Les températures extrêmes enregistrées en Europe ces dernières semaines ont eu pour conséquence une augmentation de la vitesse de fonte des manteaux neigeux dans les glaciers alpins. Aujourd’hui, les conséquences y sont bien visibles, comme c’est le cas en bien d’autres points du globe.
La Terre se réchauffe, et ses glaces fondent. Depuis des années, les images d’ours polaires face à la décrépitude de leur environnement nous mettent en garde : la fonte des glaces menace. Augmentation du niveau de la mer, déplacement des frontières, effondrements rocheux, crues… Ses conséquences sont d’ores et déjà visibles, et nul besoin d’aller jusqu’en Antarctique pour le constater.
En Europe, ces dernières semaines, les températures extrêmes ont eu pour conséquence une fonte des manteaux neigeux plus rapide et plus précoce dans les glaciers alpins, qui s’acheminent vers une fonte estivale sans précédent depuis le début du suivi, il y a 60 ans, selon des données consultées par l’agence Reuters et les témoignages de chercheurs.
Au Pakistan, aux portes de l’Himalaya, ou encore en Alaska, les signes que la fonte des glaces s’accélère sont partout. Et les catastrophes de plus en plus fréquentes.
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Infiltrations d’eau et effondrements rocheux
Après un hiver peu neigeux, les Alpes ont déjà connu deux vagues de chaleur précoces en juin et en juillet. Lors de la dernière en date, l’isotherme 0 °C (ligne fictive au niveau de laquelle la température est nulle) s’est établi à 5 184 mètres d’altitude en Suisse – soit plus haut que le sommet du mont Blanc – alors qu’il se situe normalement entre 3 000 et 3 500 mètres en été.
Si la fonte des glaciers constitue une menace à l’échelle mondiale en raison du réchauffement climatique, ceux des Alpes sont particulièrement vulnérables, en raison de leur plus petite taille et de leur moindre épaisseur.
Le 3 juillet dernier, le glacier italien de la Marmolada – point culminant des Dolomites, et l’une des voies de randonnée les plus prisées d’Italie – s’est effondré au niveau de l’une des cimes du massif, la Punta Rocca, située à 3 309 mètres d’altitude. Les températures exceptionnellement élevées de ces dernières semaines ont contribué à accélérer la fonte du permafrost, “ciment” de la montagne. Au moins deux cordées se trouvaient sur le glacier au moment de l’effondrement. Bilan : onze morts.
En France, le Laboratoire de glaciologie surveille de près un nombre important de glaciers. “Beaucoup de langues glaciaires ne présentent pas de caractéristiques d’effondrement imminent, mais beaucoup d’eau transite sur les glaciers en raison des fontes estivales”, expliquait sur BFMTV Sylvain Coutterand, géomorphologue et glaciologue, auteur de l'”Atlas des glaciers disparus” (éd. Paulsen). “Les langues glaciaires glissent plus vite et si elles sont amincies, elles sont moins résistantes aux contraintes que le glacier reçoit sur le lit rocheux, et peuvent donc se rompre.”
Des glaciers alpins qui réduisent comme peau de chagrin
En Suisse, le glacier Morteratsch ne ressemble, lui, déjà plus aux illustrations des guides touristiques de la région. La longue langue blanche qui descendait sur une grande partie de la vallée a reculé d’environ trois kilomètres dans sa longueur, et l’étendue de glace s’est réduite d’environ 200 mètres dans sa largeur.
Selon des données de Glamos, le réseau des relevés glaciologiques suisses et de l’Université libre de Bruxelles, ce glacier perd désormais cinq centimètres d’épaisseur par jour et a déjà davantage fondu qu’à l’issue d’un été habituel.
Avec une hausse de la température d’environ 0,3 °C par décennie, le réchauffement en Europe s’avère quasiment deux fois plus rapide que la moyenne mondiale. Une observation qui fait craindre aux spécialistes que les glaciers alpins ne disparaissent plus tôt que prévu, ce qui n’est pas exclu si les années à venir sont marquées par des vagues de chaleur à répétition, prévient Matthias Huss, directeur de Glamos.
“Emergency” drilling of stakes at #Pers #glacier in the #Engadin last week. Even though the scenery is majestic as always, it is frightening how little snow we found on the glacier. In July, there should be more snow here, but we measured the highest rates of ice loss.@ice_vub
— GLAMOS (@glamos_ch) July 25, 2022
Dans un rapport spécial paru en 2019, le Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU) a prévenu que les glaciers des Alpes auront perdu plus de 80 % de leur masse actuelle d’ici à 2100 et que bon nombre d’entre eux sont d’ores et déjà voués à disparaître, indépendamment des mesures qui pourraient être prises pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Entre l’Italie et la Suisse, la frontière fond
En Autriche, “les glaciers sont désormais à nu jusqu’aux sommets”, décrit Andrea Fischer, glaciologue de l’Académie autrichienne des sciences. “On peut facilement imaginer le résultat à la fin de l’été (…) des pertes massives de la couverture par les glaciers dans les Alpes italiennes“, observe de son côté Marco Giardino, vice-président du Comité glaciologique italien.
Cette fonte des glaciers va jusqu’à déplacer la frontière italo-suisse. Suivant la ligne de séparation des eaux dont l’écoulement vers le nord marque le territoire suisse, et celui vers le sud, l’Italie, la frontière a progressivement été modifiée par la fonte du glacier du Théodule. Celui-ci a perdu près d’un quart de sa masse entre 1973 et 2010, laissant place à la roche et forçant les deux voisins à redessiner quelques dizaines de mètres de leur frontière.
La question n’est pas anodine car, à cet endroit, se trouve le refuge Guides du Cervin, à l’origine construit en Italie. Or, avec le déplacement de la frontière sur le glacier, les deux tiers de la cabane, perchée à 3 480 mètres d’altitude, se trouvent désormais en Suisse. Un problème à l’origine d’intenses négociations diplomatiques entre les deux États.
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Au Pakistan, des lacs glaciaires et des crues
La fonte des glaciers, c’est aussi un important risque de crues, des inondations, des habitations détruites et un risque pour la vie. En effet, la hausse des températures mondiales liée au changement climatique entraîne la fonte rapide des glaciers, créant des milliers de lacs glaciaires.
C’est notamment le cas au Pakistan, pays aux milliers de glaciers situé sur les contreforts de l’Himalaya, qui a récemment subi de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique. Dans le nord-est du pays, une importante crue due à la fonte des glaces a ravagé le village de Hassanabad.
L’inondation – qui s’est produite alors qu’une vague de chaleur s’emparait de l’Asie du Sud, en mai – a détruit neuf maisons du village et endommagé une demi-douzaine d’autres.
L’eau a également emporté deux petites centrales hydroélectriques et un pont qui reliait la communauté isolée au monde extérieur.
Le Pakistan abrite plus de 7 000 glaciers. C’est plus que partout ailleurs sur la planète, en dehors des pôles.
Selon le gouvernement pakistanais, les 33 lacs glaciaires – tous situés dans les chaînes de montagnes de l’Himalaya, de l’Hindou Kouch et du Karakoram, qui se croisent au Pakistan – risquent d’éclater et de libérer des millions de mètres cubes d’eau et de débris en quelques heures seulement. Comme ce fut le cas, en mai, à Hassanabad.
Cette année, au moins 16 inondations de lacs glaciaires liées à des vagues de chaleur se sont déjà produites, contre une moyenne de cinq ou six par an, a également affirmé le gouvernement pakistanais après la catastrophe de Hassanabad.
Et partout, la mer monte
La fonte s’est accélérée depuis 2015 et aucune région n’est épargnée, mais le phénomène touche particulièrement les glaciers de l’Alaska, des Alpes et de l’Islande.
Au total, la fonte contribue à plus de 20 % à la montée du niveau de la mer et pourrait avoir des conséquences désastreuses sur l’approvisionnement en eau et l’agriculture lors des périodes arides.
“Les glaciers distincts des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique rétrécissent rapidement, ce qui modifie l’hydrologie régionale, augmente le niveau de la mer à l’échelle mondiale et accroît les risques naturels”, avertit une étude parue dans la revue Nature en 2021.
Entre 2000 et 2019, les glaciers ont perdu 267 milliards de tonnes de glace par an. Une perte de masse 47 % plus importante que celle de la calotte glaciaire du Groenland, et plus de deux fois supérieure à celle de la calotte glaciaire de l’Antarctique.
Avec AFP et Reuters