En Russie, des activistes essayent de saboter les voies ferrées pour empêcher les trains d’emmener des équipements militaires vers l’Ukraine. Sur Telegram, ils publient des photos de rails endommagés, ainsi que des instructions pour réaliser soi-même des actes de sabotage. Un membre d’une organisation anarchiste ayant revendiqué des opérations de sabotage raconte à la rédaction des Observateurs comment ils conduisent leurs activités.
Le 28 juin 2022, la chaîne Telegram d’un groupe anarchiste russe publie 6 photos et une vidéo de rails de trains sectionnés. Le mot “BOAK”, l’acronyme du groupe militant “Organisation de lutte anarcho-communiste”, est écrit sur l’un des rails. Selon eux, l’opération a été menée sur une voie ferrée menant à une base militaire à 90 kilomètres au nord-est de Moscou. Un fil électrique a été attaché aux rails, afin que le signal électrique ne soit pas coupé et que le train ne perçoive pas la perturbation sur la voie. “La perturbation de la voie a été détectée, mais le trafic ferroviaire a été retardé de toute façon” a affirmé l’activiste à notre rédaction.
Quelques mois après le début de l’invasion de l’Ukraine en février 2022, des chaînes Telegram d’activistes anti-guerre ont commencé à partager des images de sabotage de voies de chemins de fer. Dans leurs messages, ils encouragent les personnes qui souhaitent lutter contre la guerre à suivre leur exemple. L’objectif : perturber le passage des trains qui acheminent du matériel militaire russe en direction de l’Ukraine.
Ces dégradations sont sévèrement punies en Russie : les saboteurs risquent dix à quinze ans de prison, jusqu’à vingt ans si le suspect appartient à un groupe organisé. Si les activistes affirment tout faire pour éviter des accidents impliquant des voyageurs, les actes de sabotage peuvent mettre en danger le personnel et les passagers des trains.
“C’est une méthode de combat assez rentable en termes de coût, de sécurité et d’efficacité”
Le groupe militant anarchiste BOAK est actif sur le réseau social russe Vkontakte depuis octobre 2018. En novembre 2019, le groupe avait déjà revendiqué une attaque sur une tour de télécommunications de l’entreprise turque Turkcell près de Kiev. Selon ses membres, le but était de protester contre la politique de répression du président Erdogan envers les Kurdes en Syrie. Depuis février 2022, l’activité du groupe sur Telegram se focalise sur la lutte contre la guerre en Ukraine.
Un membre du groupe, qui a souhaité garder l’anonymat, a accepté de raconter à la rédaction des Observateurs comment s’organisent les actions de sabotage ferroviaire :
“Nous nous sommes organisés bien avant l’attaque massive contre l’Ukraine en février, mais la guerre a, bien sûr, été un puissant stimulant pour nous permettre d’intensifier nos activités et les rendre publiques.
[Le sabotage des voies ferrées] est une méthode de combat assez rentable, en termes de coût, de sécurité et d’efficacité. Il n’est pas nécessaire d’être un professionnel chevronné et peut être recommandé aux guérilleros novices.”
D’autres images d’une opération de sabotage ont été publiées par BOAK le 23 mai 2022. BOAK indique avoir mené l’opération sur une voie ferrée régulièrement utilisée par des trains transportant du matériel militaire vers une base militaire à proximité de Sergueï Possad, une ville au nord de Moscou. L’un des activistes indique que l’opération faisait office de test, les photos ayant été prises par les membres du groupe et publiées avant la confirmation de l’accident. Dans la presse russe, aucune mention d’une quelconque perturbation.
Pour assurer leur sécurité, les militants agissent de façon anonyme et veillent à ne pas laisser de traces permettant de retrouver leur identité :
“Nous évitons les caméras vidéo, nous effectuons une reconnaissance des lieux et nous prenons soin de bien réfléchir aux itinéraires. Nous nous assurons de ne pas laisser d’empreintes digitales sur les lieux de l’action. Nous changeons notre apparence, pour la rendre méconnaissable. Nous supprimons les métadonnées des photos et des vidéos, et anonymisons les publications en ligne.”
Évaluer l’ampleur réelle du mouvement reste difficile. Aucune statistique officielle concernant le nombre d’accidents de train n’est disponible. Le média russe indépendant The Insider a cependant relevé une augmentation des accidents de train par rapport à l’année dernière : entre mars et juin 2022, la presse faisait état de 63 déraillements de trains de marchandise en Russie, contre 1,5 fois moins pendant la même période en 2021.
L’agence d’informations de la société de chemin de fer russe RJD explique les déraillements survenus au printemps par le mauvais état des rails et des erreurs de pilotage. Plusieurs cas de sabotage de voies ferrées ont néanmoins été rapportés dans la presse. Le 27 avril 2022, le FSB a annoncé l’arrestation de deux citoyens russes soupçonnés de préparer une attaque sur l’infrastructure de transports de la région de Belgorod, frontalière de l’Ukraine. Le 9 juillet 2022, une vidéo partagée par le média russe Baza montrait un train de marchandises biélorusse touché par un engin explosif dans la région de Briansk, à 8 kilomètres de la frontière avec la Biélorussie et l’Ukraine.
Parmi les groupes Telegram qui diffusent les images des faits d’armes des saboteurs, tous ne sont pas des activistes russes. Par exemple, le site Ostanovivagoni (“Arrêtez les wagons” en russe) a en réalité été enregistré par une personne basée en Ukraine. La chaîne diffuse notamment des instructions pour apprendre à saboter des voies ferrées, dans le but d’encourager de tels sabotages en Russie. Contactée, la personne ayant enregistré le site n’a pas répondu à nos sollicitations.
Les activistes de BOAK affirment s’inspirer des saboteurs ferroviaires biélorusses. Au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ces réseaux clandestins avaient attaqué les voies de chemins de fer destinées à l’approvisionnement de l’armée russe. Au moins 11 personnes ont été arrêtées et condamnées pour terrorisme. Selon une nouvelle loi adoptée en Biélorussie en mai 2022, toute tentative de commettre une attaque terroriste est passible de la peine de mort.