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Cépages oubliés, nouvelles pratiques : le vignoble français s’adapte au réchauffement climatique

Dans les vignes françaises, l’année 2022 est difficile. Après des gelées tardives, de la grêle, il faut faire face aux canicules à répétition et à une sécheresse historique. Des aléas météorologiques qui deviendront de plus en plus fréquents sous l’effet du réchauffement climatique. Face à cette réalité, la filière tente de s’adapter : réhabiliter des cépages oubliés, relocaliser les vignobles, modifier leur structure… plusieurs solutions émergent. 

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Dans le Languedoc-Roussillon, quelques vignerons ont lancé la période des vendanges dès fin juillet. Quelques jours plus tard, début août, d’autres mettaient les premiers coups de sécateur en Haute-Corse, une à trois semaines plus tôt qu’à l’habitude. À l’image de ces dernières années, les vendanges 2022 s’annoncent une nouvelle fois précoces. En cause : les températures caniculaires et la sécheresse historique de l’été

“Le millésime 2022 s’annonce compliqué pour le vin français”, déplore Laurent Audeguin, de l’Institut français de la vigne et du vin (IFV). “Avec la chaleur, le raisin brûle et mûrit trop tôt dans la plupart des régions. Les arômes n’ont pas le temps de se développer”, détaille le spécialiste. “La hausse des températures fait aussi baisser l’acidité du vin et augmente le taux d’alcool. Concrètement, c’est tout l’équilibre qui se retrouve perturbé.”

La sécheresse vient encore aggraver la situation. Normalement, la vigne est résistante et capable de puiser de l’eau avec ses racines profondes. Mais cette année, dans plusieurs régions viticoles, notamment du sud de la France, les nappes phréatiques sont totalement asséchées. Sans eau, la vigne perd ses feuilles et ses raisins ne peuvent plus grossir. “Non seulement la qualité est altérée, mais on peut aussi s’inquiéter pour la production”, résume Laurent Audeguin. “Dans les domaines où les vendanges n’ont pas démarré, on attend donc avec espoir quelques gouttes de pluie pour sauver la situation.”

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L’année 2022, un scénario voué à se répéter 

Dans le milieu viticole, on s’attend à ce qu’une année comme celle-ci devienne la norme. “Depuis 2010, des aléas climatiques viennent systématiquement affecter la production du vin. Cette fois, on a eu le gel de printemps, les grêles, puis ces canicules et la sécheresse”, détaille Nathalie Ollat, chercheuse à l’Inrae, spécialiste de la vigne. Pour elle, le constat est sans appel : “On est devant une illustration des conséquences du réchauffement climatique.”

L’année 2021 avait déjà été catastrophique. Une vague de chaleur printanière, suivie d’un épisode de gel, avait détruit une grande partie des productions. Des pluies abondantes avaient ensuite fait proliférer des maladies comme le mildiou et l’oïdium. Avant, 2020 avait été marquée par des records de précocité, conséquence d’un printemps historiquement chaud.

“On est devant des scénarios appelés à se répéter”, poursuit Nathalie Ollat. “Aujourd’hui, je ne connais pas un viticulteur qui soit climatosceptique. Ils vivent le réchauffement climatique au quotidien”, abonde Laurent Audeguin. Preuve en est : en trente ans, la date des vendanges a avancé de près de trois semaines.

L’avenir dans les cépages oubliés ? 

Face à ce constat, la filière viticole tente de s’adapter. En août 2021, elle a mis en place une stratégie nationale pour sauvegarder les vignobles et leurs appellations. Depuis, les changements se font par petites touches. Et l’enjeu est majeur : en 2021, les exportations de vins et de spiritueux ont pesé 15,5 milliards d’euros dans la balance commerciale française. 

“Il faut tout miser sur la diversité des cépages”, affirme Nathalie Ollat, qui travaille sur l’impact du réchauffement climatique sur les vignobles depuis une dizaine d’années. “Aujourd’hui, la France recense environ 400 cépages, mais elle en utilise à peine un tiers. La grande majorité ont été oubliés, jugés à un moment donné pas assez rentables”, explique-t-elle. 

Parmi ces cépages tombés dans les méandres de l’Histoire, certains pourraient cependant être mieux adaptés aux conditions météorologiques des années à venir. “Certains, notamment issus de milieu montagnard, ont des maturations plus tardives et semblent particulièrement tolérants à la sécheresse. Ils peuvent se révéler particulièrement intéressants.”

En Isère, Nicolas Gonnin s’est spécialisé dans ces cépages oubliés. Lorsqu’il a repris la petite exploitation familiale, en 2005, il a décidé d’arracher les plants de pinot noir et de chardonnay installés par ses grands-parents dans les années 1970 pour y planter uniquement des cépages locaux aux noms inconnus du grand public : jacquère, mondeuse noire, persan, verdesse, viognier… 

Pour le vigneron et œnologue, l’avantage est double : “Cela permet de renouer avec un patrimoine local et de produire des vins avec une vraie identité”, explique-t-il. “Et pour lutter contre les aléas climatiques, il faut tout miser sur la diversité. Les anciens l’avaient bien compris et avaient une multitude de cépages, aux caractéristiques différentes, sur leurs terres. De cette façon, on s’assure de pouvoir maintenir une production malgré le gel, la sécheresse, les canicules…” 

Lorsque le vigneron n’est pas auprès de son raisin, il travaille aux côtés du Centre d’ampélographie alpine Pierre Galet (CAAPG), dont il est vice-président. Installée en Savoie, cette association d’étude de la vigne s’est donné pour mission de réhabiliter ces cépages anciens alpins. Jusqu’à présent, elle a réussi à en réinscrire 17 au catalogue national, étape nécessaire pour pouvoir les cultiver de nouveau.

“L’autre solution serait d’aller chercher des cépages à l’étranger, notamment en Méditerranée”, poursuit Nathalie Ollat. “À Bordeaux, dès 2009, a été mis en place un vignoble expérimental, avec 52 cépages provenant de France et de l’étranger, notamment d’Espagne et du Portugal, pour évaluer leur potentiel. C’est très prometteur.”

Troisième option : des cépages hybrides, modifiés génétiquement en laboratoire pour mieux résister à la sécheresse ou au gel. “Si ces croisements sont étudiés dans le cadre de la lutte contre les maladies, cette option reste peu étudiée”, notamment en raison des coûts engendrés, note la spécialiste.

“Le paysage vinicole va profondément changer”

Ailleurs, des viticulteurs ont décidé de modifier leurs pratiques à leur échelle. La liste des expérimentations est longue : certains modifient la densité de leurs parcelles pour être moins demandeurs en eau, d’autres réfléchissent à assainir des eaux usées pour alimenter des systèmes d’irrigation. Plusieurs viticulteurs tentent, de leur côté, de planter des arbres pour protéger les vignes… “On a aussi un exemple d’exploitation où on a installé des panneaux photovoltaïques au-dessus de vignes, de façon à les maintenir à l’ombre tout en produisant de l’électricité”, note Nathalie Ollat. 

Et si la solution se trouvait dans une réorganisation de l’espace vinicole ? “Les vignerons peuvent envisager de relocaliser leurs plantations, en relief, par exemple”, propose Nathalie Ollat. “Avec le réchauffement climatique, certains territoires vont devenir plus propices à la culture de la vigne”, affirme Laurent Audeguin. “Aujourd’hui, on voit déjà des initiatives personnelles, à petite échelle, émerger en Bretagne ou dans les Hauts-de-France, par exemple. Si les financements suivent, cela pourrait être prometteur dans les années à venir.” Et de préciser : “Cela ne veut pas dire qu’on fera du Bordeaux à Brest, mais que de nouveaux vins pourraient naître.”

“Le paysage vinicole va profondément changer d’ici 2050. Et cela dépendra des résultats des expérimentations qui sont aujourd’hui testées sur l’ensemble du territoire”, conclut Nathalie Ollat. “Dans le Sud, on aura peut-être des vignobles irrigués, d’autres disparus, ou un retour à des cépages ancestraux. Peut-être que les vins de Bourgogne, qui n’utilisent aujourd’hui qu’un cépage, seront alors composés de plusieurs. Et peut-être que nous aurons de tout nouveaux vignobles sur de nouveaux territoires.”

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