Mardi 26 juillet, des manifestants ont défilé à Butembo, dans le nord-est de la République démocratique du Congo, afin de demander le départ de la mission de l’ONU sur place, la Monusco. Au lendemain d’une manifestation similaire qui avait fait plusieurs victimes à Goma, ce cortège s’est dirigé vers la base locale des Nations unies. Et là encore, la mobilisation a tourné aux affrontements armés, faisant une dizaine de victimes. Nos Observateurs, témoins de la scène, reviennent sur ces événements.
“Monusco, dégage !” Lundi 25 juillet, ce slogan a résonné dans la ville de Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu. Une manifestation réclamant le départ de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) a éclaté avant de dégénérer en pillage de plusieurs de ses bases.
Cette mobilisation a depuis entraîné d’autres heurts au-delà de Goma. Mardi 26 juillet, une manifestation a ainsi éclaté dans la ville de Butembo, située à environ 300 kilomètres au nord de Goma. Un cortège réclamant le départ de la Monusco s’est dirigé vers la base de la mission des Nations unies. Mais la manifestation a rapidement donné lieu à des affrontements et des échanges de tirs qui ont entraîné la mort de trois Casques bleus et d’au moins sept manifestants.
Une messe contre l’insécurité interrompue pour faire grossir le cortège
Le matin du 26 juillet, vers 9 h 30, un cortège de manifestants s’est élancé sur la route nationale 2, l’une des artères principales de la ville de Butembo. Arborant entre autres des drapeaux congolais, les protestataires étaient regroupés derrière une bannière au nom de la Véranda Mutsanga, un groupe de pression local initialement constitué en milice de défense.
Notre Observateur Umbo Salama a assisté à cette manifestation. Il raconte que cette mobilisation a bien été organisée en amont par le groupe de pression :
La semaine dernière, la Véranda Mutsanga a distribué des tracts appelant à manifester le lundi 25 juillet. Mais puisque ce groupe ne bénéficiait pas du soutien des autres mouvements citoyens, cette première manifestation n’a pas eu lieu. Après les affrontements qui ont eu lieu le 25 juillet à Goma, la Véranda Mutsanga s’est réorganisée pour relancer ce mardi son action contre la Monusco.
Une version confirmée par Ismaël Kabuyaya Kis, journaliste pour la radio locale UGC :
J’ai filmé le cortège qui avançait sur la rue principale de Butembo. Plusieurs de ses membres scandaient “On va faire comme à Goma !” ou encore “On va chasser la Monusco !”
D’après Umbo Salama et Ismaël Kabuyaya Sis, ce cortège demandait bien le départ de la Monusco de la ville de Butembo et plus généralement de toute la République démocratique du Congo. Anelka Mwanya, membre de la Lucha, un mouvement citoyen qui a participé à la manifestation organisée le lundi 25 juillet à Goma, a lui aussi marché à Butembo contre la Monusco. Il explique porter les mêmes revendications :
Malgré toutes les promesses faites par les Nations unies, la paix n’est toujours pas là. Nous avons donc organisé des manifestations pacifiques pour demander le départ de la Monusco.
Mais les manifestants ont rapidement quitté la route nationale 2 pour rejoindre le stade Matokeo où se déroulait au même moment une messe organisée afin de dénoncer l’insécurité qui prévaut dans la région.
D’après notre Observateur Umbo Salama et des images diffusées par le média congolais B-One Télévision, les membres du cortège ont interrompu cette messe et incité toutes les personnes présentes dans le stade à marcher en direction de la base de la Monusco, située dans le quartier Kambali.
“Les manifestants ont pris les armes des policiers et ont continué leur marche vers la base de la Monusco”
Que s’est-il passé à Butembo une fois que les manifestants ont quitté le stade Matokeo ? Sur ce point, les versions des témoins que nous avons pu contacter diffèrent. Anelka Mwanya explique :
Notre manifestation était pacifique. Nous avons marché vers la base pour y organiser un sit-in mais, une fois arrivés sur place, des soldats de la Monusco ont tiré sur des manifestants.
De son côté, Umbo Salama tempère ces accusations formulées contre la Monusco. D’après lui, certains manifestants sont arrivés armés devant la base :
Le cortège a croisé la route de policiers qui escortaient des détenus vers la prison de Kangwangura. Les manifestants ont pris les armes des policiers et ont continué leur marche vers la base de la Monusco.
Umbo Salama affirme également que certains manifestants violents ont menacé des journalistes présents sur place ainsi que des personnes qui tentaient de filmer le cortège.
Deux vidéos publiées sur Twitter, que nous avons pu authentifier, montrent bien des manifestants munis d’armes automatiques. Il est cependant pour l’instant impossible de vérifier d’où proviennent ces armes ni dans quelles circonstances des échanges de tirs ont éclaté aux alentours de la base de la Monusco.
Des Maï-Maï au sein des cortèges, selon le gouvernement
Contactée par la rédaction des Observateurs, la Monusco n’a pour l’heure pas répondu à nos questions concernant l’origine de ces affrontements. Lors d’une conférence de presse, Khassim Diagne, le représentant spécial adjoint de la Monusco, a réfuté les accusations formulées contre les Casques bleus et appelé à la désescalade.
@k_diagne a exprimé sa sympathie à l’endroit des victimes tombées lors de ces manifestations, que ce soit les Congolais ou les vaillants casques bleus. Il a appelé à la désescalade : « dans la confusion, le chaos, le trouble, rien ne peut se régler ».
— MONUSCO (@MONUSCO) July 26, 2022
Patrick Muyaya, porte-parole du gouvernement de la République démocratique du Congo, a quant à lui expliqué que la manifestation aurait été infiltrée par des “éléments de groupes armés Maï-Maï qui auraient pris pour cible des Casques bleus”, ce qui aurait entraîné ces violences. Cependant, ni Umbo Salama ni Anelka Mwanya n’ont pu confirmer la présence de tels groupes armés.
Plusieurs images montrent des affrontements qui ont eu lieu dans la ville de Butembo après le passage de la manifestation. Des barricades ont notamment été érigées en ville et des véhicules arborant le sigle des Nations unies ont été visés par des projectiles de manifestants. Ismaël Kabuyaya Kis affirme d’ailleurs que la base locale de la Monusco a été pillée après le départ des Casques bleus.
Anelka Mwanya explique avoir quitté la manifestation vers 13 h 30 pour accompagner des blessés à l’hôpital. D’après lui, neuf manifestants ont perdu la vie ce mardi 16 juillet, sept selon les chiffres officiels diffusés dans les médias. Depuis lundi, 15 personnes, dont trois Casques bleus, ont été tuées lors des manifestations qui ont eu lieu à Goma et à Butembo pour réclamer le départ de la Monusco.
Une commission d’enquête mixte a été annoncée par les Nations unies et les autorités congolaises. Mais ce mercredi 27 juillet, d’autres heurts violents ont éclaté, cette fois-ci dans la ville d’Uvira.