’aurait pas dû être prise.”
Depuis sa genèse, l’affaire semble mettre en lumière un paradoxe dans la vie politique finlandaise où malgré un gouvernement paritaire et très jeune, de telles polémiques peuvent voir le jour, alimentées par un parti conservateur souhaitant remettre en cause la légitimité de la Première ministre à gouverner.
Et si cette histoire passionne bien au-delà des frontières de la Finlande, c’est que le pays est déjà au cœur de l’attention internationale, dans le contexte difficile de la guerre en Ukraine.
Un rejet de ce qu’incarne Sanna Marin
Sanna Marin l’avait annoncé : elle voulait “secouer” la fonction de Premier ministre, de par sa jeunesse (aujourd’hui 36 ans) et sa volonté de “vivre comme [mon] âge”, disait-elle à la radio publique finlandaise, en octobre 2021.
Cheffe du gouvernement depuis 2019, celle-ci a toujours revendiqué son droit à la vie privée, ajoutant avoir parfois l’impression que son existence en elle-même représentait “une provocation” pour certains. En effet, depuis le début de sa mandature, on lui reproche ses activités sur les réseaux sociaux, les fêtes organisées dans sa résidence officielle et ses amitiés avec certaines célébrités.
La nouvelle polémique au cœur de laquelle elle se trouve a été alimentée considérablement par le Parti des Finlandais, formation populiste, nationaliste et conservatrice. Ce parti veut “réinventer un roman national en recréant une identité finlandaise fictive, idéale, des temps passés”, explique Cyril Coulet, spécialiste des pays nordiques. Un parti qui rejette donc tout ce que Sanna Marin veut incarner, elle qui, pour se justifier et apaiser la controverse, a défendu publiquement son droit à “la joie” et à “la vie”.
Un droit à la joie revendiqué par la suite par de nombreuses Finlandaises qui, depuis le début de la polémique, apportent leur soutien à la Première ministre finlandaise en postant sur les réseaux sociaux des vidéos accompagnées du hashtag “Solidarity with Sanna”.
“La société n’est pas uniforme, il y a des fractions conservatrices et des plus modernes”, affirme Cyril Coulet. Selon lui, Sanna Marin a bâti sa communication politique sur son positionnement et son histoire personnelle hors du cadre. “Élevée par deux femmes, elle est de toute façon issue d’une famille non traditionnelle en dehors des attentes conservatrices d’une partie de la société finlandaise”.
Puissance de diffusion démultipliée
Pour vivre heureux (et tranquilles), vivons cachés. Les réseaux sociaux, plus utilisés que jamais, s’imposent comme un vecteur de “décloisonnement de la vie publique et de la vie privée”, explique Cyril Coulet. Si les vidéos et photos de la discorde n’avaient pas été diffusées sur les réseaux sociaux, une telle polémique n’aurait pas vu le jour.
“En Finlande, on est dans une société très numérisée dans laquelle les outils d’information et de télécommunications sont extrêmement répandus et diffusés, ce qui donne une puissance de diffusion démultipliée par rapport à d’autres sociétés”, développe le spécialiste des pays nordiques.
Selon lui, cela dit clairement quelque chose de la société finlandaise actuelle. Il y a “une tension entre une fraction conservatrice nostalgique d’un passé idéalisé, et un pays qui s’est extrêmement modernisé, qui se présente comme étant ‘à la pointe’ sur des sujets comme l’égalité femmes-hommes et les nouvelles technologies”, développe-t-il.
Face aux tentatives du Parti des Finlandais – précédemment dénommé Parti des vrais Finlandais – pour la faire trébucher, Sanna Marin adopte “une contre-communication visant à rester sur une image plus dynamique et plus moderne de la politique, qui veut bousculer la Finlande”, poursuit Cyril Coulet, ancien chercheur à l’Institut suédois de relations internationales.
Tout ceci dans un contexte où Helsinki se retrouve sous les feux des projecteurs, attirant l’attention de par sa proximité géographique avec la Russie et son nouveau positionnement vis-à-vis de Moscou : en rupture avec la position traditionnelle d’équilibre qu’elle adoptait jusqu’ici.
“Des ingrédients qui permettent à un événement de ce type de prendre une dimension qu’il n’aurait pas pris autrement”, résume Cyril Coulet.
Au cœur de l’attention internationale
Si, pour Cyril Coulet, le fait que Sanna Marin soit femme (et jeune) influence sûrement le traitement qui lui est accordé, le contexte de tensions internationales dans lequel la Finlande se trouve tient également un rôle prépondérant.
Conséquence directe de la guerre en Ukraine, la Finlande cherche désormais à intégrer l’Otan, rompant avec des décennies de neutralité. Or, les processus de ratification de son adhésion à l’alliance atlantique ne sont toujours pas finalisés.
“Les choses ne vont pas se décanter tout de suite et la Finlande va continuer à être exposée”, ajoute Cyril Coulet, évoquant de probables blocages exercés par la Turquie.
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La Russie, considérant l’inclusion dans l’Otan de la Finlande (avec laquelle elle partage 1 340 kilomètres de frontière) comme une menace pour la sécurité nationale russe, a plusieurs fois affirmé que les sollicitations répétées de l’Otan pour que la Finlande et la Suède rejoignent l’alliance militaire auraient des conséquences politiques et militaristes majeures qui menaceraient la stabilité régionale des pays nordiques.
“La demande d’adhésion à l’Otan et la position de la Finlande vis-à-vis de la Russie peuvent surajouter à l’impression de vulnérabilité du pays”, conclue Cyril Coulet, “et augmenter la pression que l’on fait peser sur la Première ministre et l’exigence d’exemplarité qu’une partie des formations politiques lui adressent”.