En déclenchant une “attaque préventive” contre le Jihad islamique à Gaza, le Premier ministre israélien est parvenu à éliminer plusieurs dirigeants du groupe armé palestinien sans susciter un embrasement de la région. Une opération dont l’impact reste cependant limité, aussi bien sur le plan militaire que politique, selon plusieurs observateurs.
“Nous ferons tout ce qu’il faut pour défendre notre peuple.” Vendredi 5 août, le Premier ministre israélien Yaïr Lapid annonçait le déclenchement d’une opération militaire contre le groupe armé palestinien Jihad islamique, accusé de planifier des attaques contre l’État hébreu.
Après trois jours d’hostilités qui ont couté la vie à plusieurs dizaines de Palestiniens dont des civils, des combattants et deux dirigeants du groupe islamiste à Gaza, les deux parties ont signé dimanche soir une trêve, qui a permis la réouverture, lundi, des points de passage vers l’enclave palestinienne.
Cette opération est la première offensive militaire d’envergure du Premier ministre israélien Yaïr Lapid, qui a succédé en juin à Naftali Bennett à la tête du gouvernement. Une “attaque préventive” qui intervient dans un contexte particulier, en pleine campagne électorale, à trois mois des élections législatives.
Yaïr Lapid, le chef de guerre
L’opération militaire contre le Jihad Islamique faisait office de baptême du feu pour Yaïr Lapid, ancien journaliste, parfois critiqué pour son manque d’expérience sur la question sécuritaire.
Une offensive au cours de laquelle Israël a tué deux des principaux chefs militaires du groupe à Gaza, Tayssir al-Jabari et Khaled Mansour, et détruit une cellule qui “préparait une attaque de missiles antichar contre Israël“, selon les mots du Premier ministre.
Dans le même temps, les forces israéliennes ont mené des opérations en Cisjordanie, territoire occupé depuis 1967 par l’État hébreu, au cours desquelles 19 membres du Jihad islamique ont été arrêtés.
Autre fait notable, cette opération éclair, qui n’a généré aucune perte humaine côté israélien, n’a pas suscité de réponse militaire du mouvement islamiste Hamas, malgré les frappes israéliennes sur l’enclave qu’il contrôle.
“Avec cette opération, il s’agissait pour Yaïr Lapid de frapper le Jihad islamique de manière globale, à Jénine, en Cisjordanie, et surtout à Gaza, qui constitue son encrage principal”, souligne Jean-Paul Chagnollaud, président de l’Institut de recherche et d’études Méditerranée Moyen-Orient (iReMMO). “Le Premier ministre pensait que le Hamas ne bougerait pas. Force est de constater que son pari a fonctionné.”
Lors du dernier conflit entre Israël et le Hamas en mai 2021, 260 Palestiniens et 14 Israéliens sont morts en onze jours d’hostilités. Quelques mois plus tard, Yaïr Lapid, alors ministre des Affaires étrangères, a proposé un plan visant à “améliorer” les conditions de vie des Palestiniens dans la bande de Gaza, en échange d’un engagement au “calme” du mouvement contrôlant l’enclave. Depuis, le gouvernement israélien a annoncé l’augmentation du nombre de permis d’entrée en Israël pour les Palestiniens de Gaza.
“Le Hamas a bien conscience que la dernière guerre contre Israël n’a pas permis d’avancée sur le terrain pour Gaza”, analyse Hugh Lovatt, coordinateur au think tank European Council on Foreign Relation à Londres. “La situation actuelle d’accalmie en échange d’un relâchement des restrictions israéliennes est loin d’être satisfaisante au vu de la situation désespérée de la population de Gaza. Mais pour le Hamas, elle reste préférable à la guerre, à condition que ces allègements des restrictions continuent.”
Une victoire militaire en trompe-l’œil ?
Dimanche, Yaïr Lapid a adressé ses remerciements aux forces israéliennes, qualifiant l’opération de “réussite extraordinaire”.
Le ministre de la Défense, Benny Gantz, avait pour sa part promis de continuer les opérations jusqu’à “l’élimination des menaces” qui pèsent sur la zone israélienne adjacente à la bande de Gaza.
Pour Vincent Lemire, historien et directeur du Centre de recherche français à Jérusalem (CRFJ), Israël a bien remporté une bataille contre le Jihad islamique, mais pas la guerre.
“C’est un mouvement non pyramidal : à la différence du Hamas, il est constitué de cellules autonomes, séparées”, explique-t-il. “Il est peu probable que le Jihad islamique s’arrête après cette offensive puisqu’il est conçu pour pouvoir continuer de fonctionner même lorsque ses chefs sont neutralisés.”
En acceptant un cessez-le-feu, le groupe armé palestinien espère, pour sa part, obtenir la libération de plusieurs de ses chefs détenus par Israël. Selon lui, des négociations en ce sens doivent avoir lieu entre l’Égypte et l’État hébreu.
Impact politique incertain
L’opération éclair de Yaïr Lapid intervient dans un contexte de crise politique en Israël. Le 30 juin dernier, Naftali Bennett, alors Premier ministre, avait été contraint de jeter l’éponge, son bloc politique étant devenu minoritaire après avoir perdu le soutien de l’un de ses membres.
Conformément à l’accord de coalition entre les deux hommes, Yaïr Lapid lui a succédé, avec en ligne de mire les législatives de novembre lors desquelles il espère battre la coalition dirigée par l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Pour Vincent Lemire, il ne fait aucun doute que la guerre contre le Jihad islamique a permis à l’actuel chef de gouvernement de marquer des points contre son adversaire.
“En frappant le Jihad islamique, Yaïr Lapid frappe l’Iran, qui le finance. C’est important sur le plan intérieur car l’Iran est la bête noire de Netanyahu. (…) Cette guerre lui a également donné l’occasion de se distinguer de son rival sur le plan de la communication, qu’il maîtrise parfaitement.”
Israël a ainsi publié plusieurs vidéos visant à montrer comment l’armée évite de frapper des civils. Les forces israéliennes ont également diffusé les images d’un tir raté depuis Gaza, affirmant que celui-ci avait causé la mort de plusieurs Palestiniens. Le ministère de la Santé à Gaza a communiqué un bilan de 46 Palestiniens tués, dont 16 enfants, et 360 autres blessés.
Watch this failed rocket launch which killed children in Gaza.
This barrage of rockets was fired by the Islamic Jihad terrorist organization in Gaza last night.
The rocket in the red circle misfired, killing Palestinian civilians—including children—in Jabaliya in northern Gaza. pic.twitter.com/55zSU3fsRY
— Israel Defense Forces (@IDF) August 7, 2022
S’il reconnaît un bénéfice pour l’image de Yaïr Lapid, Jean-Paul Chagnollaud estime quant à lui que l’impact politique de la guerre doit être largement relativisé.
“Les derniers sondages donnent les coalitions de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahou et de Yaïr Lapid au coude-à-coude. Dans ce contexte, il est impossible de prévoir ce qu’il peut se passer dans trois mois. Yaïr Lapid est à la tête d’une coalition très hétéroclite qui inclut des gens de gauche comme des gens favorables à l’annexion de la Cisjordanie, ce qui empêche la mise en place d’un réel projet politique. À mon sens, l’opération militaire contre le Jihad islamique est une tactique de très court terme peu efficace, aussi bien sur le plan politique que militaire”, souligne le spécialiste du conflit israélo-palestinien, déplorant l’absence de stratégie pour une paix durable.
“Tant que de réelles négociations n’auront pas lieu, aucune opération militaire ne permettra de garantir la sécurité d’Israël. Dans cette guerre, il n’y a pas de gagnant, ni politique, ni militaire, juste un perdant, toujours le même, le peuple palestinien.”
Alors que la situation demeurait calme mardi à Gaza, un nouveau raid israélien a eu lieu à Naplouse en Cisjordanie, tuant trois palestiniens dont un haut cadre du mouvement Fatah, soupçonné par l’État hébreu d’avoir mené des attaques anti-israéliennes.