Depuis la révocation de l’arrêt Roe v. Wade aux États-Unis, de nombreuses vidéos sur TikTok proposent d’“aller camper” ou encore “de faire une excursion” dans un autre État : un message codé pour dire qu’on est prêt à aider personnes qui cherchent à avorter. Utiliser ces termes, mais aussi proposer son aide de façon spontanée en ligne ne sont pas forcément de bonnes idées selon notre Observatrice, qui travaille dans une association de défense au droit à l’avortement.
“C’est toujours légal d’aller faire du camping en Virginie, si tu as besoin, je peux t’aider.” Depuis la révocation de l’arrêt Roe v. Wade le 24 juin dernier, les messages du genre s’accumulent sur TikTok. Il n’est en réalité guère question de “camping” mais bien de proposer son aide aux personnes cherchant à avorter sans éveiller les soupçons, à l’heure où le droit à l’IVG est supprimé ou menacé dans plusieurs États américains.
Sur TikTok, on compte de nombreuses vidéos construites de la même façon : une personne regarde la caméra en silence, tandis qu’un texte indique qu’elle est prête à aider ceux qui veulent “aller camper”, “aller voir leur famille” ou encore “apprendre à tricoter” dans un État ou un pays voisin, notamment le Canada.
Les vidéos sont accompagnées de la chanson “Paris” du groupe The Chainsmokers, et se terminent sur ces paroles : “Si on tombe, on tombe ensemble” (“If we go down, we go down together”). La chanson est devenue un véritable hymne de solidarité chez les défenseurs du droit à l’avortement sur le réseau social.
Cet élan de solidarité en ligne est tel que sur les réseaux sociaux, “aller camper” est devenu un véritable synonyme d’”avorter”. Le message s’adresse surtout aux personnes qui habitent dans des États où l’avortement est interdit ou s’apprête à l’être.
@anxiousandfabulous ✨Discover PARIS✨ safely #ifwegodownthenwegodowntogether ♬ What would you do – Bitch
Le mouvement de solidarité a dépassé les frontières de l’Amérique du Nord. Des gens ont proposé de l’aide depuis l’Australie, l’Europe etc, en solidarité également à d’autres pays voisins où l’avortement est interdit. Ce TikTok filmé en France propose ainsi d’aider les Polonaises qui souhaitent avorter.
Néanmoins, de nombreuses personnes qui travaillent dans le secteur de l’avortement ou dans les associations de défense du droit à l’avortement aux États-Unis ont alerté sur l’utilisation de ce langage codé.
“Les personnes qui cherchent de l’aide pour avorter peuvent passer à côté du message”
Max Carwile fait partie du “ Abortion Access Fund” une association qui se bat pour le droit à l’avortement à l’échelle nationale. Elle vit dans le Tennessee, un État qui s’apprête à inscrire l’interdiction d’avorter dans la loi. Selon elle, le langage codé développé sur TikTok n’est pas une bonne solution si on veut vraiment aider quelqu’un à avorter.
La majorité des gens qui utilisent ce langage codé font ça pour aider, et pensent que les personnes opposées à l’avortement ne vont pas trouver ces publications. Mais c’est tellement devenu commun que les gens qui suivent cette question-là savent très bien ce que veut dire “aller camper”.
Mais les personnes qui cherchent de l’aide pour avorter ne connaissent pas forcément ce langage associé aux milieux pro-avortement. Elles ne comprendront donc pas forcément ce que ça veut dire et peuvent donc facilement passer à côté du message.
Ces messages peuvent néanmoins permettre d’encourager les personnes qui connaissent ces codes. Mais je pense que c’est important d’utiliser le bon terme “avortement”, parce que ça permet de le “dé-stigmatiser”.
Ceux qui utilisent ce “langage codé” mettent la charrue avant les bœufs, et anticipent que cela va devenir dangereux d’utiliser le bon terme. Pour l’instant, légalement parlant, il ne peut rien vous arriver pour proposer de l’aide à quelqu’un pour avorter.
Néanmoins, dans plusieurs États, notamment le Texas, cela pourrait bientôt l’être. Mais dans ce cas de figure, le risque, ce serait de dire “j’ai conduit une personne qui voulait avorter en dehors du Texas” et pas simplement de proposer son aide.
Je pense que c’est ce qu’il faut faire pour que ce genre de loi ne rentre jamais en application.
Au Texas, des membres du parlement ont évoqué la possibilité de criminaliser toute personne qui “fournit les moyens” d’un avortement et de mettre en place des lois pour poursuivre toute personne qui apporte une aide financière à l’avortement d’un Texan. On trouve des projets de loi similaires en Arkansas et dans le Missouri.
“On ne sait pas toujours qui se cache derrière les publications”
Pour aider les gens à “aller camper” des Tiktokeurs américains et canadiens vont jusqu’à proposer en ligne un logement ou de l’argent pour payer le voyage aux personnes qui voudraient avorter dans un autre État.
Dans le même esprit, de nombreux groupes sont nés sur d’autres réseaux sociaux pour organiser cette aide spontanée, comme le “auntie network” (le “réseau des taties”) sur Reddit et Facebook. Max Carwile poursuit :
Ce langage codé crée une zone floue et on ne sait pas qui se cache derrière. Les personnes qui proposent leur aide peuvent très bien mentir sur leurs intentions. C’est le même problème que [pour les réseaux de solidarité en ligne qui naissent depuis fin juin.] Je suis heureuse de voir cette solidarité, mais on n’a pas de certitude totale sur le profil de certaines personnes en ligne , il y a un risque que certaines veuillent tenter de piéger les personnes qui souhaitent avorter plutôt que d’aider. Des personnes contre l’avortement peuvent par exemple utiliser ces réseaux pour atteindre celles qui veulent avorter.
>> LIRE SUR LE SITE DES OBSERVATEURS : Comment les “fausses cliniques” piègent les femmes qui veulent avorter
“La plupart de ces personnes pensent sincèrement aider”
Pour de nombreux professionnels du secteur, le manque d’expérience des personnes qui souhaitent apporter leur aide sur les réseaux peut également poser un problème, et dans certains cas mettre les personnes souhaitant avorter en danger. Les professionnels du secteur alertent par exemple depuis quelques semaines sur le succès de vidéos TikTok proposant des remèdes à base de plante médicinale pour avorter. Tout comme notre Observatrice Max Carwile :
Ces remèdes [qu’on trouve sur TikTok] ne sont pas médicalement sûrs. Ce qu’il faut faire, c’est plutôt conseiller et défendre la possibilité de prendre des pilules abortives, qu’il est possible de se faire prescrire à distance. [ la prescription et l’envoie de pilule abortive à distance constitue une zone grise aux États-Unis : NDLR]
Depuis la révocation de Roe v. Wade, les gens [qui veulent avorter] ont peur, donc ils prennent toute l’aide qu’ils trouvent. Et ceux qui veulent aider de leur côté offrent toute l’aide qu’ils jugent bonne. Et je pense que la plupart de ces personnes croient sincèrement aider.
Mais ce ne sont pas des professionnels. Pour aider à son échelle, il vaut mieux se rapprocher d’une structure qui a de l’expérience pour aider les gens à avorter, qui est au fait des questions de sécurité et de protection de vie privée, et qui connaît la loi.