Dans une lettre publiée mardi dans Vogue, la légende Serena Williams, qui a remporté 23 Grands Chelems, a annoncé sa retraite prochaine après 25 ans de carrière. Une page se tourne pour le monde du tennis avec le départ de cette icône qui aura inspiré les nouvelles générations par sa domination sur les courts et ses prises de position féministes et antiracistes.
“Le compte à rebours est enclenché.” C’est par ces mots, mystérieux mais sans ambiguïté, que Serena Williams, légende du tennis mondial, a annoncé mardi 9 août sa retraite prochaine à l’âge de 41 ans.
Disant vouloir “savourer les prochaines semaines”, elle explique sa décision : “Je veux me concentrer sur mon rôle de maman, mes objectifs sur le plan spirituel, pour découvrir une nouvelle mais tout aussi passionnante Serena.”
Jamais la date de sa retraite n’est clairement annoncée dans la longue lettre introspective de Serena Williams publiée dans Vogue mais tous les signes pointent vers un baroud d’honneur à l’US Open, un dernier Majeur de la saison à domicile qui est aussi le lieu de sa première victoire en Grand Chelem en 1999. Depuis, elle en a ajouté 22 autres à son palmarès, à une seule marche du record de Margaret Court.
“Malheureusement, je n’étais pas prête à gagner Wimbledon cette année. Et je ne sais pas si je serai prête à gagner à New York. Mais je vais essayer”, assure-t-elle. “Je sais qu’il y a un fantasme des fans selon lequel j’aurais pu égaler Margaret” cette année à Wimbledon “puis peut-être battre son record à New York, puis lors de la cérémonie de remise des trophées, dire ‘À plus !’ Je comprends, c’est un beau rêve ! Mais je ne cherche pas une cérémonie, ni un dernier moment sur le terrain. Je suis nulle pour les adieux, la pire au monde.”
Richard, Venus et Serena, la saga Williams
Aux origines de la saga Williams, il y a le père, Richard. Des années avant la naissance de ses filles Venus et Serena, il découvre la somme que remporte une gagnante de Roland-Garros : 40 000 dollars. Un montant fou pour un Afro-Américain à faibles revenus vivant dans le quartier gangréné par la violence de Compton, près de Los Angeles. Il décide que ses enfants seront champions ou championnes de tennis.
Venus Williams naît en 1980, Serena Williams, l’année suivante. Dès l’âge de quatre ans, elles supportent un entraînement draconien, improvisé par leur père, qui n’a pourtant jamais tenu une raquette de sa vie. Le film “La Méthode Williams”, sorti en France le 1er décembre 2021, revient sur cette atypique début de carrière.
Au départ moins douée que sa sœur, Serena Williams observe minutieusement les matches de son aînée, travaillant d’arrache-pied pour éviter de reproduire les même erreurs. Elle rejoint en 1997 le circuit professionnel, où elle détonne en raison de son physique impressionnant. Elle accède au sommet après son impressionnante victoire à l’US Open en 1999 à seulement 17 ans, tandis qu’elle s’adjuge également, avec sa sœur, le tournoi en double. L’année suivante, elles récidivent en remportant l’or aux JO de Sydney. Au total, elles gagneront ensemble 14 titres de Grand Chelem en double, la meilleure paire de l’Histoire, hommes et femmes confondus.
En 2002, Serena Williams remporte Roland-Garros, l’US Open et Wimbledon en battant à chaque fois sa sœur en finale. Puis, en 2003, en gagnant l’Open d’Australie, toujours face à sa sœur, elle devient la neuvième femme de l’Histoire à conquérir les quatre tournois du Grand Chelem. C’est le début d’une longue domination dans le tennis féminin. Serena Williams remporte 73 titres dont 23 Grands Chelems en simple.
Elle est ainsi la cinquième joueuse de l’Histoire à remporter les quatre tournois du Grand Chelem en simple et en double, et la première à remporter les quatre tournois du Grand Chelem et l’or olympique en carrière en simple et en double.
Ses atouts ? Son service, frappé parfois à plus de 200 km/h, et son coup droit. Sa confiance aussi. Serena Williams est persuadée que, quand elle joue son meilleur tennis, personne ne peut la battre. Un exploit montre la force de son mental : elle a remporté trois tournois du Grand Chelem en ayant sauvé une balle de match en finale.
L’éternel rebond
La carrière de Serena Williams n’a toutefois rien d’un long fleuve tranquille. En 2001, au tournoi américain d’Indian Wells, alors qu’elle doit affronter sa sœur en demi-finale, cette dernière déclare forfait, déclenchant la colère du public, qui accuse le père des deux joueuses d’une manipulation au profit de la benjamine. Serena Williams est huée en finale. Le clan Williams accuse le public de racisme et boycotte le tournoi jusqu’en 2015.
En 2003-2004, elle est absente huit mois après une opération du genou. Même si elle n’a alors que 21 ans, on doute qu’elle rejoue au tennis, Serena Williams semblant accaparée par d’autres centres d’intérêt, la mode ou la télévision. En 2010, elle se taillade les pieds en marchant sur du verre brisé, puis en mars 2011, une embolie pulmonaire lui coûte quasiment la vie.
Ses différents déboires – et surtout la tragédie qui frappe sa famille en septembre 2003 lorsque sa demi-soeur Yetunde est tuée par balle à Los Angeles – la rendent finalement plus humaine aux yeux du public, dont une partie est fatiguée de la voir gagner. Quelques mois avant le drame, elle est sifflée à Roland-Garros, elle qui a pourtant toujours dit son amour de Paris, où elle possède un appartement. Ses détracteurs n’imaginent pas que dix ans plus tard, entraînée par le Français Patrick Mouratoglou, elle s’exprimerait dans la langue de Molière sur le court central.
Une sportive engagée
En parallèle de sa carrière sportive, elle devient femme d’affaires et n’hésite pas à prendre position pour défendre les droits des femmes et ceux de la communauté noire. En 2014, elle lance le fonds d’investissement Serena Ventures, qui a pour mission de “donner des opportunités aux entrepreneurs de nombreux secteurs”. En 2017, elle publie une tribune appelant à lutter contre les inégalités salariales, qu’elles soient entre les hommes et les femmes, ou entre les Blancs et les Noirs.
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Elle s’engage aussi aux côtés du mouvement Black Lives Matter. Elle se présente également à Roland-Garros en mars 2018 dans une combinaison intégrale noire avec un parement rouge, inspirée du film “Black Panther” mettant en scène le héros éponyme de Marvel. Une tenue qui défraie la chronique, le président de l’époque de la Fédération française de tennis (FFT), Bernard Giudicelli, la jugeant inappropriée. L’équipementier Nike publie alors une photo de la joueuse avec la légende suivante : “Vous pouvez retirer son costume à une super-héroïne, mais vous ne pouvez pas lui enlever ses super-pouvoirs.”
Elle aura aussi contribué à normaliser la maternité dans la carrière sportive des femmes. Elle remporte son dernier tournoi du Grand Chelem à l’Open d’Australie 2017 alors qu’elle est enceinte de deux mois. Et alors que certains auraient pu voir dans la naissance de son premier enfant, après une grossesse et un accouchement compliqués, un signe de retraite anticipée, la cadette des Williams revient. Utilisant sa fille Olympia comme une motivation supplémentaire, elle reprend le chemin des courts et retrouve son niveau, disputant quatre nouvelles finales de Grand Chelem.
“Au niveau de Michael Jordan”
“Elle doit faire ce qu’elle veut. Elle le mérite, après tout ce qu’elle a accompli”, a réagi, à l’annonce de la retraite de la joueuse, John McEnroe, l’ancien champion américain, qui a pourtant eu des mots très durs par le passé envers Serena Williams. “Elle n’a plus besoin de jouer au tennis. Elle est au niveau de Michael Jordan, LeBron James et Tom Brady. Elle est l’une des plus grandes sportives de l’Histoire, tous sports confondus, hommes ou femmes”, a-t-il ajouté.
Signe de son impact sur le sport, le tennis américain est déjà à la recherche de “la nouvelle Serena Williams”. Parmi les deux prétendantes à cette couronne honorifique, “Coco” Gauff, numéro 11 mondiale à 18 ans, et Emma Raducanu numéro 10 mondiale et tenante du titre à l’US Open à 19 ans.
“Elle a clairement révolutionné le jeu. Dominer à ce point… Il n’y a personne d’autre à avoir dominé à ce point dans le tennis féminin. (…) Sa carrière est incroyable. Elle a tellement accompli. (…) Cette longévité, c’est quelque chose que beaucoup de joueuses, moi en particulier, espèrent réaliser”, a déclaré cette dernière.
“L’empreinte qu’elle laisse par sa carrière est quelque chose qu’aucune autre joueuse ne peut probablement espérer atteindre. C’est quelque chose qui peut inspirer encore bien des générations. (…) J’ai grandi en la regardant jouer, elle est la raison pour laquelle je joue au tennis”, témoigne pour sa part Cori Gauff. “Je suis un peu triste parce que j’ai toujours voulu jouer contre elle.”
Peut-être en aura-t-elle l’occasion à l’US Open pour un passage de flambeau.