La Cour internationale de justice (CIJ) a rejeté, vendredi, une requête de la Birmanie, et s’est déclarée compétente pour se prononcer sur l’accusation de génocide contre la minorité musulmane des Rohingya, déposée par la Gambie.
Des objections rejetées une à une. Une procédure contre la Birmanie, accusée par la Gambie de génocide contre la minorité musulmane des Rohingyas, va pouvoir poursuivre son cours devant la plus haute instance judiciaire des Nations unies, qui s’est déclarée compétente en l’affaire, vendredi 22 juillet
La Cour internationale de justice (CIJ), dont le siège se situe à La Haye, a rejeté les demandes du pouvoir birman qui remettait en cause la recevabilité de l’action en justice, intentée en 2019 par le pays ouest-africain.
Le verdict pourrait se faire attendre quelques années
Cette année-là, des centaines de milliers de musulmans rohingyas ont fui une répression sanglante de l’armée et de milices bouddhistes. Des témoignages ont fait état de meurtres, de viols et d’incendies criminels.
La CIJ s’étant déclarée compétente en l’affaire, en se basant sur plusieurs arguments légaux, celle-ci peut désormais poursuivre son cours sur le fond. Cela pourrait prendre plusieurs années cependant avant que la Cour ne rende son verdict.
Environ 850 000 membres de la minorité musulmane vivent désormais dans des camps de fortune au Bangladesh, après avoir fui en 2017 une répression militaire sanglante dans leur pays à majorité bouddhiste. Quelque 600 000 autres se trouvent dans l’État Rakhine, en Birmanie.
“Un grand moment pour la justice”
“Nous sommes heureux que le tribunal ait rendu justice”, a déclaré à l’issue de l’audience Dawda Jallow, procureur général et ministre de la Justice de la Gambie. Plusieurs dizaines de militants rohingyas manifestaient devant la Cour pendant l’audience.
“Cette décision est un grand moment pour la justice, pour les Rohingya et pour tous les Birmans”, a salué Tun Khin, président de l’Organisation britannique des Rohingya birmans (Brouk).
“Nous sommes heureux que ce procès historique pour génocide puisse enfin commencer sérieusement”, a-t-il poursuivi dans un communiqué envoyé à l’AFP.
La représentante de la Birmanie, la procureure générale Thida Oo, a déclaré que son pays était maintenant “impatient de trouver le meilleur moyen de protéger notre peuple et notre pays”.
La lauréate du Nobel de la Paix Aung San Suu Kyi avait elle-même présenté les arguments de la Birmanie devant la CIJ, fin 2019, lorsque l’affaire avait été entendue pour la première fois. Elle a depuis été évincée de la tête du gouvernement birman par le coup d’État militaire du 1er février 2021, et se trouve actuellement en détention.
Objections birmanes
La délégation birmane estimait que la procédure de la Gambie n’était pas recevable pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’elle est portée par la Gambie au nom de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Or la CIJ a été créée en 1946 pour régler les différends entre États individuels.
Ensuite parce que, selon la Birmanie, la Gambie n’est pas directement concernée par le génocide présumé. De plus, le pays asiatique s’est retiré d’une partie de la convention internationale applicable dans cette affaire.
Enfin, la Birmanie soutenait qu’il n’existait aucun contentieux explicite entre elle et la Gambie au moment où cette demande a été déposée, ce qui est l’une des règles de la Cour.
“Brutalité et cruauté”
Comme les précédents, cet argument a été rejeté par les magistrats, selon lesquels il y avait bien un différend entre les deux pays comme en attestent des déclarations faites en 2018 et 2019 auprès de l’ONU.
Par ailleurs, “la Gambie a remis l’instance en main propre en tant qu’État partie à la Cour et à la convention”, a ajouté la juge Donoghue. “La Cour conclut que la Gambie a qualité en tant qu’État partie à la Convention sur le génocide d’invoquer la responsabilité de la Birmanie”, a-t-elle poursuivi.
“Des mesures seront prises contre les militaires, leur brutalité et leur cruauté. Et cela nous donne de l’espoir pour nos souffrances”, a déclaré à l’AFP, sous couvert d’anonymat, un Rohingya vivant dans le nord de l’État de Rakhine en Birmanie.
“Ce n’est pas seulement bon pour nous (Rohingya) mais aussi pour le reste du peuple birman qui souffre aux mains de l’armée birmane”, a affirmé une femme rohingya vivant dans un camp de personnes déplacées près de Sittwe, la capitale de l’État de Rakhine, préférant également rester anonyme.
Les jugements de la CIJ sont contraignants et sans appel, mais la Cour n’a cependant aucun moyen de les faire respecter.
Avec AFP